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Après In Aménas et ses avatars administratifs et communicationnels,
aussi bien en caractères arabes ou latins : In Aminas,
Aïn Amenas, Ain Oum Menas, revoilà d'autres
réincarnations linguistiques dans l'écriture des noms de lieux ou toponymes du
Sud algérien...
A la faveur d'une invitation du HCA, nous avons eu l'occasion, au siège de l'APS (mars 2021) d'aborder le questionnement relatif aux noms propres de lieux algériens : leurs origines, leurs histoires, leurs étendues géographiques, leurs sens, leurs écritures ainsi que leurs impacts sur les plans institutionnel et administratif. L'occasion s'y prêtait : la promotion de dix circonscriptions administratives du Sud en wilayas à part entière, créées lors du dernier découpage administratif (février 2021). Les premières photos apparues sur Internet ciblant quelques frontons des édifices publics, les plaques de signalisation routière, les écrits journalistiques, tous supports confondus, laissent transparaître la persistance des mêmes écarts dans l'écriture des noms officiels. Il s'agit des dénominations officielles relatives aux nouvelles entités territoriales et administratives : Aïn Salah et non In Salah, quand bien même le communiqué officiel de la présidence de la République ou les dépêches de l'APS optent pour la forme In Salah et In Guezzam (et non Ain Salah et Ain Guezzam). Touggourt est beaucoup plus problématique : entre l'écriture en arabe, en tamazight (tifinagh) en caractères latins, l'écart laisse penser qu'il s'agit de deux ou plusieurs entités géographiques différentes et c'est le moins qu'on puisse dire. L'annuaire des communes du ministère de l'Intérieur (https://www.interieur.gov.dz) mentionne encore cette pluralité dans l'écriture des noms des communes (consulté le 7/3/2021) entre l'entité de wilaya en «in» et l'entité communale en «ain». Que veut dire «in» et «tin» en touareg ? On a vu, pourtant, comment, lors de l'attaque du complexe gazier de Tinguentourine , en janvier 2013, les moyens d'information, nationaux et internationaux, se sont répartis la réalisation (phonique et graphique) de la même dénomination : In Amenas pour la sphère d'écriture latine et Ain (3ayn) Amenas pour la sphère à alphabet arabe. Cette même logique, ce bicéphalisme est encore à l'œuvre dans les usages administratifs, quand bien même la langue tamazight est devenue langue nationale et surtout officielle. « Ain » et « In » sont deux unités linguistiques de langues et de sens totalement différents : «source d'eau, fontaine, point d'eau» en arabe, pour le premier ; « celui de...» pour la toponymie amazighe, targuie précisément. Il y a des milliers de toponymes couvrant le nord de l'Afrique, composés avec « in » : In Guezzam, « endroit de Gezem » , et qui signifie « endroit détaché » (F. Cheriguen, Dictionnaire de toponymie algérienne des lieux habités, HCA, 2021) : In Amguel («lieu, endroit de la couleuvre»), donnant la forme arabisée non moins connue de Amguella (1 et 2), In Azarou «celle du rocher», In Azouaoua «celle du tamaris», In Zeghlouf «celle de l'endroit étroit», in Hammou «celle de Hamou», etc. La forme féminine de «in» est Tin (t-in ) : exemple Tin Hinan «celle de Hinan» (reine et ancêtre des Touaregs), Tin Zaouatine ou Tinzawatène (Mali) «celle de la source des pâturages», Tin Fouyé Tabenkort (TFT pour les pétroliers du célèbre champ gazier de Sonatrach), de Abenkor : «endroit humide», etc. Toponymie et sécurité nationale : cas de «in» La confusion peut s'expliquer par un phénomène d'attraction linguistique (In/Ain), de manière consciente et/ou inconsciente. Sur les plaques de signalisation routière, il est souvent mentionné en caractères arabes « 3ayn » et en caractères latins « in ». La confusion n'y est plus dès lors qu'on passe au féminin « tin ». Mais, en matière de dénomination géographique et surtout cartographique, la confusion entre « in » et « ain » peut avoir des implications sanitaires, sécuritaires, économiques... et pourrait faire déplacer des interventions de corps spécialisés à des milliers de kilomètres du point indiqué. L'attaque du complexe gazier de Tinguentourine et la situation militaire à nos frontières nous rappelle que l'Algérie est le plus vaste pays d'Afrique et que la gestion et la maîtrise de la vastitude de son espace par le biais de sa dénomination est une affaire sérieuse et qu'elle relève, le moins qu'on puisse dire, de l'intérêt supérieur de la nation. Touggourt et non Touqqourt La transcription en caractères latins ne pose aucun problème (Touggourt / Tougourt). Il en de même pour les caractères tifinagh Le phonème /g / est rendu par la lettre Pour la langue arabe, le système phonétique arabe standard ne comprend pas le phonème /g/, il en est de même pour son alphabet. Dans le cadre de la normalisation géographique nationale, régionale et internationale, la mobilité orthographique est proscrite. Tougourt est rendu en caractères arabes Toukourt/ Toukkort / Toukôrt/ Touqqourt/ Touqourt... Il est important de savoir qu'en matière d'identification d'un lieu, de manière manuelle ou informatique, Tougourt et Touqourt renvoient à deux entités géographiques différentes. L'équivalence n'est pas établie et constitue dans des cas précis un contre-sens, exemple : Beggag / Beqqaq. Or, c'est la forme Touqourt/ Touqqourt qui est transcrite en caractères arabes : Il est aussi rendu dans d'autres situations par : Toukourt . Sur des plaques de signalétisation routière, l'administration des transports et les collectivités locales a écrit, en y ajoutant une lettre au système alphabétique arabe : Tugurt avec un «g» Touggourt : un nom plusieurs fois millénaires Le présent nom et sa transcription pose toute la problématique de la transcription graphique d'un patrimoine linguistique dans la diversité de ses parcours identitaires et identificatoires. Les dispositifs administratifs peinent à restituer l'histoire et l'état actuel des productions onomastiques (noms propres) locaux. Le nom de Touggourt est associé à un peuplement attesté dès le Xe siècle (Ibn Khaldoun, Léon l'Africain), habité par les Righa (associé à Oued Righ), mais aussi aux Beni Ifran et autres populations Zenata. Avec Ouargla, Temacine, Meghaier, Biskra, Oued Souf...le nom Touggourt est agrégé à toutes les phases historiques du Bas Sahara, eu égard à sa place-carrefour dans les échanges commerciaux transsahariens, surtout caravaniers, dont on minimise encore l'importance dans les relations avec l'Afrique subsaharienne. Touggourt a le sens en toponymie berbère de « lieu en hauteur » et suggère une idée de sur / élévation (sommet, éminence, grandeur...). Il est rattaché à une racine berbère oronymique (noms de relief) très ancienne. Les noms de lieux formés avec la racine GR avec sa variante KR, avec le même sens d'élévation « se lever, s'élever » représente un des taux les plus élèves évoquant le thème du relief, dans le domaine toponymique amazigh. Ce sont des milliers de noms propres de lieux, voire plus, qui se rattachent à cette racine. Nous touchons, sans exagération aucune, à des manifestations les plus primitives dans la dénomination du territoire national, et même au-delà. Dans le domaine berbère, KR, racine pan-berbère, est ramenée à akkar, kker,nker : « se lever, naître, commencer , grandir, se développer, » ou bien à une autre forme de Aggar, nom d'action verbal de ager « être supérieur à ». Variantes : Aggar, Ajar, Agar ». Citons quelques représentants de cette racine, dont les productions sont attestées à travers l'histoire : Magera, Magura, Tegrara, Grara, Djebel El Guerr, Djebel Guerra Megraman, Chet el Agoura. On reconnaît également le nom du chef ? lieu de daira Bouguirat (Relizane). Une des formes dérivées se retrouve dans Iger qui signifie en berbère « champ labouré et ensemencé de céréales », ager en latin. On relève un autre chef lieu de daira : Sougueur (Tiaret). Cette dénomination se retrouve dans les Hauts Plateaux et le sud algérien quand la terre a un caractère rocailleux : Graia, Graïa El Klakr. Dans le Sahara algérien, on emploie gour pour désigner un monticule à tête plate isolée. Son pluriel est gara. On retrouve « gour » dans Touggourt. Mais aussi El Gor à Tlemcen, El Gour, El Goura à Aflou, Teniet El Gor (Tiaret)... Le nom du fameux territoire des Gourara est la version arabisée de Tigûrarîn (Maameri, Moussaoui) dérivant d'un terme commun en berbère du Nord: agrûr». En guanche il donne « tagoror ». Cette racine amazigh GR, rapprochée à des formes anciennes du grec, mais aussi, pour certains chercheurs, au sumérien agar, à l'accadien ugaru et « qui ont tous le même sens » (Colin). Il n'est pas étonnant que la force de Tamazight réside, en l'état, dans sa vitalité linguistique, d'où sa survivance jusqu'au 3ème millénaire, alors que les autres langues sont devenues des langues mortes ou pour certaines ont des difficultés à établir des correspondances entre les formes actuelles et les hypothétiques formes anciennes. Toponymie et développement régional du Maghreb et du Sahel Un référentiel toponymique incompressible est contenu dans la géographie du Maghreb et aussi du Sahel, avec la présence d'un substrat berbère, fruit d'un long processus de sédimentation linguistique, fruit d'interactions des populations locales, forgées depuis des milliers d'années. Reconnu de facto par les uns ou nié idéologiquement par les autres, est-il que nous avons un territoire à protéger et gérer. Et le premier rôle de la toponymie est de permettre l'identification, le repérage rapide et sécurisé d'un lieu donné. Des règles bien établies consacrent l'attribution, le changement, la modification, l'écriture des noms de lieux. L'existence et le fonctionnement du Groupe des Experts des Nations unies sur la normalisation des noms géographiques depuis 1957, de la commission permanente des Nations unies sur la normalisation des noms géographiques depuis une cinquantaine d'années en sont la parfaite illustration. La dénomination et son écriture est un acte de souveraineté nationale (en arabe, en tamazight et en caractères romains). Alors, sur les cartes officielles, nationales et internationales, dans les manuels scolaires, les prospectus touristiques, les atlas géographiques, les documents d'identité nationales (CIN, passeport, permis de conduire...), les actes de propriété, les documents du cadastre, les appels d'offres de Sonatrach et des autres entreprises minières, les noms des domaines sur Internet (NDD), faut-il écrire In Salah ou Ain Salah, In Guezzam ou Ain Guezzam, Touggourt ou Touqqourt ? Si nous, on ne le fait, et à temps, d'autres le feront à notre place et nous imposeront leur choix par la force de la science et de la technologie. Et ils en ont les moyens ! *Professeur des Universités, directeur de Recherche ? Associé CRASC, Expert en toponymie (ONU) |
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