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Vers une reconnaissance officielle progressive de la «darija» comme langue maternelle algérienne majoritaire

par Meriem Stambouli*

En lisant les multiples interventions et articles d'Abdou Elimam et en méditant sur son dernier ouvrage: «Après Tamazight, la darija (le maghribi) !» (2020), il est temps de tirer les bonnes cartes et de reconnaître toutes nos langues maternelles comme patrimoine langagier et culturel de l'enfant algérien surtout.

La thèse du Pr Elimam soutenant les langues maternelles et la ?darija' plus particulièrement est tout à fait légitime, vérifiée et validée par d'autres pays ? je parlerai du cas concret de l'Inde1 plus bas, qui a connu la même problématique, mais avec une richesse linguistique beaucoup plus dense que l'Algérie : 234 langues maternelles recensées en 2001, et une vingtaine de langues officielles ; l'enseignement en langues maternelles, surtout lors des premières années de scolarisation de l'enfant, a donné des résultats beaucoup plus probants et efficaces que l'enseignement seulement en ?Indi', langue officielle , «du pouvoir de l'oppression», langue du Centre de l'Inde, ou seulement en Tamoul, langue aussi officielle mais du sud de l'Inde, et en anglais, «langue de l'économie», de l'administration mais du colonisateur aussi.

La ?darija' est transfrontalière au Maghreb, le tamazight aussi. Cela représente la richesse et la dynamique du Maghreb. La langue darija est encore considérée comme un sujet tabou et péjoratif, (langue de la rue, langue de la maison, langue mélangée...), mais la dynamique du Hirak a montré que c'est une langue majoritaire en société, à travers les revendications essentielles du peuple : «ma naarefch l arbia, hadi hia darja taana» «je ne connais pas l'arabe, c'est celle-là notre darja ou langue première» disait le même locuteur de Yetnahaw gaa !, dans les rues d'Alger et dans une vidéo passée dans les télévisions du monde entier. Le Hirak de la rue a libéré «les langues de la rue» algériennes, et a libéré aussi les pensées,...

La reconnaissance d'une langue, si officialisation plus tard, passe par des étapes. Nous avons vu le cas le plus attentionné du tamazight : langue culturelle identitaire depuis les revendications des années 70, du peuple algérien (de la partie berbérophone surtout), langue nationale en 2002, langue nationale et officielle, en 2016. C'est du chemin ! Elle a fini par être reconnue, standardisée, nationalisée, officialisée...peu importe la manière, langue de laboratoire ou langue autochtone, elle existe dans sa forme orale depuis très longtemps, et écrite, avec des normes et des variations différentes, beaucoup plus tard, avec des alphabets différents en Algérie, au Maroc, en Tunisie, et en supra-Maghreb.

Il faudrait que l'aménagement linguistique en Algérie procède d'abord, par un baromètre de recensement des langues maternelles, si on veut se référer seulement aux corpus oraux. On dit, la darija et les parlers berbères (standardisés en Tamazight) sont les langues maternelles algériennes, mais a-t-on vérifié cela concrètement d'un point de vue démographique ? Et d'espace géographique ? La question du recensement linguistique et de son actualisation est très importante pour ainsi parler avec des faits avérés et des conclusions «non hâtives».

Darija ou Darija-s

Elle a des variantes, avec des variations dynamiques. Dans une même Algérie, un mot en darija peut avoir dénotations et connotations différentes, prononciation différentes de l'Est, à l'Ouest, au Centre, au Sud...etc. Et peut changer de sens sur le plan diachronique et synchronique.

1- Si on espère une reconnaissance officielle de la darija, il faudrait d'abord la standardiser à «l'italienne» comme l'a fait Dante avec l'italien, et plus tard Manzoni. «Rincer ses draps dans l'Arno» disait le linguiste et l'homme de Lettre Alessandro Manzoni dans son roman «Les fiancés, 1827» à propos de la langue toscane bien avant qu'elle devienne la langue nationale italienne. L'Arno est le fleuve qui traverse la Toscane, et y «laver ses draps», voulait dire, se retirer dans la nature pour travailler et unifier la langue et lui donner une norme «propre» et standard. L'Italien standard est une langue «jeune», qui commença à s'affermir et à s'officialiser à partir du XIX s. L'auteur était persuadé que le Toscan allait devenir la langue nationale italienne, il a d'ailleurs fait parler ses personnages en toscan, une langue florentine autour du fleuve de l'Arno, en Lombardie. Manzoni, et d'autres, ont participé à la naissance d'une langue italienne nationale et unifiée. Il suffit d'y croire, peut-être que la darija sera standardisée, unifiée, et deviendra/ait langue nationale, au même titre que le tamazight, un jour ! Mais il faut y œuvrer pour que les choses se concrétisent et nous comptons beaucoup plus sur les écrivains darijophones pour faire passer le message au Politique.

Mais si on se réfère aux corpus écrits, la darija est déjà standardisée depuis très longtemps et nous citons le patrimoine de la littérature Zajel 2(connue au Machreq et au Maghreb), de la littérature andalouse aussi. Ce corpus écrit vient d'un corpus oral qui a été transcrit avec un alphabet arabe, et on se souvient, à titre d'exemple, «des pleureuses ou bakkayat» qui venaient chanter le mort dans les enterrements algériens contre une somme d'argent. Cela ressemble à de l'élégie et à de la littérature préislamique, qui était essentiellement orale. Piochons du côté de ces corpus et faisons revivre les archives et les témoignages qui pourraient légitimer la darija à l'école et au politique.

2- La darija, langue de l'Etat ! C'est brûler les étapes ! Il faudrait qu'elle fasse ses preuves à l'école : laissons les enfants s'exprimer en plusieurs langues à l'école et donnons une place à la darija (et aux langues maternelles) de l'enfant algérien à l'école, à la formation des formateurs de l'école primaire (les ENS surtout !), et comparons des résultats scolaires des écoles ayant toléré la darija avec d'autres écoles. Il faudrait que le politique ait conscience de cela avec une feuille de route sérieuse de la part des décideurs et des scientifiques linguistes-didacticiens, psycholinguistes, sociolinguistes, etc. Il ne faudrait, surtout pas, que la darija soit seulement «une cause nationale» ou un projet purement politique comme c'est le cas du tamazight à l'école. Il faudrait que la darija soit d'abord un projet scientifique, culturel avant qu'il soit politique : le scientifique et les écrivains proposent, le politique décide.

Mais que le politique reconnaisse la darija comme langue maternelle et identitaire majoritaire ce n'est pas «brûler les étapes». Je reviens en arrière pour expliquer comment le tamazight a été légitimé. La Charte nationale3 de 1964, en Algérie post-indépendante avait défini l'Algérie comme un pays arabo-musulman. Le tamazight n'avait encore aucune place dans la constitution :

«L'Algérie est un pays arabo-musulman. Cependant cette définition exclut toute référence à des critères ethniques et s'oppose à toute sous-estimation de l'apport antérieur à la pénétration arabe. (...) La culture algérienne sera nationale, révolutionnaire et scientifique. Son rôle de culture nationale consistera, en premier lieu à rendre à la langue arabe, expression même des valeurs culturelles de notre pays, sa dignité et son efficacité en tant que langue de civilisation. (...) Elle combat ainsi le cosmopolitisme culturel et l'imprégnation occidentale qui ont contribué à inculquer à beaucoup d'Algériens le mépris de leur langue, de leurs valeurs nationales». La langue algérienne est au singulier, et c'est la langue arabe par excellence. Plus tard, avec l'ordonnance d'avril 1976, le même scénario est maintenu, pas de référence aux langues maternelles algériennes. Toutefois, cette ordonnance évoque le peuple de la Numidie, sans évoquer les parlers berbères. Mais encore une fois, l'histoire de l'Algérie est occultée de son histoire avec la civilisation phénicienne et punique, source de la darija : «Le peuple algérien se rattache à la patrie arabe, dont il est un élément indissociable (...). L'Algérie n'est pas une création récente» (ordonnance 1976) - mais l'arrivée de la langue arabe est plus récente que celle de la langue punique dite darija, et ce même Journal officiel de 1976 va préciser que la langue arabe vient tardivement, et que nous avons été arabisés progressivement -, «Déjà sous Massinissa, fondateur du premier Etat numide, et Jugurta, initiateur de la résistance à l'impérialisme romain, s'était destiné le cadre géographique et commençait à se forger le caractère national. (...) A ces deux caractéristiques principales se sont ajoutés, progressivement, à partir du VIIème siècle les autres éléments constitutifs de la Nation algérienne, à savoir son unité culturelle, linguistique et spirituelle (...). On peut affirmer que ces différentes périodes de notre histoire ont constitué un creuset où se sont fondus intimement les brassages ethniques, les apports de toutes sortes, comme les créations nouvelles du génie national, tout cela pour aboutir à une expression originale de la personnalité arabo-musulmane de notre peuple, et à une conscience claire de son espace géographique» article 1 de l'ordonnance du 16 avril 1976. Les articles 2 et 3 réitèrent les mêmes principes : «L'Islam est la religion de l'Etat», «l'arabe est la langue nationale et officielle. L'Etat œuvre à généraliser l'utilisation de la langue nationale au plan officiel». Jusqu'ici présent le «génie national» n'a pris en considération dans la définition de la nation que la langue arabe. Il y a cependant une reconnaissance progressive de la part de l'Etat que l'Algérie a connu différentes civilisations et que ce même brassage de civilisations a construit «l'algérianité» ; il y a reconnaissance de l'Etat que l'Algérie a connu Massinissa et Jugurta, mais pas au point de reconnaitre la langue berbère, ni la langue darija.

L'arabe, langue nationale et officielle n'a pas exprimé sa coexistence et sa proximité avec les langues maternelles algériennes (darija et tamazight). Les esprits ne se sont pas calmés depuis, et à la première grande occasion - les émeutes d'octobre 1988 - les revendications berbères revendiquent leur langue, le Tamazight, et ils ont raison. A la suite de ces événements politiques, la tamazighité s'est inscrite officiellement comme valeur fondamentale de l'identité algérienne dans la Constitution de 1996 : «le 1er novembre 1954 aura été un des sommets de son destin (l'Algérie).

Aboutissement d'une longue résistance aux agressions menées contre sa culture, ses valeurs et les composantes fondamentales de son identité que sont l'Islam, l'Arabité et l'Amazighité».

Cela n'a pas suffi, car il fallait reconnaître la langue tamazight comme composante essentielle de l'identité. Ce sont les événements et les manifestations de 2001 en Kabylie, réprimés par le pouvoir, qui ont conduit à nationaliser le tamazight au côté de l'arabe. Mais à quel prix ? Par la violence, plus de 150 morts et plus de 5000 blessés.

C'est la Constitution du 10 avril 2002 qui officialise le tamazight comme langue nationale : «Tamazight est également langue nationale. L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national» ; l'article 2 de l'ordonnance n°76-35 du 16 avril 1976 a été modifié et complété comme suit : «Le système éducatif a pour mission, dans le cadre des composantes fondamentales de l'identité du peuple algérien qui sont l'Islam, l'arabité et l'amazighitié» et le Journal officiel n°48, 2003 a officialisé l'enseignement du tamazight : «L'enseignement de Tamazight, langue nationale, s'introduit dans les activités d'éveil et/ou en tant que discipline dans le système éducatif». Les activités d'éveil du tamazight à l'école font penser aux travaux de «language awereness» ou Eveil aux langues et aux langages, initiés par Hawkins4 (1983).

Mais le Tamazight va s'officialiser davantage et accède au statut de langue nationale et officielle en 2016 ; il n'y a que les entêtes des administrations et des documents administratifs qui sont rédigés en tamazight, mais pas le contenu du courrier administratif.

Il est grand temps que la darija soit reconnue officiellement et progressivement comme langue maternelle algérienne majoritaire. Le Journal officiel pourrait l'officialiser comme langue maternelle majoritaire des Algériens comme il l'a fait avec le tamazight.

3- Se comparer et se positionner avec les pays ayant toléré les langues maternelles à l'école. Le Maroc est bien en avance sur cette question, bien que les puristes et les gardiens du temple tirent la corde exclusivement vers l'arabe standard. Cf. mon article5 avec une doctorante en langue française, sur la question du passage de la darija à l'arabe de scolarisation à l'école primaire. Et comparons cela avec la problématique des langues maternelles en Inde6. Les langues maternelles indiennes ne sont ni la langue de l'Etat (le Hindi), ni la/les langue(s) économique(s), l'anglais surtout, et pourtant la Cour suprême de l'Inde (2014) a plaidé pour un enseignement en langue maternelle à l'école primaire pour l'épanouissement de l'enfant et une meilleure acquisition scolaire.

Cette langue ou ces langues maternelle(s) est/sont en difficulté par rapport à l'expansion économique et coloniale de l'anglais en Inde. On parle aujourd'hui en Inde d'équilibre linguistique, de langue(s) de consensus et d'intérêt identitaire et économique. Les parents ont le choix, aujourd'hui, de mettre leurs enfants dans des écoles qui introduisent les langues maternelles avec les langues officielles et économiques ou pas.

4- Je pense que la darija a fait ses preuves dans la chanson7, el malhoun, el quesida, de façon orale et écrite. Lorsque nous voyons par exemple la chanson de «Abdelkader ya boualem» écrite par un natif de Mostaganem, Abdelkader Bouteldja, une chanson de patrimoine algérien apprise par cœur de Beyrouth à Rabat, et lorsque nous voyons, la chanson contemporaine de Zina du groupe algérien Babylone, chantée au Moyen-Orient et au Maghreb, on se dit que la darija a fait ses preuves à l'école de la vie en attendant qu'elle fasse ses preuves et qu'elle soit reconnue par l'école de la République et par la Constitution. Elle a fait ses preuve aussi au théâtre ? pas seulement dans la chanson -, et je cite le théâtre algérien de Abdelkader Alloula, Kateb Yacine, qui ont écrit en darija, et d'autres écrivains sûrement se sont intéressés à la question et au bi-plurilinguisme des Algériens. Il faudrait que les proverbes algériens (darija et tamazight) et les contes algériens/maghrébins soient enseignés davantage chez l'enfant à l'école.

Je voudrais dire que la question de l'écrit de la darija, et du savoir donc, pose énormément problème bien que son statut oral possède une grammaire implicite et solide ? c'est une des raisons qui bloque son introduction et sa médiation écrite à l'école primaire -; et pourtant des poèmes, melhoun, quesida, contes, etc. ont été écrits en darija (alphabet arabe). Elle devient aussi une langue pragmatique dans les réseaux sociaux alternée avec l'alphabet latin vous faciliter la compréhension et l'intercompréhension entre les locuteurs usagers de la darija. La question de l'écrit de la darija mérite un article scientifique à part entière et/ou une autre publication vulgarisée à la presse afin d'atteindre tout lectorat confondu, et non pas seulement un public scientifique spécialisé.

Donnons l'exemple du maltais, une langue très ancienne et très proche de la darija et du sicilien, qui fut très longtemps une langue parlée non écrite ; sa standardisation et son passage à l'écrit a été un travail de longue haleine : reconnaissance comme langue maternelle d'abord, création de l'alphabet maltais (1750-1934) avec toutes les résistances de l'époque, langue nationale bien tardivement (1920-1934) en passant par plusieurs tentatives et échecs sans baisser les bras. Inspirons-nous de cette endurance et travaillons avec des cercles d'écrivains et des spécialistes en sciences du langage pour travailler et promouvoir une darija langue maternelle algérienne orale et écrite. De l'échec, viennent les solutions et la réussite, n'est-ce pas ?

5- Le bilinguisme enfantin (langues maternelles-langues de scolarisation-langues étrangères) n'est pas soutenu dans les écoles publiques algériennes, il y a une réelle insuffisance en approches et en méthodes d'enseignement bilingue si nous comparons cela avec les écoles privées algériennes. L'approche par compétence n'a pas suffisamment mis en valeur le plurilinguisme algérien ni la compétence plurilingue de l'enfant locuteur. Il y a une volonté politique de priver l'enfant de sa/ses langues maternelle(s) en classe.

En plus de cela, il y a une autre volonté politique d'extinction (OFF) des langues étrangères. On veut mettre l'anglais sur le bouton (ON), mais on ne sait pas garder le français sur le ON. Le ministère de l'Enseignement supérieur devrait admettre le déficit de l'Algérie face à l'anglais et devrait mettre en œuvre des stratégies de promotion de l'anglais comme «valeur ajoutée» sans dévaloriser ou supprimer le français, une langue bien ancrée dans la culture et l'économie algérienne.

Jusqu'à la fin des années 80, les langues utilisées à l'aéroport d'Oran à titre d'exemple, étaient l'arabe, le français, l'espagnol et l'anglais, à l'oral et à l'écrit. Je relève ici l'espagnol, qui a disparu de l'aéroport d'Oran, et qui est en voie de disparition aussi à l'Ouest. On parlait l'espagnol couramment à Oran et à Tlemcen (et dans les régions du nord-ouest), il était même enseigné au collège à la place de l'anglais dans certains établissements, et oui ! C'est la 2ème langue, la plus étudiée dans le monde après l'anglais mais on ne se rend pas compte non plus.

Le plurilinguisme algérien, où en est-on ?

Où va l'Algérie ? Pas de darija, pas de français, pas d'espagnol.....et pourtant la loi d'orientation sur l'Education nationale (2008) est très favorable pour promouvoir le plurilinguisme : «L'introduction du plurilinguisme à un âge précoce est reconnue par la plupart des pays, notamment au Maghreb et presque dans tous les pays arabes, comme un atout indispensable pour réussir dans le monde de demain» (p. 17, la loi d'orientation sur l'éducation nationale). Considère-t-on la darija comme partie prenante de ce plurilinguisme précoce algérien ? Si non, comment peut-on interdire la darija à l'école alors que l'Algérie est d'emblée contre le monolinguisme institutionnel : «Le monolinguisme ne peut contribuer au développement du pays. Il ne permet ni l'ouverture sur le monde, ni l'accès aux savoirs et aux connaissances scientifiques élaborées ailleurs, empêchant ainsi l'établissement d'un dialogue fécond avec les autres cultures et civilisations» (p. 17, la loi d'orientation sur l'Education nationale).

Le mot «langue maternelle» apparaît pour la première fois dans le bulletin officiel de l'Education nationale (2008) pas pour tolérer la/les langue(s) maternelle(s) de l'enfant algérien à l'école, mais pour apprendre le tamazight comme langue nationale quelle que soit la langue maternelle de l'enfant algérien et quel que soit son lieu de résidence :

«L'amazighité, en tant que langue, culture et patrimoine, est une composante intégrante de la personnalité nationale historique. A ce titre, elle doit bénéficier de toute l'attention et faire l'objet de promotion et d'enrichissement dans le cadre de la valorisation de la culture nationale. L'école devra faire prendre conscience à l'élève, quelle que soit sa langue maternelle et quel que soit son lieu de résidence, des liens qui l'attachent à cette langue, notamment par l'enseignement de l'histoire ancienne de l'Algérie (et du Maghreb), de sa géographie et de sa toponymie.

Il s'agit d'affermir et de promouvoir la dimension amazighe dans tous ses éléments constitutifs (langue, culture, profondeur historique et anthropologique) dans le cursus éducatif, de la mettre en place progressivement, en dotant l'enseignement de la langue nationale amazighe de moyens didactiques et pédagogiques appropriés ainsi que de moyens de recherche» (p. 12).

Effectivement, progressivement le tamazight langue non maternelle de la majorité algérienne va prendre de l'ampleur en classe chez les enfants majoritairement darijophones non berberophones. Comment expliquer cela ?

Donc le tamazight est une langue nationale qui représente une culture, un patrimoine et une composante intégrante de la personnalité historique algérienne.

Il est sans conteste que la darija est aussi une langue culturelle, un patrimoine linguistique et une composante intégrante de la personnalité algérienne majoritaire, qui a fait ses preuves suscitées (4ème point).

Comment avez-vous protégé et légitimé une minorité linguistique au détriment d'une majorité linguistique, alors qu'il serait plus logique de promouvoir, de protéger et de légitimer les deux entités linguistiques qui cohabitent ensemble depuis plus de trois millénaires. Où est le problème ? A moins que vous considériez la darija comme dérivée de l'arabe standard d'un point de vue diglossique.

Donc la diglossie arabe standard-darija rejetterait la reconnaissance et l'appellation de la darija comme langue maternelle. Il faudrait creuser du côté de la notion de «diglossie», et voir si cette notion n'a pas été inventée pour occulter le bilinguisme des locuteurs. Déjà la diglossie «langue haute, langue basse», sous-entend langue favorisée, considérée/langue défavorisée, déconsidérée.... Mais la diglossie peut aussi s'appliquer à deux langues complètement différentes telle l'arabe standard et le tamazight. Et pourtant le tamazight est en pleine ascension et légitimité. Pourquoi pas la darija ?

Tamazight pour tous à l'école ! Anglais pour tous à l'université ! Il n'y a que la langue arabe qui a gardé des racines solides en Algérie, apparemment ! Pourquoi pas darija pour tous à l'école ? C'est à nous, locuteurs, linguistes, peuple d'enraciner les langues et de les cultiver. «Qui sème le bien, récolte le bien».

Investissons tous pour préserver nos patrimoines linguistiques et langagiers. Investissons dans toute langue maternelle et en toute langue déjà acquise, sans les déraciner, ni survaloriser ou légitimer une langue minoritaire dite «première» au détriment d'une langue majoritaire, dite première aussi, mais non légitimée pour l'instant.

Notes:

1 Cf. La thèse de Jeannot, 2012, Plurilinguisme et éducation en Inde, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00934280v2/document

2 Cf. La littérature arabe pré-islamque. Voir aussi les écrits littéraires du Zajel de Khanssaa, Ibn Quazman, etc.

3 http://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/algerie-charte_d'alger1964.htm

4 Hawkins, Eric (1983) : Awareness of Language : an Introduction.

5 http://revue-tdfle.fr/revue-73-25/84-le-passage-de-l1-a-l2-a-l-ecole-primaire-en-algerie-une-mediation-tacite

6 https://journals.openedition.org/ries/4509

7 La littérature du Zajel contient des poèmes chantés tels que Malhoun, Chaabi, Quesida....etc.

*Linguiste (ENPO-MA, Oran)