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A une époque où il est de bon
ton d'affirmer, avec plus ou moins de sincérité, que l'on fait passer
«L'Algérie avant tout», c'est une autre phrase qui me vient à l'esprit,
s'agissant de la personnalité hors pair qu'était Mohamed Séghir
Babes, président du Conseil national économique et
social. L'Algérie seulement?, même pas avant tout, ni après quoi que ce soit,
l'Algérie, rien que l'Algérie..
J'ai été l'un des plus proches collaborateurs de cet homme. J'ai, durant quelques années, partagé avec lui des moments privilégiés, et c'est avec une profonde émotion que je me retourne sur un passé tellement marquant quoique relativement récent. Et surtout tellement édifiant, sur ce pays si beau, qu'il m'a appris à mieux connaître, et à surtout mieux aimer, tant la moindre palpitation de son cœur semblait être destinée à son Algérie. L'Algérie seulement, l'Algérie pour unique passion, l'Algérie pour unique moteur d'une carrière si riche, pour une personnalité si modeste. Combien sont-ils encore celles et ceux qui aiment ce pays du plus profond de leur âme, de manière aussi désintéressée, et sans rien attendre en retour que la satisfaction de lui avoir tout donné ? Si Mohamed Séghir était de cette rare noblesse de ceux qui acceptaient la différence et la contradiction. Je l'ai rejoint - et j'en ai l'espoir, peut-être un peu aidé - à un moment où il avait réussi, par la seule grâce de sa crédibilité, à faire du CNES un inimaginable creuset, un incroyable vivier de compétences, jeunes et moins jeunes, que souvent tout séparait, mais qui se rejoignaient sur leur amour de notre pays. Aimer l'Algérie, c'est tout ce qu'il exigeait : l'aimer passionnément, même en l'aimant différemment? Je ressens aujourd'hui l'obligation morale de porter témoignage de ce dont un Homme d'Etat, depuis longtemps au cœur de ce que certains aiment désigner par «le système», a pu faire preuve de patriotisme, de désintéressement et, par-dessus tout, de tolérance et d'ouverture politique. Je rends hommage à Ammar Belhimer et à Ghania Oukazi, que j'ai eu le plaisir de côtoyer dans les arcanes du CNES, pour avoir témoigné de la vision de cet homme. Tous ceux qui ont participé aux ateliers initiés par Si Mohamed Séghir au sein du CNES lui seront à jamais redevables d'une expérience unique. L'opinion doit savoir que cet homme a pu réunir autour de lui, juste pour les faire réfléchir ensemble, des personnalités aussi brillantes et aussi diverses que Slimane Benaïssa, Abdou B ., Pierre Chaulet, Jeanine Belkhodja, Abdelouahab Kara-Mostefa, Nadira Chentouf, Jean Paul Grangaud, Mohamed Bahloul, Mohamed Benelhadj, Ammor Khelif, Abdelkader Djeflat et tant d'autres, auxquels s'ajoutaient les plus grands noms de la presse nationale ou encore les plus éminents praticiens qui honorent, aujourd'hui encore, notre médecine. Juste pour faire briller l'Algérie, et plus encore face à des partenaires étrangers souvent stupéfaits du bouillonnement intellectuel qui caractérisait alors le CNES. Il faudra se souvenir des hommages de Benjamin Stora, d'Alain Gérard Slama, de Jean François Rischard, ancien vice-président de la Banque mondiale, de Daniel Kaufman, leader incontesté en matière de gouvernance, des représentants de l'Université des Nations Unies, de la Banque mondiale, du PNUD, de l'Institut de la Méditerranée, et de tant d'autres encore, tous repartis d'Alger avec une vision différente de la réalité de notre situation, et du combat qui se menait alors, sous l'impulsion des «plus Hautes Autorités» comme aimait à le dire pudiquement Si Mohamed Séghir, pour imposer l'approche scientifique en tant que moteur principal de la gouvernance. S'il fallait une anecdote pour illustrer à quel point l'Algérie seule animait le président du CNES, je choisirais celle-ci : A Daniel Kaufman, expert international et leader en matière de gouvernance, qui était arrivé pour la première fois en Algérie et qui nous expliquait pourquoi nous étions, entre autres, très en retard en matière de liberté d'expression, l'un d'entre nous, sans le moindre commentaire, a montré la une d'un quotidien du jour, avec un titre pour le moins très peu complaisant envers le chef de l'Etat. Je revois encore le sourire comblé de Si Mohamed Séghir, lorsqu'il apprend plus tard que le même Daniel Kaufman, dans une conférence après son départ d'Alger, a critiqué l'image erronée que véhiculent souvent des médias occidentaux sur certains pays, en citant l'Algérie comme exemple, et qui se penche pour murmurer à mon oreille : «Tu vois, Malik, là l'objectif a été atteint !». C'est pour finir faire preuve de justice que d'évoquer la discrétion sans faille de cet homme, à qui certains reprochaient, à tort, d'avoir fait disparaître l'esprit critique du CNES, simplement parce que son sens de l'Etat lui interdisait le tapage médiatique. Je voudrais témoigner du nombre de fois que je l'ai vu appeler personnellement des personnalités ou des journalistes qu'il avait trouvés profondément critiques, pour les inviter à venir participer à nos débats et à faire valoir leur point de vue. Toujours amical, voire fraternel, jamais censeur ni donneur de leçons, tout en se revendiquant ouvertement et fièrement du président de la République, à qui il ne cessera jamais de témoigner d'un immense respect et d'une profonde admiration, aussi sincères que désintéressés, ce qui est tellement plus rare... Honneur à Si Mohamed Séghir Babes pour son combat, pour ses efforts et pour ses sacrifices. Combien à sa place se seraient plus préoccupés de doter le CNES d'un siège plus luxueux, digne de la crème intellectuelle qu'il abritait et des débats qui s'y déroulaient, en lieu et place de l'ancien cloître que l'Institution occupe encore, et qu'un diplomate étranger avait cru bon, un jour, de comparer au Palais d'Iéna ? *Professeur d'université et a été chef de cabinet du président du Conseil national économique et social. |
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