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Suite et fin
La contravention en question est identifiée par la référence C10 (3éme degré) dans le nouveau code de la route : «contravention aux dispositions relatives à la priorité de passage des piétons au niveau des passages protégés». De surcroît, dans ce cas précis, au moins 3 articles vont être appliqués: - Art. 94 «Le permis de conduire est immédiatement retenu par l'agent verbalisateur contre remise séance tenante d'un document attestant de la rétention», - Art. 95 «Saisie d'un procès-verbal constatant l'une des infractions énumérées à l'article 94 ci-dessus, la commission compétente peut décider de la suspension du permis de conduire», - Art. 96. «La durée de suspension du permis de conduire est fixée à trois (3) mois. En cas de récidive, la durée de suspension est portée au double». - Art. 97. «Lorsque les infractions prévues à l'article 94 ci-dessus entraînent l'un des délits prévus à la section 2 du présent chapitre, le permis de conduire est transmis à la juridiction compétente». Il s'avère alors que si le conducteur porte atteinte au piéton, il verra transmettre son permis à la juridiction compétente, mais ce n'est pas tout ! L'Art. 69 précise ce qui suit : «Est puni d'un emprisonnement d'un (1) an à trois (3) ans et d'une amende de 50.000 DA à 200.000 DA, tout conducteur qui commet l'une des infractions ci-après ayant entraîné un homicide involontaire?» et parmi ces infractions on retrouve «non-respect de la priorité réglementaire», et encore une fois ce n'est pas tout ! Ce même article précise que : «Dans les mêmes conditions, lorsque le véhicule ayant servi à commettre l'homicide involontaire relève des catégories de poids lourds, du transport en commun, ou du transport de matières dangereuses, le conducteur est puni d'un emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans, et d'une amende de 100.000 DA à 500.000 DA.». Néanmoins, si le contexte rend l'Art. 69 applicable, le conducteur doit oublier l'histoire de rétention de permis (Art. 94), ou de suspension de trois mois (Art. 96). A savoir que dans l'Art. 98, cela devient très sérieux : «?la juridiction compétente peut procéder, en sus des autres sanctions pénales, à la suspension du permis de conduire ? pour une durée de quatre (4) ans», et s'il s'agit d'une récidive : «En cas de récidive, la juridiction compétente procède à l'annulation du permis de conduire». L'Art. 99 «enfonce le clou» pour les nouveaux conducteurs détenteurs de permis probatoire : «?. la juridiction compétente prononce, en sus des sanctions pénales, l'annulation du permis de conduire probatoire. Dans ce cas, celui-ci ne peut postuler à l'obtention d'un nouveau permis de conduire pendant une durée de six (6) mois à compter de la date de la prononciation de l'annulation». Mais détrompez-vous, ce n'est pas tout ! Jusqu'ici, le conducteur est supposé être en possession de toutes ses facultés psychomotrices. Néanmoins, si ce malheureux se trouve avec 0.2 g d'alcool par litre de sang ou bien sous l'emprise de stupéfiants (par exemple, après avoir fumé un ou deux joints), l'Art. 68 est «sans merci», et risque de s'y associer à chaque scénario : «Est puni d'un emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans et d'une amende de 100.000 DA à 300.000 DA, tout conducteur en état d'ivresse ou sous l'effet de substances ou de plantes classées comme stupéfiants qui commet un homicide involontaire», et encore une nième fois ce n'est pas fini ! De surcroît, «Lorsque le véhicule ayant servi à commettre l'homicide involontaire relève des catégories de poids lourds, du transport en commun, ou du transport de matières dangereuses, le conducteur est puni d'un emprisonnement de cinq (5) ans à dix (10) ans et d'une amende de 500.000 DA à 1.000.000 DA». De ce fait, M.AZOUNI, dans un entretien accordé à El-Watan, déclare que le nouveau code de la route n'apporte pas de solution à l'insécurité routière, il instaure seulement la peur du gendarme ! Pour ma part, je regrette le fait que le code de la route ait été écrit d'une «plume policière». Le conducteur et les autres facteurs humains : une histoire de coupable idéal ! La culture de la sécurité peut être peu propice au maintien d'un niveau de sécurité optimal. Conceptuellement, nous pouvons distinguer 5 niveaux souvent cités dans les travaux de recherche : - La culture de sécurité «pathologique» qui consiste à «friser» les limites de la réglementation sans chercher à améliorer la sécurité. - La culture «réactive» qui traduit une pratique «nombriliste» qui consiste à réagir seulement après l'accident. - La culture «calculatoire» qui est une culture d'infaillibilité caractérisée par un excès de confiance dans les mécanismes de sécurité mis en place. - La culture dite «proactive» qui est une conception nettement plus intéressante qui consiste à réfléchir à tous les problèmes liés à la sécurité aussitôt qu'ils se présentent. - Enfin la culture «générative» qui vient en premier lieu, car hormis la considération proactive des problèmes liés à la sécurité, cette dernière est considérée comme le centre d'intérêt. On favorise dans cette culture l'anticipation des problèmes en encourageant les idées innovantes et originales. Aujourd'hui, avec une majorité écrasante d'usagers de la route ayant une culture pathologique, des gestionnaires d'infrastructure et des élus locaux à culture réactive, ainsi que des spécialistes à culture calculatoire, se permettant de designer l'usager de la route comme étant responsable de plus de 90% des accidents, surenchérissant ces propos récemment en parlant de 94% ; et bien aujourd'hui, nous pouvons célébrer les funérailles de nos routes et pleurer en «play-back» les vies qu'elles nous arrachent tous les jours! Une année auparavant, lors du forum du quotidien El-Moudjahid, le Colonel A. Naïli, un des spécialistes de la sécurité routière de notre pays, admet, à l'instar de tous les autres invités, que le Facteur Humain est à l'origine de 90 % des accidents. Cependant, il y a quelques jours, une journée parlementaire sur la sécurité routière fut organisée à l'Assemblée Nationale Populaire avec la contribution de la commission des transports et des télécommunications, présidée par M. El-Daoui. Rétorquant à l'initiative visant à abroger le retrait de permis, A. Naïli revient à la charge en spéculant cette fois-ci, que le Facteur Humain est derrière 94 % des accidents ! A le croire, on peut conclure que le nouveau code de la route a effectivement empiré la situation. Mais comment peut-on prétendre cela, alors que le nombre de tués et d'accidents a baissé significativement ? Il faut savoir que la comparaison en termes de nombre de tués entre 2009 et 2010 est fondamentalement biaisée. Ainsi, avant de statuer sur les facteurs et la nature de l'évolution, il convient de comparer en termes de taux de tués et de taux d'accidents. A cet effet, il existe plusieurs techniques, comme par exemple l'agrégation par kilomètre parcouru (Taux d'accidents par kilomètre parcouru, Taux de tués par kilomètre parcouru, etc.). Etant donné les conditions climatiques défavorables (la neige par exemple) et également le nombre important de retraits de permis (approximativement 200.000), il est évident que le nombre de kilomètres parcourus en 2010 soit inférieur à celui de 2009. En effet, en comparaison avec 2009, les résultats de l'année 2010 ne constituent pas une preuve valable des bien-faits du nouveau code de la route, à partir du moment où la comparaison est en elle-même biaisée. Néanmoins, on peut accepter qu'une partie de l'écart positif entre les bilans de 2010 et 2009, s'explique par le fait que le nouveau code comporte plusieurs aspects positifs, notamment la lutte contre les violations et les sentiments d'impunité. Aujourd'hui, le sentiment de peur s'est instauré, mais la peur sans conviction ni éducation ne saurait suffire, au contraire, elle favorise la simulation et la triche. Le conducteur et le nouveau code de la route : une histoire de cache-cache ! Je trouve qu'il y a une franche contradiction dans le contenu du nouveau code de la route. L'Art. 8 stipule qu'«Il est institué le permis de conduire, le permis à points, le permis de conduire probatoire ainsi que le brevet professionnel pour le transport public de voyageurs et de marchandises», et que «Les modalités d'application du présent article, les modèles-types du permis de conduire, du permis à points, du permis de conduire probatoire ainsi que du brevet professionnel et les conditions de leur obtention sont déterminées par voie réglementaire ». Si le permis probatoire est mentionné à plusieurs reprises dans le texte, notamment à travers les contraventions B7 et C9 et l'Art. 99 instaurant l'annulation définitive de ce dernier, le permis à point quant à lui, ne fait l'objet d'aucune précision, mis à part une mauvaise définition donnée plus haut dans l'Art. 2: «outil modulaire et pédagogique visant à responsabiliser les conducteurs et à renforcer la lutte contre l'insécurité routière». La notion de permis à point disparaît brusquement du texte, ce qui explique entre autre, le recours excessif à la notion de retrait de permis qui se substitue par conséquent à la notion de retrait de points ! Dans tous les pays du monde développé, le retrait de permis n'est pas une démarche policière mais une démarche administrative, entreprise systématiquement après épuisement du solde de points. A titre d'illustration, admettons qu'à la base le permis se solde de 12 points, on soustrait 4 points pour non respect des feux tricolores, 4 points pour dépassement de la ligne jaune, encore 2 points pour une contravention au port obligatoire de la ceinture de sécurité. Désormais, il suffit d'un dépassement de vitesse de plus de 30 km/h par rapport à la limitation de vitesse pour que le permis soit définitivement déduit de ses 2 derniers points, et à ce moment là, l'administration engage une procédure de retrait de permis. Pour illustrer le caractère punitif et réactionnaire du nouveau code de la route, j'ai essayé de faire une recherche sur les termes employés (Source : Journal officiel de la République Algérienne n° 45, de la page 4 à la page 12) ; en tête du classement se trouve le mot «Contravention» avec 66 occurrences suivi de «DA» avec 64 occurrences, «Permis» avec 44 occurrences, «Amende» avec 38 occurrences et «Puni» avec 35 occurrences. Il y a aussi «Emprisonnement» avec 22 occurrences, «Suspension» avec 10 occurrences ou encore «Annulation» avec 9 occurrences. En contre partie, le mot sécurité ne se totalise qu'à seulement 9 occurrences, tandis qu'en bas du tableau, on retrouve côte à côte les mots « Education», «Formation» et «Infrastructure»?.. avec zéro occurrence chacun ! Personnellement, je suis convaincu que la réanimation de la sécurité routière est possible mais le chemin est long et requiert beaucoup de patience et de bon sens. Ce chemin passe inévitablement par des jalons comme l'éducation, la sensibilisation, la discussion, l'écoute, la proximité entre agents de l'Etat, policiers ou gendarmes, et les conducteurs. S'ajoutent à cela, la responsabilisation de chacun et l'intégrité de tous, et surtout la confiance mutuelle entre tous les acteurs (législateur, conducteur, piéton, gestionnaire d'infrastructure, élu, agent de l'Etat, éducateur, etc.). Récemment, j'ai lu dans la presse que le colonel Hamel, patron de la police nationale, adhère à ce courant constructif qui tend à admettre que l'erreur est humaine et que l'Homme est faillible et qu'il convient, avant de le sanctionner, d'essayer de l'accompagner pour lui permettre de consolider sa fiabilité. En tout cas, si cette information s'avère vraie, ce serait sans doute un retournement positif et non négligeable de la situation. Conclusion Mr A. TOU, ministre des transports, déclare que : «le nouveau code de la route est un nouveau né, laisser le mûrir, laisser grandir ! ». Je suis d'accord avec cet avis, à la seule condition que l'on m'apporte la preuve que ce dernier ne soit pas un «prématuré». Cependant, personnellement, je rejoins A. TOU sur le fait que le passage au permis à points consolidera le texte actuel, et je doute que la demande de la commission des transports et des télécommunications, d'abroger complètement le retrait de permis, soit recevable. En l'absence d'alternative concrète, en tant que scientifique, je ne partage pas les décisions à l'emporte-pièce et me méfie des discours populistes et électoralistes. Le nouveau code de la route est comme toute autre réglementation, il reste perfectible et peut même être abrogé. Néanmoins, ma profonde inquiétude est le conducteur. Ce dernier n'y est pas pour rien et il se trouve qu'il est même l'initiateur de cette logique de durcissement! Nombreux sont les conducteurs hésitants ou hostiles aux avis d'experts et susceptibles de dire: «après tout, c'est ma liberté, je fais ce que je veux, même si je me tue, ce n'est pas grave ! ». A ce moment là, on peut tout simplement ranger la science du risque avec toutes ses études et statistiques, et ensuite adopter un langage différent, réunissant à la fois souplesse et assurance, sensibilisation et mise en garde, ouverture d'esprit et fermeté. Ainsi notre réponse sera la suivante : la liberté de chacun se termine là où commence celle des autres. Il faut savoir que dans la majorité écrasante des accidents mortels, il s'agit de collision ou bien de renversement de piéton! Autrement dit, personne n'est seul sur la voie publique pour être libre et agir à sa guise. D'autre part, chaque individu constitue une richesse pour son pays, un retour d'investissement d'un pacte passé entre lui et sa société. Vous, conducteur, êtes un maillon indispensable à la chaîne de cohésion sociale, car autour de vous, il y a un père et une mère, un conjoint auquel vous êtes susceptible d'affecter le titre de veuf (ve), de petits «schtroumfs» auxquels vous feriez porter la casquette d'orphelin. Alors, avant de prendre le volant, pensez-y à plusieurs reprises s'il le faut, il y a des gens qui vous attendent à la maison et qui seront malheureux sans vous, il y a des usagers qui partagent la même route que vous, vous êtes humain et faillible comme tous les autres. Alors prenez votre sens des responsabilités et souvenez-vous toujours que Ayrton Senna, incontestablement l'un des meilleurs pilotes de tous les temps, est mort au volant de sa Formule 1 ! * Consultant, Expert des Systèmes de Transport et leur Sécurité |