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Pour prévenir la prochaine pandémie, c'est la science qu'il faut suivre

par Marisa Peyre(1), Justin Vaïsse(2) Et Peter Sands(3)

BRUXELLES – La science est indispensable à l'amélioration de la préparation aux pandémies et à leur prévention. Non seulement elle approfondit notre compréhension de la transmission des agents pathogènes et des barrières qu'on peut leur opposer, mais elle nous permet aussi la flexibilité requise pour nous adapter aux circonstances.

C'est en nous appuyant sur des preuves scientifiques que nous parvenons à contenir les risques à un niveau local, que nous sommes en mesure de garantir l'efficacité et la fiabilité des mesures de contrôle et d'accélérer la mise au point et la diffusion de traitements sûrs, que nous pouvons, par conséquent, préserver la santé publique.

La pandémie de Covid-19 a souligné le rôle critique des politiques fondées sur la science pour répondre aux crises sanitaires mondiales. Elle nous a appris qu'il est indispensable de mettre en place des systèmes solides d'alerte avancée, de fonder nos décisions sur des données et d'encourager la collaboration multidisciplinaire. Elle a aussi mis en évidence le besoin de stratégies flexibles, de soins de santé équitables, d'un accès le plus large possible à la vaccination et d'un soutien en matière de santé mentale.

Pour que les mesures de contrôles mises en place soient efficaces, la confiance dans la science et dans l'expertise sont indispensables. Les responsables politiques doivent considérer les leçons apprises lors de la crise du Covid-19 et s'attacher à bâtir la résilience et à renforcer la coopération internationale en préparation des pandémies à venir tout en maintenant la confiance de leurs concitoyens dans la science et dans les experts en adoptant une communication claire. Il s'est avéré que la connaissance du contexte social, économique et géopolitique était aussi importante que la compréhension des facteurs biologiques. Il est donc indispensable, lorsque sont élaborées les politiques de prévention, d'adopter une approche holistique, celle-là même que préconise l'initiative One Health, une seule santé.

Pour être efficaces, la prévention, la préparation, et la réponse exigent une collaboration et une coordination continuelle entre scientifiques, responsables politiques, professionnels de santé et opinion publique. Pour atténuer les chocs pandémiques, nous devons continuer de prendre des décisions scientifiquement informées, c'est-à-dire revoir et adapter en permanence nos stratégies.

Pour cela, une approche multisectorielle, capable de jeter des passerelles entre science et politique et de mobiliser toutes les parties prenantes, est indispensable. Nous devons tout faire pour que les recherches et les données de la science soient accessibles aux politiques. Il ne suffit plus de promouvoir la publication en accès libre et d'encourager le partage des données parmi les chercheurs : nous devons vulgariser les données de façon qu'elles soient largement compréhensibles et utilisables.

Pour mener à bien une telle stratégie, les responsables politiques doivent se conformer à sept priorités essentielles. Ils doivent en premier lieu encourager la culture de la preuve, qui fonde les décisions sur la recherche scientifique et les données disponibles et les incite eux-mêmes à consulter les experts ainsi qu'à prendre en compte leurs recommandations.

Deuxièmement, les approches participatives sont essentielles pour réunir dans l'opinion les soutiens aux politiques fondées sur la science et les conserver. La création de plateformes d'information et la promotion de méthodologies qui encouragent le dialogue doit permettre aux chercheurs de construire des passerelles entre les responsables politiques, la société civile et la communauté scientifique au sens large.

Troisièmement, il est essentiel d'organiser des réunions d'information régulières, à l'occasion desquelles les chercheurs peuvent transmettre aux responsables politiques les dernières avancées de la science, qu'il s'agisse des découvertes ou des menaces émergentes. Ces réunions doivent être brèves et se concentrer sur une vulgarisation utile.

Quatrièmement, les experts devraient s'attacher au développement de la culture scientifique parmi les responsables politiques. Des programmes de formation, des ateliers et du matériel pédagogique afin de simplifier des concepts scientifiques complexes pourraient faciliter la tâche.

Cinquièmement, la modélisation scientifique et une formalisation en scénarios prospectifs pourraient aider les responsables politiques à comprendre les conséquences potentielles des décisions à prendre. Ces modèles fourniraient une base utile pour formuler les stratégies les plus efficaces et pour optimiser l'allocation des ressources.

Sixièmement, il est indispensable de procéder à des évaluations régulières des risques, fondées sur l'état des preuves scientifiques, afin d'identifier les menaces pandémiques potentielles. Ces évaluations doivent être menées en considérant les facteurs biologiques, sociaux, économiques et géopolitiques.

Enfin, les responsables politiques doivent prendre conscience de la complexité des menaces émergentes actuelles. Les risques de santé publique seront toujours plus mêlés à des crises climatiques, environnementales et sociales, et l'approche préconisée par One Health, une seule santé, détient les clés d'une gestion cohérente de ces urgences interconnectées. Si les investissements dans la recherche scientifique, la coopération internationale, les mesures de prévention, les infrastructures de santé et les stratégies de réponse équitable avaient été plus importants avant la pandémie de Covid-19, le monde y aurait été sans nul doute mieux préparé. C'est avec cette évidence à l'esprit que nous avons identifié quelques principes qui nous permettront de faire face aux futures pandémies.

Nous appelons les responsables politiques et les chercheuses et chercheurs du monde entier à mettre en place des comités interdisciplinaires One Health, une seule santé, ou des groupes de travail réunissant politiques, experts, scientifiques de différentes disciplines – y compris les sciences sociales – et toutes les parties prenantes. Ces comités auraient pour responsabilité l'analyse des éléments de preuve scientifique, la proposition de stratégies pertinentes et adaptées et la réalisation de guides ou de feuilles de route à l'attention de celles et ceux qui sont susceptibles de prendre des décisions.

Pour améliorer l'état de préparation et la réactivité durant les crises, nous préconisons la mise en place de mécanismes au niveau de chaque pays afin de faciliter les débats entre les scientifiques, les preneurs de décisions et l'opinion publique. Cela contribuerait grandement au partage de l'information et à la prise de conscience des risques éventuels.

Nous recommandons aussi le développement d'indicateurs qui traduisent la santé économique et sociale au niveau local. Les responsables politiques doivent tenir compte de ces indicateurs ainsi que des externalités possibles et des divers facteurs susceptibles de déclencher des situations d'urgence en santé publique. En ces temps d'incertitude, le principe de précaution doit guider la prise de décisions. Nous proposons de mettre en œuvre des stratégies modulables qui prennent en compte l'état de la science. Ces plans doivent être régulièrement évalués et mis à jour afin de correspondre aux nouvelles découvertes. Une approche systématique de la prévention, de la préparation et de la réponse pandémiques devrait contribuer à l'identification des mesures qui sont pertinentes et de celles qui nécessitent d'être ajustées.

Un dialogue actif avec l'opinion publique et les médias est un élément essentiel de l'accueil et de la compréhension de la science qui sous-tend les mesures de santé publique ; il garantira aussi que les messages appropriés sont communiqués clairement et efficacement. En outre, l'autonomisation des collectivités locales par leur implication dans la mise au point des solutions de prévention devrait figurer parmi les priorités absolues. La collaboration et la coordination scientifiques internationales sont indispensables. En nous appuyant sur les innovations passées et présentes, nous pouvons maximiser l'usage des ressources et tirer profit d'une sorte de banque mondiale des données et de l'expertise.

Pour que les décisions prises soient fondées sur la science, un financement dans le long terme n'est pas moins vital. L'investissement dans la recherche, dans la veille et dans la préparation doit être pérenne et non ponctuel en réponse à une urgence pandémique. En adaptant les mécanismes de financement afin de permettre la flexibilité nécessaire au soutien de projets intersectoriels, nous pouvons adapter les objectifs aux besoins locaux.

Mettre en place des solutions fondées sur la science au sein du processus de prise de décisions, c'est s'engager dans un parcours au long cours, qui exige la collaboration, la confiance, et le ferme engagement de recourir aux meilleures connaissances disponibles pour décider des politiques et des actions à mener. Afin de garantir l'efficacité des stratégies de prévention pandémique, des mécanismes de contrôle et d'ajustement doivent être institués.

Cette tribune a été conjointement rédigée par l'initiative PREZODE, des scientifiques internationaux, des décideurs, des organisations de la société civile, des acteurs privés et des donateurs internationaux. Elle est signée par : Magda Robalo, présidente de l'Institute for Global Health and Development, ancienne ministre de la Santé de Guinée Bissau ; Papa Seck, conseiller spécial du président de la République du Sénégal ; Marie-Ange Saraka-Yao, cheffe des ressources mobilisation et croissance, Gavi, l'Alliance du vaccin ; Brigitte Autran, membre du comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (COVARS ); Jens Nielsen, président-directeur général de la World Climate Foundation ; Eloise Todd, directrice exécutive et cofondatrice du Pandemic Action Network ; Jean-Luc Angot, envoyé spécial de l'initiative internationale pour prévenir l'émergence des zoonoses (PREZODE); Elisabeth Claverie de Saint-Martin, présidente-directrice générale du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ; Philippe Mauguin, , président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) ; Valérie Verdier, présidente-directrice générale de l'Institut de recherche pour le développement (IRD); Musso Munyeme, professeur de santé publique vétérinaire, département du contrôle des maladies, coordinateur One Health (ACEIDHA), Université de Zambie ; Osman A Dar, directeur de projet One Health, Royal Institute of International Affairs ; Cheryl Stroud, directrice exécutive de la Commision One Health ; Thi Phuong Vu, secrétariat du partenariat One Health au Vietnam ; Manuelle Miller, vice-présidente de VSF-International ; Pham Duc Phuc, coordinatrice pour le Vietnam du One Health University Network (VOHUN ); Zeev Noga, secrétaire général de PREZODE ; Agnès Soucat, directrice de la santé et de la protection sociale à l'Agence française de développement (AFD) ; Thierry Lefrançois, Consultant One Health, une seule santé, au CIRAD, membre du COVARS; et d'autres signataires.



Traduit de l'anglais par François Boisivon

1- Chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), est cofondatrice et conseillère scientifique mondiale de PREZODE.

2- Fondateur et directeur général du Forum de Paris sur la paix.

3- directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.