|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Dans le cadre de
cette préoccu pation, la notion de travail nous interpelle et nous commençons
par la questionner, par essayer de la définir, par voir ses différentes
acceptions à travers l'histoire. Définir le travail conduirait à le considérer
comme un phénomène global réductible à une forme et manifestation unique.
Nombreux qui, en s'adonnant à l'exercice, se sont avoués vaincus et on conclu à une diversité de définitions qui reflètent sa
nature multiple, néanmoins des définitions génériques existent et s'accordent
pour le considérer comme une activité réfléchie visant la réalisation d'objectifs.
Définitions qui ont le mérite de mettre en exergue son aspect spécifiquement
humain en le différenciant de l'activité animale qu'on qualifie à tort de
travail car elle se démarque par le fait que l'animal ne pense pas son
activité, il l'exécute de façon instinctive. Outre cet aspect de présentation,
il est tout aussi utile de s'intéresser à son historique, à son acception, à la
valeur qui lui était assignée à travers les âges.
Il est d'importance capitale de rappeler que dans le cadre de cet article, le monde du travail objet d'investigation se rapporte à la civilisation occidentale du fait que l'économie de marché terreau de la GRH est occidentale. Le travail dans l'Antiquité, aussi bien chez les Grecs que les Romains, est synonyme de peine, de douleur, de souffrance. D'ailleurs étymologiquement il a pour origine le nom «tripalium» instrument de torture, il est réservé aux esclaves ; les nobles s'en déchargeaient pour s'occuper de la gouvernance, pour être des chevaliers ou s'occupaient des arts, de la politique et bien d'autres activités gratifiantes. Le travail en tant que processus de production était une infamie, une malédiction réservée aux damnés de la terre ; conception que le clergé acceptait et lui donnait même son assentiment spirituel. Les historiens confirment cette réalité, la revue de la littérature en fait l'écho ; le travail à travers l'histoire de la civilisation occidentale est perçu et continue de l'être comme étant une contrainte infligée à ceux que la naissance ou le sort les mettaient en situation de travailler. De ce qui précède, il devient évident que la mission du management, de la GRH est très périlleuse, délicate, à la limite de l'impossible. Ces difficultés se trouvent encore accentuées par les changements et mutations que connaissent aussi bien le travail, que le travailleur, que l'organisation, et la société dans sa globalité. Demander au travailleur d'accepter sa situation de damné de la terre, de l'assumer, de se surpasser, de faire preuve d'engagement organisationnel alors que le travail est une contrainte, contraire à sa nature (théorie x) est prendre sur soi de réaliser une mission insensée et immorale. Présenté de la sorte, ce raisonnement paraît séduisant et logique, mais peut-on vivre sans travailler ? Et encore que serait la vie sans travail ? La vie de chômeur est-elle enviable ? Il devient clair que le questionnement ne doit pas se situer à ce niveau de réflexion à soubassement moral, car il est vecteur de fourvoiement et d'égarement. Le travail d'approfondissement et d'éclairage épistémologique se doit d'être contingent aux préoccupations de nature à permettre son amélioration. Pour apurer la réflexion de la dimension morale, intéressons-nous à la question de savoir si le travail est une valeur morale ? En se référant aux enseignements du management, on se trouve confronté à une multitude de théories qui axent l'attention sur le travail, sur les travailleurs, à qui on demande l'obligation de faire preuve d'engagement professionnel, de mettre à la disposition des organisations leurs adhésions, de s'inscrire dans une approche de subordination à l'organisation, à se mobiliser pour la réalisation des objectifs de l'organisation en misant sur la conception du travail comme valeur morale. Pour les promoteurs de cette conception, l'attention est essentiellement axée sur la notion de motivation, d'engagement professionnel, de sacrifice, de performance ? à croire que le travailleur est disposé à se mettre à la disposition de l'organisation et qu'il suffit de le lui demander en le programmant pour qu'il s'exécute. Mission que c'est donné le management. En analysant le contenu de cette conception on se rend compte qu'elle est structurée autour de l'idée que le management a une mission de pourvoyeur de main-d'œuvre docile et convaincue de son statut de subordination comme si le travail est une caractéristique innée, alors que la réalité est tout autre. L'homme est obligé de travailler, il ne le fait pas par nature, mais par nécessité. Focaliser le management sur cette conception, c'est l'inscrire dans le sillage d'une fumisterie d'un scandale épistémologie qui enfermerait le management dans un discours non productif, d'où obligation de changement de paradigmes. Ce changement s'opère de façon perceptible avec la propagation des idées de certaines théories, à l'instar de la psycho-dynamique ou des théories brèves. Le travail est-il une valeur morale ? Si oui, comment peut-il devenir pathogène ? Pourquoi est-on obligé de prévoir les surveillants, contremaîtres et responsables ? Pourquoi les travailleurs de tous temps ont une aversion naturelle vis-à-vis du travail ? Pourquoi sont-ils non performants ? Comment pourrons-nous répondre à ce type de questions objectivement ? La réponse spontanée que nombre de personnes peuvent avoir est que le travail est à coup sûr une valeur morale et encore, peut-il en être autrement ? Mais, à bien y réfléchir et en le soumettant à l'analyse critique et objective, le demeure-t-il ? Adopter une position qui semble pour nombre de profanes contredire la thèse admise et acceptée par la majorité est à coup sûr un exercice suicidaire et scientifiquement improductif. D'où l'obligation d'étayer l'affirmation et de l'expliquer par un raisonnement scientifique juste et convainquant. Affirmer que le travail n'est pas une valeur morale n'est certes pas une nouveauté ou un scoop, certains théoriciens et spécialistes en la matière défendent cette thèse à l'instar du philosophe Spongeville. Pour eux, le travail ne peut être considéré comme valeur morale ; les raisons sont inhérentes aussi bien au travail qu'à la valeur morale. Le travail peut s'inscrire comme valeur morale dans un référentiel théologique ou idéologique qui le structure et lui donne sens, donc l'existence de la valeur morale travail suppose l'existence de ce soubassement et son fonctionnement cohérent, effectif, réel. La religion musulmane, la religion protestante et le socialisme valorisent le travail et l'anoblissent et pourtant le recours au management est de rigueur du fait des limites et impuissance du discours religieux et idéologique. Pourquoi le travail ne peut-il pas être valeur morale ? La réponse réside dans sa définition et sa nature. Définir le travail comme on l'a déjà signalé est une entreprise périlleuse. Trouver une définition consensuelle et globale déterminant exactement le travail est impossible. Littré en a cité plus d'une centaine. La seule certitude est qu'étymologiquement le travail trouve son origine dans l'appellation d'un instrument de torture «tripalium». Certitude qui détermine la valeur et la charge émotionnelle dévolue au travail, il est synonyme de peine, de labeur, de difficulté, de souffrance. D'ailleurs, la femme lors de son accouchement, passe par une phase de douleur atroce qualifiée de travail. Parallèlement à cette connotation de douleur et de supplice, le travail, à travers l'histoire de l'humanité, était toujours l'apanage des damnés de la terre, esclaves, serfs et travailleurs. Face à cette réalité, comment peut-on admettre que le symbole de la souffrance, de la servitude, de l'avilissement peut être assimilé à une valeur morale ? Le considérer comme tel c'est s'y méprendre et travestir le présent et l'histoire. Il est également utile de mettre en exergue une caractéristique de toute première importance qui exclue le travail de la valeur morale du fait que cette dernière se suffit à elle-même. Elle n'a pas besoin de quoi que ce soit pour exister, elle est intrinsèque, rien ne lui est nécessaire pour se manifester. La valeur morale s'exprime par elle même sans apport extrinsèque. L'honnêteté ou le sacrifice peuvent exister en dehors de toute considération. Si toutefois l'honnêteté ou le sacrifice exigent une contrepartie, ils cessent d'être honnêteté ou sacrifice. Leur valeur morale réside dans cette particularité qui ne s'applique pas au travail, qui s'adosse toujours à un équivalent qui le valorise et lui donne sa consistance et son existence. Il n'y a de travail que s'il y a une contribution qui est toujours évaluée et qui le confirme. Outre cette différence d'avec la valeur morale, il est également utile de souligner que la valeur morale s'exerce en continu et ne peut être interrompue de façon programmée et assumée par la personne qui s'en affranchit. Si elle le fait, elle se trouve de fait en transgression de la morale et par conséquent situation d'égarement que la personne normalement socialisée s'empresse de se repentir. Travaillons-nous en continu ? Avons-nous honte de prendre des congés ? Il est clair que le travail est une activité discontinue par définition et donc s'en défaire n'est pas une transgression ni atteinte à une quelconque valeur. Quelques autres caractéristiques de démarcation d'entre le travail et la valeur morale ; le travail exige une contrepartie et ne peut s'exprimer que par rapport à un déterminant extrinsèque qui lui donne sa valeur, qui généralement a une connotation économique et par conséquent le soumet à la logique mercantile. Caractéristique qui l'éloigne de la valeur morale et le situe dans une autre configuration qu'il faut solliciter et investiguer pour une efficience dans le traitement scientifique épousseté des considérations purement religieux et idéologiques. De ce qui précède, il parait clairement que considérer le travail comme valeur morale c'est les méconnaître et miser sur une conception erronée qui ne permet pas de trouver les solutions adéquates et productives. Se contenter de reprendre le discours religieux ou moral suppose l'existence de société religieuse imprégnée de morale, or la propagation de la démocratie et l'instauration de la laïcité l'ont justement écartée. Une impression de décalage du management par rapport à la réalité est manifeste. Considérer le travail comme valeur morale n'assure pas le but recherché et, à coup sûr, est improductif. Il devient impérieux de se positionner, d'investir sur les véritables leviers qui permettent de rendre le management efficient et de repositionner la conception qui fait du travail valeur morale, non pas pour s'en défaire en totalité pour l'inclure dans une logique plus globale. Le travail est important pour l'homme non pas parce qu'il est une valeur morale, mais parce qu'il permet la satisfaction de besoins et réalisation d'objectifs. La mission du management doit donc s'inscrire dans l'identification de ces besoins et la manière de les satisfaire. En outre, le travail est pathogène et altère la santé mentale parce qu'il est exécuté suivant une démarche qui n'est pas fidèle à sa nature. On attend du travailleur qu'il se «défonce» pour l'organisation en oubliant que cette situation est en réalité une agression qui finit par altérer sa santé en le soumettant à une érosion en continu. La mise en évidence de la nécessité de reprise de paradigme en la matière devient plus qu'impérieuse et surtout urgente tel que l'importance de la recherche du plaisir dans le travail. Changement de paradigme, changement de configuration de management et adaptation à une ère où le travail est tout à la fois source de bonheur, d'accomplissement, d'enrichissement et non pas de maladies et de souffrance. Quoi qu'il en soit, le travail est d'importance capitale pour l'homme, l'organisation et la société, il les structure et détermine leurs existences. Pour ce qui nous concerne, on s'intéresse à ses implications sur le travailleur, cet homme libre qui, bien qu'il soit affranchi de l'esclavagisme et du servage, subit les affres et contraintes du travail. La révolution industrielle et la propagation de l'industrialisation et son mode d'organisation représenté par le taylorisme ont modelé un monde de travail émietté et déshumanisant où le travailleur est tellement vil qu'il n'est considéré que comme force de travail exécutant des tâches sans le moindre apport cognitif, ce qui l'assimile à une bête de somme. Situation fortement décriée par plusieurs auteurs, spécialistes et constitue l'essentiel des plateformes revendicatives des syndicats qui, avec les changements idéologiques et les avancées du droit social et du travail, dénoncent le caractère contraignant et déshumanisant du travail tel qu'il est organisé par les employeurs suivant les recommandations et exigences de l'économie de marché qui fait de la concurrence son compas pour atteindre le cap du profit, l'essence de l'existence dans un monde financiarisé à outrance. Dans cette quête effrénée du profit et face à la concurrence attisée par une mondialisation toujours plus pressante, le monde du travail se trouve pris dans l'engrenage de la logique de la recherche de performance et du profit, qui se manifeste par l'obligation de demander toujours plus aux travailleurs, de pousser leurs limites, de leur demander de se surpasser, de puiser dans leurs capacités et possibilités de donner le plus qui assure la différence et le maintien face à la concurrence des autres. Il devient clair que la réalisation de ce maintien ne peut se faire que si les facteurs le permettent ; la variable d'ajustement possible s'avère être les travailleurs. Pour faire la différence il faut compter sur la variable travailleur intronisée ressource humaine, seule ressource que les autres ne peuvent avoir, toutes les autres variables que ce soit les techniques, les procédés, les financements, les machines sont disponibles pour tous de la même manière. Cette réalité constitue le soubassement du management, de l'importance de la GRH qui, depuis l'avènement du travail industriel dans une succession d'étapes, s'est toujours adaptée pour permettre la réalisation pour les organisations surtout économiques de l'objectif de l'économie de marché, à savoir le profit corollaire de survie. La GRH fonction d'harmonie et de survie de l'entreprise occidentale ne s'est constituée en pôle d'excellence et n'a pu avoir ses lettres de créances qu'on développant un discours propre, dépassant la dimension juridique, le manager n'est plus le gardien du temple à qui on confie la mission d'assurer la sérénité et l'ordre avec obligation du résultat. Ceci s'est effectué en changeant de mentalités et de paradigmes suivant un mouvement d'adaptation salvateur. Il est tout aussi clair que ce processus a engendré de façon certaine des goulots d'étranglement, des égarements, des difficultés que nous pouvons éviter profitant du fait que nous nous apprêtons à nous inscrire dans la logique de l'économie, une chance que nous devons exploiter. En prenant les éléments cités et en s'intéressant à la performance de l'entreprise algérienne, il est aisé de conclure à la non performance. Mais ceci mérite de préciser que cette défaillance est, suivant les critères et exigences économiques, considérée sous d'autres prismes à l'instar de l'obligation de régulateur et de générateur de paix sociale, l'entreprise algérienne s'est acquittée de sa mission. Le consensus apparent concernant la non performance de l'entreprise algérienne doit être nuancé pour restituer à la réalité sa véritable occurrence. L'entreprise n'a pas à être jugée ni en termes glorieux et encore moins critiquée, le véritable apport est de la mettre dans le sillage de la réflexion apaisée et surtout au service de la création de la richesse dans le cadre du développement durable. Questionner notre quotient, interpeller notre façon d'agir, de travailler, de produire est un impératif de survie, sans se voiler la face et se mentir. Ce travail de veille et d'investigation se doit d'être fait par les spécialistes loin des considérations à la solde d'intérêts occultes en n'ayant comme limites que celles que la raison et la science définissent. L'Algérie et le sort de l'Algérie est plus important que tout. * Professeur, docteur en psychologie des organisations et GRH |