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Il
n'existe peut-être pas un sujet qui a été autant «mâché» par les responsables,
les politiques et médias pour ne citer que ceux-là, comme celui de la
protection des terres agricoles productives des effets phagocytaires de la
bétonisation, chose qui aurait pu aboutir à la sauvegarde réelle de ce
potentiel garant d'une grande partie de l'alimentation de l'Algérien et donc
son existence et sa survie.
Malheureusement, la réalité est toute autre, en effet, il a été tristement constaté que ces terres ne cessent de se rétrécir telles une peau de chagrin donnant l'impression que les actes sur terrain sont totalement aux antipodes des beaux discours qu'on nous fait miroiter à travers les différents canaux. Quel est l'état actuel de ces terres ? Ne sont-elles pas assez protégées par les textes ou bien c'est la mise en application de ces textes qui fait défaut ? Le danger est-il encore aussi menaçant ? Peut-on encore intervenir pour sauver la situation ? Le soulèvement de ces questions et essayer d'y apporter des réponses est le souci principal de cette modeste contribution. Quels que soient les motifs, la dilapidation des terres agricoles s'est transformée en un phénomène difficilement contrôlable, voire en problème inextricable. Les terres nourricières sont dévorées et l'envahissement par le béton des espaces à vocation agricole par excellence est dramatique. Selon une étude récente du ministère de l'Agriculture, l'urbanisation a, depuis l'indépendance, sacrifié un potentiel important de terres arables et irriguées. «L'extension des villes et des zones d'activités s'est toujours faite au détriment des terres agricoles qui ont tendance à se rétrécir inexorablement », ajoute l'étude. Cela a de quoi inquiéter lorsqu'on sait que «17% seulement des terres et 1,7% des forêts sont utilisées pour l'agriculture». L'Algérie est-elle vraiment riche en terres agricoles ? Pour mieux cerner la gravité du problème, il faut d'abord prendre connaissance de la réalité des potentialités pédologiques dont la nature nous a gavé pour comprendre que déjà à cette échelle, l'Algérie n'a pas été gâtée, en effet, Les terres se répartissent de la façon suivante : Terres improductives estimées à 191 millions d'hectares. Terres forestières couvrant environ une superficie de 4,3 millions d'hectares. Les parcours et la steppe couvrent environ 34,3 millions d'hectares. La superficie agricole totale (SAT) couvre 8,2 millions d'hectares, dont environ 880 000 hectares de terres non productives (bâtiments, chemins, etc.) La superficie agricole totale, représentant trois pour cent de la superficie totale de l'Algérie, est la zone d'activité agricole, comprenant : Cultures herbacées : 3,8 millions ha. Terres au repos (jachères): 3,7 millions ha. Plantations fruitières : 576 990 ha. Vignobles : 81 550 ha. Prairies naturelles : 23 640 ha Comme on le constate si bien selon ces chiffres, on ne peut plus clairs et précis, la superficie agricole utile est très restreinte par rapport à la superficie du pays, et si on pousse encore le raisonnement plus loin en examinant de près la répartition de cette superficie sur les zones agro écologiques on comprendra que la plus grande partie de cette superficie est menacée par des facteurs naturels difficiles et capricieux car située dans des zones défavorisées sur le plan du sol et du climat. Le climat n'est en réalité méditerranéen que dans les régions littorales et sublittorales. Les terres fertiles - celles des plaines du Sahel du sublittoral et des plaines intérieures - ne représentent que des îlots de superficie réduite. Le caractère méditerranéen du climat algérien se perd dès que l'on pénètre à l'intérieur des terres et la plus grande partie de l'Algérie, celles des hautes plaines, est sous hivers froids et relativement secs et étés chauds avec des amplitudes thermiques élevées, des vents chauds en été et l'influence d'un climat que les agronomes nord-africains du début du siècle qualifiaient de «steppien», aux hivers froids et secs. En effet, les hautes plaines insérées entre l'Atlas tellien et l'Atlas saharien sont soumises aux contraintes d'un climat continental gelées en hiver. Plus au Sud, c'est le désert et ses immenses espaces marqués par l'aridité qui laisse peu de place au peuplement et à la production agricole. La tonalité continentale est donc fortement marquée sur une grande partie du territoire agricole et la sécheresse est une menace constante. Donc on voit très bien que la petitesse de la SAU n'est que la partie visible de l'iceberg, l'autre partie est cette avarice de la nature affichée à l'égard de cette superficie lui réservant une hostilité pédoclimatique pour la majorité de ses terres. Si cette SAU si petite et aussi sujette à des conditions défavorables vient à être comparée à quelques SAU de pays de l'Union européenne de loin plus vastes et privilégiées par des conditions pédoclimatiques clémentes, on réalisera aisément l'ampleur du massacre que nous faisons subir à notre SAU déjà amoindrie en l'amputant chaque jour de sa maigre étendue par une bétonisation souvent mal justifiée et faussement raisonnée pour ne pas dire autre chose. En effet, notre SAU n'est rien si l'on sait que près des trois quarts (71,5%) de la superficie agricole utilisée de l'Union européenne étaient en 2016 situés dans sept États membres seulement. La France a utilisé 27,8 millions d'hectares à des fins agricoles en 2016, l'Espagne 23,2 millions d'hectares, le Royaume-Uni et l'Allemagne 16,7 millions d'hectares chacun, la Pologne 14,4 millions d'hectares, l'Italie 12,6 millions d'hectares et la Roumanie 12,5 millions d'hectares. Notre voisin tunisien, épargné par la présence des deux grandes chaines montagneuses comme les nôtres, en l'occurrence l'Atlas tellien et l'Atlas saharien qui bloquent l'expansion du climat méditerranéen vers l'intérieur du pays , coupant ainsi le reste des territoires de l'influence maritime est déjà de ce point de vue plus favorisé que nous sur le plan pédoclimatique, ajouté à cela le fait qu'ils ont une bien meilleure exploitation des terres agricoles : Les terres à vocation agricole en Tunisie couvrent une superficie de l'ordre de dix millions d'hectares réparties ainsi : cinq millions d'hectares de terres labourables, utilisées en majorité pour les grandes cultures et l'arboriculture, quatre millions d'hectares de parcours naturels utilisables par les cheptels et un million d'hectares de forêts ou garrigues. Donc la Tunisie plusieurs fois inférieure à l'Algérie en matière de superficie totale n'est inférieure à nous pour la SAU que par 3 millions d'hectares. Cette comparaison n'a d'objectif que de montrer l'état de fragilité dans lequel se trouvent nos terres agricoles loin de toute action anthropique, comment alors devant un tel constat, persister à ajouter de l'eau au moulin de la bétonisation en grignotant davantage de ces terres ?? La politique de bétonisation et de dilapidation des terres agricoles persiste en Algérie. Malgré la crise qui se profile à l'horizon, les gouvernements qui se sont succédé n'ont pris aucune mesure palpable pour préserver les terres nourricières du nord du pays contre l'avancée du béton. Des exemples à donner des frissons dans le dos ! Les terres agricoles algériennes sont menacées par le «béton » et risquent de disparaitre à la faveur des nouvelles zones industrielles et urbanismes voyant le jour depuis quelques années, dans différentes régions du pays. C'est vrai que ce phénomène ne s'est jamais estompé de puis son déclenchement juste après l'indépendance, mais personne ne peut se douter de son accélération effrénée pendant les deux décennies de l'ancien régime (1999-2019) qui a fait de la construction de logements avec des chiffres millionnaires et autres structures dites d' «intérêt public» son principal cheval de bataille, chose qui s'est répercutée négativement sur les terres agricoles puisqu'aucune stratégie réfléchie n'a été engagée pour épargner les terres agricoles et se tourner plutôt vers les terres marginales et improductives : La maffia de l'immobilier a, dès 2000, accéléré son emprise sur différentes assiettes existantes dans la périphérie des grandes villes, à telle enseigne que des pratiques nouvelles se sont faites jour où des exploitants avaient été contraints de céder leurs terres en jouissance. Le résultat fut amer et très douloureux pour tous ceux qui savent la valeur de ces terres, et les exemples dans ce massacre ne sont pas rares. La région de la Mitidja rendue célèbre par la qualité de ses terres en a fait les frais : Terres fertiles pour la culture d'agrumes, elle a été dévastée durant les années 80 et 90, par l'urbanisation et les bidonvilles qui ont massacré ces terres. Dans la wilaya de Boumerdès, pas moins de 1200 ha ont été déclassés durant ces dernières années pour la réalisation des projets d'utilité publique. Un véritable massacre qui aura des conséquences fâcheuses à court et moyen termes sur le développement économique du pays : Plus de 254 parcelles relevant du domaine agricole ont été désignées pour abriter des programmes de logements et d'autres infrastructures dont a bénéficié la wilaya durant la période qui s'est étalée de 2010 à 2015.des terres fertiles se trouvant à Boumerdès, Bordj Menaïel, Thénia et Khemis El Khechna ont en fait les frais. En 2006, avec le lancement de plusieurs programmes d'infrastructures, un cadre de l'agriculture alertait l'opinion publique sur le bradage inquiétant commis sur les meilleures terres. Il précisait que «3000 ha avaient déjà ainsi été touchés » et «cinq mille autres considérés parmi les meilleures terres d'Alger risquaient de subir un sort identique d'ici 2015 ». Le phénomène ne se réduit pas à la seule wilaya d'Alger bien qu'il soit le plus fort. Déjà en 2011, et devant le rétrécissement du portefeuille foncier, dans les principales villes du pays, 57 000 hectares de terres agricoles ont été soustraits au domaine agricole et ce, pour répondre aux besoins fonciers pour la construction de projets de logements et d'infrastructures publiques. Ces terres se trouvent pour la plupart dans des régions à fort potentiel agricole, des terres nourricières, à l'image des plaines de Skikda, El Tarf, Annaba, mais aussi dans la périphérie d'Alger, dans les communes qui ont toujours été des sources d'approvisionnement de nos marchés en fruits et légumes. Certes le phénomène n'est pas uniquement réservé à cette wilaya ou à quelques wilayas seulement mais il touche pratiquement toutes les wilayas du pays où il ya de la terre agricole fertile mais il est quand même étrange de constater que les «ilots» fertiles dont on a parlé précédemment dans ce même papier sont les plus touchés et les plus visés par la bétonisation, ceux-là mêmes dont on a dit qu'ils sont situés sur le littoral ou à proximité et qui constituent la varie richesse pédologique du pays. Pire encore, même les fermes pilotes n'ont pas été épargnées par le rouleau compresseur de la bétonisation : combien de fermes pilotes, pourtant productives et réalisant d'excellents chiffres d'affaires se sont vues amputées de plusieurs dizaines d'hectares en raison toujours de cette fameuse «utilité publique», ce qui est encore plus fou c'est que des terrains appartenant à des? instituts techniques ont été détournés en faveur du «béton» ! Incroyable pour un pays qui n'arrive toujours pas à assurer l'alimentation de son peuple en produits aussi stratégiques que les céréales et autres produits agricoles de première nécessité. Beaucoup d'observateurs pensent que les causes de ce phénomène sont multiples comme l'interventionnisme, le laxisme des autorités, l'absence de planification et de systèmes de contrôle qui sont en grande partie à l'origine de ce désastre. Est-il raisonnable et foncièrement logique de continuer à dilapider ce qu'on a de meilleures comme terres en terme de fertilité et les sacrifier au détriment d'autres utilisations autres qu'agricoles et en même temps miroiter de belles promesses et un avenir radieux à l'agriculture du Sud où les terres sont beaucoup moins fertiles pour ne pas dire squelettiques et dont les sols ne sont même pas qualifiés de ce nom par pas mal de spécialistes étant donné leur grande pauvreté et leur incapacité à retenir l'eau et les éléments nutritifs d'où une utilisation beaucoup plus massive des intrants comme les engrais et l'eau comparée à la même culture cultivée au Nord ?! La réflexion est à prendre avec beaucoup de sérieux si l'on sait que l'obstacle n'est pas seulement édaphique mais également climatique où l'évaporation est très élevée dans ces zones ce qui nous conduit à se poser des questions sur la durabilité d'une telle forme d'exploitation ? Cet état de fait n'est pas pour contester l'exploitation du Sud dans son intégralité mais pour attirer l'attention sur l'importance de cultiver le Sud selon une approche de durabilité intégrant le principe d'oasis dans sa mise en œuvre et que la priorité doit être accordée à ces terres du Nord qui recèlent d'énormes potentialités productives et qu'il faut absolument protéger réellement et efficacement. Que faire pour mieux protéger nos terres agricoles ? Afin de mieux préserver les terres agricoles, sources de sécurité alimentaire et de richesses nationales, je pense qu'il faut commencer par le renforcement des batteries de lois existantes. En effet, les recommandations d'un séminaire international qui a regroupés les chercheurs du grand Maghreb à l'université d'El Tarf en Algérie tenu mars 2018 sur cette problématique de son côté juridique est très intéressante : Les recommandations des participants ont unanimement évoqué la révision de la loi 74/75 sur le cadastre général et la mise en place du registre foncier et la circulaire n°62/76 concernant la mise en place du cadastre ainsi que la circulaire n°63/76 sur les étapes de la constitution d'un registre foncier. Également les participants ont recommandé la révision de la loi 18/83 sur les conditions de la mise en valeur des terres agricoles ainsi que l'obtention de leurs actes de propriété, la révision de la loi 03/10 concernant la gestion des biens privés de l'Etat à travers les actes de concession avec la condition d'avoir la nationalité algérienne dans le cas de l'investissement étranger dans l'agriculture afin d'arriver aux objectifs assignés, à savoir étendre l'investissement dans le secteur agricole, et ce, sans tenir compte de la nationalité des investisseurs. Dans la même optique, les séminaristes ont insisté sur l'activation de l'Office national des terres agricoles (ONTA) eu égard au fait notable que ledit office est seule habilité à octroyer le droit de construire sur les terres agricoles, sachant que cet organisme jouit de prérogatives immenses dans la protection des terres de toutes les agressions et atteintes. Les participants ont insisté sur la révision des financements dans le secteur agricole avec comme corollaire une facilitation accrue dans les procédures administratives. Les participants à ce premier séminaire ont exhorté les pouvoirs publics à plus d'échange d'expériences entre les pays maghrébins et à publier les actes de cette rencontre scientifique très fructueuse. Les experts sont unanimes sur le fait que l'exécutif doit respecter ses lois tout en ayant une vision stratégique de protéger les terres cultivables (3,5% de la superficie du pays), et garder une politique d'urbanisation équilibrée sans que la stratégie du développement empiète sur la politique de l'agriculture. Parmi les mesures prises au passé pour soi-disant atténuer des effets de ce phénomène la centralisation de la décision de déclassement des terres, confiée à un échelon plus élevé de l'exécutif (il faut avoir l'autorisation du Premier ministre). Cette loi est selon ses instigateurs (en 2011) une mesure tendant à préserver les terres agricoles, dont la gestion n'obéissait avant à aucune règle en matière de transfert du domaine national au maître d'œuvre : triste de constater que cette mesure depuis sa promulgation n'a pas eu l'effet escompté et pour cause ? C'est le gouvernement lui-même qui donne l'impression de ne pas traduire ses inquiétudes orales quant au rétrécissement des terres agricoles sur le terrain en actions protectrices concrètes et que pour lui, l'obsession de «bétoniser» est de la même importance que la sauvegarde de ces terres voire plus alors que pour qu'il s'inscrive dans une logique de bonne gouvernance, il doit adopter le nécessaire retour à l'équilibre entre l'exigence du développement local et l'aménagement du territoire national et en priorité la préservation des terres à cultiver qui se rétrécissent de plus en plus et de mois en mois. *Agronome et enseignant. Université Abbès Laghrour - Khenchela |
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