|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Etant intéressé,
entre autres, à l'histoire du mouvement syndical algérien, j'apprends un jour,
par le biais d'un des écrits de l'historien français René Gallissot,
l'existence, parmi les militants de l'historique UGTA, d'une certaine Nassima Hablal. N'ayant jamais entendu parler, jusque-là, de cette
militante, il faut le reconnaître, je me suis intéressé à elle. Je me suis donc
demandé : qui était cette femme dont on n'a jamais entendu parler ou presque et
que, assure-t-on, a échappé miraculeusement à la mort lors de l'explosion dont
a fait l'objet le local de l'UGTA, où elle travaillait quotidiennement, ce jour
du 30 juin 1956 ? Que faisait-elle dans un milieu que nous croyions
exclusivement réservé aux hommes et pas à n'importe quels hommes ? Mes modestes
investigations m'ont conduit à proposer, à titre d'hommage à cette femme hors
pair, le bref portrait suivant.
Nassima Hablal est née à Mekla, en Kabylie, en 1927 ou le 15 septembre 1928, selon les versions. Très tôt, elle s'engage dans le mouvement national indépendantiste. A l'âge de 16 ou 17 ans, elle est membre, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de l'Association des Femmes Musulmanes Algériennes (AFMA), l'organisation féminine du PPA/MTLD. Elle a, à cette époque, comme principales collègues, Mamia Chentouf, El Haffaf Salima, Malika Mefti Sidi Moussa, Fatima Zekkal, etc. Elle se chargeait, avec elles, entre autres du recueil des cotisations auprès des familles algériennes plus ou moins aisées, de la distribution des tracts et des journaux du parti nationaliste, de la sensibilisation de ses compatriotes à la cause nationale et de l'organisation des rencontres et festivités culturelles à caractère patriotique. Pendant ce temps et parallèlement à ses activités au sein des cellules du parti nationaliste, la jeune militante décroche un emploi comme secrétaire dans l'administration coloniale. Plus exactement dans les services du Gouvernement général. «C'est à cette époque, se confiera-t-elle plus tard au quotidien national El Watan, que j'ai commencé à activer dans un réseau composé d'hommes... Je recevais chez moi des militants qui, lorsqu'il y avait un congrès ou une réunion qui se déroulait à Alger, y venaient secrètement». « C'est ainsi, précisera-t-elle encore, que j'ai été amenée à héberger M'hammed Yazid ou Mohamed Ben M'hal, qui était secrétaire particulier de Messali Hadj et beaucoup d'autres.» Dans les années 1950, Nassima Hablal rejoint l'équipe dite des «chrétiens de gauche» qui comptait dans ces rangs les Pierre Chaulet, André Mandouze et beaucoup d'autres militants. Avec eux, elle procède à des activités sociales en faveur des populations défavorisées des quartiers pauvres d'Alger. En 1953, année de la fameuse crise du PPA/MTLD, elle participe au Festival de la jeunesse organisé à Prague en 1953 par la Fédération des Jeunesses démocratiques, d'obédience communiste. C'est là, se souviendra-t-elle, «qu'un jeune homme m'a abordée et m'a demandé si j'étais bien Nassima Hablal.» Le jeune homme n'était autre que le militant «Mohamed Sahnoun» qui lui annonce la volonté du mouvement révolutionnaire naissant de la réintégrer dans ce qui va être la guerre de libération nationale. Elle entame sa participation à la lutte armée en tapant des tracts chez elle et en allant les tirer, à cause du manque terrible des moyens dont souffrait l'organisation révolutionnaire, chez des Européens qui avaient décidé de soutenir la cause du FLN. C'est surtout chez les pères blancs à Alger, à côté de Sidi Abderrahmane, que les opérations de tirage s'effectuaient. Très tôt, en avril 1955, sur dénonciation d'une «âme charitable», selon ses propres termes, ou en raison de son adresse qui a été retrouvée sur Amara Rachid lors de son arrestation, selon d'autres sources, elle est arrêtée. Mais par pour longtemps. «Préparée à l'éventualité, annoncera-t-elle, je n'ai pas parlé.» Elle n'est, heureusement, pas torturée. Du moins durant cette première arrestation. Elle aura, malheureusement, droit à ce cadeau des «biens faits de la colonisation» lors de la prochaine arrestation. C'est chez elle, à Belcourt, dans la villa La Gloriette, après sa libération, au mois de janvier 1955, que Abane Ramdane, auquel la mission de l'organisation de la zone d'Alger a été confiée, installe son Q.G. «Il y tenait ses réunions», dit-elle, «contactait les gens», etc. D'autres militants, comme le futur président du GPRA, Benyoucef Ben Khedda, comme Mohamed Ben Mokkadem, qui sera son époux après l'indépendance, et certains autres célèbres militants s'y sont joints. Après le congrès de la Soummam, Nassima Hablal assure le secrétariat du célèbre CCE tout en continuant de taper des tracts et d'assurer le tirage. Parallèlement à cela, notre héroïne rejoint, sur ordre d'Abane Ramdane, l'équipe dirigeante de l'UGTA, créée le 24 février 1956. Elle y assure le secrétariat et la liaison entre le Coordinateur de la nouvelle centrale syndicale, Aïssat Idir, et Abane. Elle y participe activement à la confection des fameux organes, El Moudjahid et L'Ouvrier algérien, en assurant la frappe. «Le journal nous prenait beaucoup de temps», confiera-t-elle, car «il était assez volumineux.» En réalité, elle y assurait une multitude d'autres tâches comme l'organisation des rencontres, les prises de textes, la dactylographie et les tirages à la ronéo. En plus, elle y confectionnait des fausses cartes d'identité, acheminait des militants au maquis et passait des heures à taper les tracts du CCE. Elle faisait même partie de l'équipe qui a préparé et organisé l'historique «grève des huit jours», entamée le 27 janvier 1957. Elle échappe miraculeusement à une mort certaine lors de l'attentat perpétré par les ultras, dit-on, contre le siège de l'UGTA le 30 juin 1956. Elle venait de sortir depuis quelques minutes plus tôt pour ramener des stencils. A son retour, elle se permet de sauver sa machine à écrire et autres matériels de tirage pour les transférer dans d'autres locaux un peu plus sûrs. Travaillant jusqu'à une heure tardive, comme elle le confiera elle-même dans son interview accordée à El Watan, elle est arrêtée. C'était un certain 21 février 1957. Elle passe d'abord, selon son témoignage, par la «caserne des bérets bleus» à Hussein Dey. Puis, elle sera transférée d'un centre de torture à un autre, dont la «villa» Sésini. C'est là, confiera-t-elle encore, que «le supplice a commencé». «De onze heures du soir jusqu'à six heures du matin, se rappellera-t-elle, j'étais pendue au plafond la tête en bas, l'électricité... les électrodes... les bidons d'eau... toute la panoplie qu'ils avaient en tête.» Elle se permet même de tenter une évasion. Voulant lui arracher des renseignements se rapportant aux activités du FLN et de ses principaux leaders, ses bourreaux n'auront droit qu'à des informations concernant Amara Rachid qu'elle savait déjà «mort au maquis depuis quelques mois». Même l'utilisation de la voie douce par ses geôliers, en lui proposant de refaire une vie en Espagne en cas où elle parlerait, n'a pas eu raison du courage et de la détermination de la brave militante. Après avoir passé quelques mois à l'hôpital pour être remise en état d'être jugée, elle est présentée au tribunal qui la condamne à cinq ans de prison pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Elle est incarcérée à Serkadji et El Harrach avant d'être transférée aux prisons de la «Métropole» : la «Roquette», Rennes...et, enfin, Pau. Là, sur intervention de l'ethnologue et la militante Germaine Tillion, elle bénéficie, avec d'autres détenues, d'une libération conditionnelle et est placée en résidence surveillée dans un village de Bourgogne. En 1961, Nassima Hablal atterrit à Paris où elle entre en contact avec Mohamed Farès, alors responsable de l'Amicale des Algériens en France. Elle sera convoyée vers la Suisse, puis passera en Allemagne. Les responsables du FLN décident enfin de la transférer à Tunis pour reprendre ses activités au sein de l'UGTA. Mais c'est à Boumerdès (Rocher Noir), au mois de mai 1962, qu'elle sera envoyée, sur sa propre demande. L'exécutif provisoire venait de s'y installer suite aux Accords d'Evian. Devenue Mme Ben Mokkadem, après avoir épousé le militant Mohamed Ben Mokaddem, elle se tient à l'écart de la scène publique. Elle assure, pendant plusieurs années, la direction d'un centre de formation professionnelle pour filles, situé à Alger et vit à Birkhadem dans une vieille maison. En novembre 2011, elle passe par des moments très difficiles quand elle perd tragiquement Youcef, son unique fils. Décédée le 14 mai 2013, elle sera inhumée au cimetière de Birkhadem. Son décès passe presque inaperçu. C'est par le biais d'une interview que lui accordera El Watan en 2005, que son principal témoignage est, semble-t-il, délivré. Elle a eu également droit à un documentaire que la réalisatrice franco-algérienne Nassima Guessoum a consacré aux femmes qui ont participé à la guerre de libération nationale sous le titre de «10 949 femmes». Il passera sur les écrans en 2014 durant les 5ème Journée cinématographiques d'Alger. Disparue en mai 2013, notre héroïne n'a pas eu l'occasion de le voir. * Université d'Annaba |
|