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FLORENCE - La
guerre est un acte visant à contraindre l'adversaire à se soumettre à notre
volonté, a soutenu le stratège allemand Carl von
Clausewitz il y a 200 ans. Sur ce point, les Ukrainiens qui défendent chèrement
leur patrie semblent avoir un net avantage sur les forces russes d'invasion.
Mais pour gagner une guerre, la volonté doit être appuyée par des moyens
militaires - ce qui nécessite une puissance industrielle et économique. Dans ce
cas, la Russie pourrait avoir un avantage sur l'Ukraine pour l'instant, mais
elle est beaucoup plus faible que l'Occident à qui elle entend s'opposer en fin
de compte.
En termes de puissance économique et industrielle, la Russie est au mieux une puissance de taille moyenne. Sa production manufacturière ne représente que la moitié de celle de l'Allemagne et son PIB est à peu près identique à celui de l'Italie. Le PIB combiné de l'Union européenne est presque dix fois supérieur à celui de la Russie. Et c'est avant que la nouvelle série de sanctions occidentales punitives ne commence à leur infliger des pertes. Compte tenu de sa grande économie, l'Europe peut se permettre de construire des capacités de défense crédibles. Pour que les pays européens respectent leur engagement envers l'OTAN de dépenser 2 % de leur PIB par an pour la défense, ils doivent augmenter leurs dépenses de seulement 0,5 % du PIB, en moyenne. Si l'on considère que les dépenses publiques totales dans ces pays représentent actuellement 45 % du PIB, cela semble tout à fait faisable. Même pour l'Allemagne, actuellement à la traîne, les investissements à court terme de 100 milliards d'euros (109 milliards de dollars) récemment annoncés dans le domaine de la défense ne représentent que 2,5 % du PIB. La Russie consacre quant à elle probablement plus de 4 % de son PIB à la défense - un fardeau important pour un pays qui a besoin de maintenir des infrastructures coûteuses pour mailler son vaste territoire. Alors que les dépenses de défense représentent une part importante de l'économie russe, la somme elle-même est plutôt modeste, surtout en fonction des normes d'une « grande puissance ». On estime que la Russie a dépensé 60 milliards de dollars en défense en 2020, contre 50 milliards de dollars en Allemagne. À ce niveau de dépenses, et compte tenu de la corruption qui envahit la gouvernance russe, la construction d'une grande force de combat moderne capable de soutenir un conflit prolongé, tout en maintenant une force nucléaire démesurée et en faisant avancer les ambitions de grande puissance au niveau mondial, serait une réussite vraiment étonnante. La Russie ne peut pas prétendre à un tel niveau de réussite dans ce domaine. En fait, il semble bien que la Russie ait une armée Potemkine depuis le début de son histoire. Le terme « Potemkine » est tiré de Grigori Aleksandrovitch Potemkine, le gouverneur de la Nouvelle Russie qui aurait construit de fausses colonies pour impressionner Catherine II lors de son voyage d'inspection en 1787 dans la Crimée nouvellement acquise et dans les territoires environnants. Mais l'histoire des « villages Potemkine » est en grande partie un mythe et les historiens ne sont pas d'accord sur ce que la tsarine a réellement vu lors de sa tournée. En réalité, il semble que Potemkine ait réalisé des investissements considérables dans les infrastructures de la Crimée et des environs, mais qu'il n'ait pas eu les ressources nécessaires pour relier le territoire nouvellement conquis au reste de la Russie. La faiblesse des infrastructures qui en a découlé, associée à un échec dans le renforcement des capacités logistiques, a gravement entravé la capacité de la Russie à se défendre contre les armées anglaises et européennes durant la guerre de Crimée 60 ans plus tard. Les témoignages selon lesquels les troupes ukrainiennes sont aujourd'hui confrontées à des pénuries de nourriture et de carburant suggèrent que la Russie n'a pas tiré les leçons de cette situation. La logistique est toujours le segment le plus vulnérable à la corruption dans l'armée. Comprendre les conséquences du manque de ressources de l'armée russe exige que nous nous penchions non seulement sur ce qui a eu lieu en Ukraine, mais également - et peut-être accorder encore plus d'attention - à ce qui n'a pas eu lieu. Pour commencer, la Russie n'a pas réussi à détruire les systèmes de communication et les autres systèmes de contrôle électronique. On assumait depuis longtemps déjà que la Russie allait appuyer toute offensive militaire par des cyber-attaques « dévastatrices ». Mais cette menace ne s'est pas matérialisée, probablement parce que l'Ukraine a le soutien des agences de renseignement occidentales dont les capacités de cyber-guerre sont fondées sur un contingent de talents beaucoup plus important et sur le savoir-faire des géants technologiques américains. En fait, quelques heures seulement avant le début de l'invasion, Microsoft a détecté - et bloqué - des programmes malveillants visant à effacer les données des ministères du gouvernement ukrainien et des institutions financières. La société a ensuite partagé le code avec d'autres pays européens, afin d'empêcher son utilisation ultérieure. De même, SpaceX a envoyé des terminaux Internet Starlink en Ukraine, afin de compenser les perturbations d'Internet dans le pays. La mise en service du système Internet par satellite dans le pays prendra du temps, car il faudra mettre en place un grand nombre de stations de base. Mais cela ne prendra que quelques semaines, pas des années. Une autre menace russe qui n'a pas été mise à exécution est son armée de l'air, qui n'a pas établi le contrôle de l'espace aérien de l'Ukraine, même si la Russie a presque dix fois plus d'avions que l'Ukraine. Oui, la Russie a déployé un barrage de missiles pour mettre hors d'usage les radars et les aérodromes le premier jour de l'invasion. Mais la première volée n'a pas été suivie d'une seconde, parce que l'arsenal russe de missiles guidés de précision et d'autres munitions coûteuses est limité. En outre, les pilotes russes semblent avoir peu d'expérience - probablement parce que, comme dans le cas des armes guidées de précision, une formation efficace des pilotes coûte cher. Enfin, les principaux systèmes de livraison d'armes ne sont pas à jour. Poutine aurait pu choisir se lancer dans cette guerre avec un grand nombre de missiles guidés de précision ou avec un stock important de réserves de change. Il a choisi cette dernière option. Maintenant que la moitié de ces réserves a été bloquée par des sanctions occidentales sans précédent, il regrette probablement ce choix. Compte tenu de la capacité limitée de la Russie à accélérer rapidement la production d'armes - en particulier la production de systèmes d'armes sophistiqués, qui nécessitent des intrants qu'il ne peut plus faire venir de l'étranger - les perspectives de Poutine pour maintenir sa guerre en Ukraine semblent limitées. Dans une lutte entre deux opposants tout aussi motivés, une force économique et industrielle importante est décisive. Poutine a déclaré une guerre à partir d'un point de départ matériel faible. Il a motivé l'Europe à commencer à investir dans sa propre défense. Il a mis la Russie sur la voie d'un déclin économique démoralisant. Et par-dessus tout, il a motivé les Ukrainiens à se battre férocement pour leur liberté. Si les Ukrainiens parviennent à résister à l'attaque initiale, leur détermination, ainsi que le soutien potentiellement illimité de l'Occident, pourraient renverser la tendance de la guerre de Poutine - et du régime de Poutine. *Membre du conseil d'administration et membre éminent du Centre for European Policy Studies. |