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Suite et fin
A tort ou à raison, d'aucuns considèrent ce code comme une «valeur ajoutée» à la société traditionaliste, l'économie du texte, après modification opérée en 2004, étant comme suit : la polygamie sous réserve, la tutelle matrimoniale à l'égard de la fille (même majeure), la prohibition du mariage avec un non musulman pour la femme, le divorce comme faculté quasi-exclusive du mari, l'interdiction de l'adoption (tempérée toutefois par le système de la kafala ou recueil légal), l'absence de statut pour la mère célibataire et le droit à la moitié des parts en matière successorale. Sans être une préoccupation majeure pour les différents régimes successifs, le statut de la femme a fait l'objet d'une première codification en 1966 fondée également sur la chari'â, le projet ayant été élaboré par le Ministère de la Justice. Suite aux protestations qui s'ensuivirent, le gouvernement de Boumediene préféra retirer le projet. Le même scénario eut lieu au cours de l'année 1973. Sous Bendjedid, en 1981, un code similaire quant à ses dispositions vit le jour. Les principaux initiateurs seraient d'anciens ministres : Boualem Baki (Justice), Abderrahmane Chibane (Affaires religieuses) et Boualem Benhamouda (Intérieur). Ce code ne fut pas adopté, suite au tollé soulevé dans la rue par des femmes saluées comme des figures de prou de la guerre de libération nationale parmi lesquelles Djamila Bouhired, Zohra Dhrif et Fatouma Ouzegane. En effet, le 24 janvier 1982, le projet fut retiré sur décision de la Présidence, pour réapparaître, toutefois, en 1984. A titre comparatif, la Tunisie s'est doté d'un code dès 1956. Certes, empreint de mimétisme dans ses principales dispositions et en avance bien évidemment sur les pratiques sociales, la modernité fut le levain de ce code. Au plan juridique, le statut de la femme tunisienne apparaît nettement valorisant et valorisé. Reste que l'écart entre la théorie et la pratique doit être mesuré. En tout état de cause, deux exemples parmi d'autres, peuvent servir à marquer la différence entre les statuts algérien et tunisien. Ainsi, le divorce par consentement mutuel est inexistant dans le premier cas; bien plus, l'adultère et les injures et sévices graves ne sont pas constitutifs de faits entraînant le divorce. Par ailleurs, le droit au travail n'existe que si le contrat de mariage le stipule. En Algérie, la femme continue de ne pas être considérée comme un sujet de droit à part entière, d'autant plus qu'elle est une victime socialement observable; sans doute, en partie du fait d'une interprétation tendancieuse du texte divin. L'exemple le plus éloquent, à cet égard, est relatif à la polygamie. En effet, la sourate 4, verset 3 est claire : «Epousez donc celles qui vous seront plaisantes par deux, par trois ou par quatre; mais si vous craignez de ne pas être équitables, prenez-en une seule». La sourate 129 est tout aussi explicite : «Vous ne pourrez traiter équitablement toutes vos femmes, quand bien même vous le désireriez». A ce sujet, les rédacteurs du code ont entendu limiter à trois conditions la formation du lien matrimonial : le consentement, la présence obligatoire d'un tuteur et l'obligation d'une dot versée par l'époux. Selon l'article 8 : «Il est permis de contracter mariage avec plus d'une épouse dans les limites de la chari'â, si le motif est justifié, les conditions et l'intention d'équité réunies et après information préalable des précédentes et futures épouses». Ici, l'équité est de mise. Toutefois, comme déjà constaté, la conclusion du mariage pour la femme incombe à son tuteur matrimonial (le wali), le père ou un proche parent (article 11), sous réserve de ne pas contraindre la personne placée sous sa tutelle (article 13). Là, l'accent est mis sur le consentement. La principale obligation qui pèse sur le mari consiste à «subvenir à l'entretien de l'épouse dans la mesure de ses possibilités» (article 37). Telle que rédigée, cette disposition du code laisse sous-entendre que la femme est au foyer. Quant à l'épouse, elle est tenue d' «obéir à son mari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille» et de «respecter les parents de son mari et ses proches» (article 39). Il est à regretter que cet article ne puisse avoir de contrepoids en devoirs équivalents pesant l'époux. Il est à se demander si l'ambiguïté ne vient pas d'une mauvaise interprétation de la sourate 38 selon laquelle «les hommes sont supérieurs aux femmes par le fait qu'Allah en a élevé plusieurs au-dessus des autres et aussi par le fait qu'ils dépensent de leur fortune». Simplifions les questions de la filiation et des successions Autre question d'importance : si la filiation est établie par le mariage valide (article 40), quid des enfants extraconjugaux, ceux dits naturels, adultérins ou incestueux ? Quel est le statut et quels sont les droits de ces enfants ? Ainsi, selon l'article 41, seul le mariage légal permet d'affilier l'enfant à son père, c'est-à-dire par la possibilité des rapports conjugaux («sauf désaveu de paternité selon les procédures légales»). Quid de la fille mère et des subsides qu'elle serait censée demander, par voie judiciaire, au géniteur fuyard ? Il reste évident que le législateur a entendu, en la matière, évacuer du droit algérien les éléments pouvant présumer -voire certifier- de la paternité extra légale, tels que les actes de notoriété et la possession d'état. Il est navrant que cette question ne puisse trouver de réponse satisfaisante lorsqu'on sait que nombre d'enfants naissent en dehors de tout lien conjugal, enfants recueillis par l'assistance publique et que la délinquance et autres maux sociaux et psychologiques guettent. Enfin, l'adoption (tabbani) est interdite par la chari'â et la loi (article 46). Il est à se demander quelle est l'utilité d'ajouter la loi. En effet, pusillanime s'il en faut, le législateur algérien cherche t-il, tel un faux dévot, à mêler sa voix à la voie divine ? Toutefois, si l'article 46 interdit l'adoption, le chapitre VII sur la kafala (recueil légal) règle autrement cette question en 10 articles. Ainsi, l'article 116 dispose que : «Le recueil légal (kafala) est l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur au même titre que le ferait un père pour son fils. Il est établi par acte légal». De même, l'article 119 indique que l'enfant recueilli peut être de filiation connue ou inconnue, enfant auquel est reconnu le droit aux prestations familiales et scolaires comme pour l'enfant légitime. Il peut même prendre le nom du kafil. Serait-ce là une reconnaissance déguisée des enfants nés de relations extra conjugales ? En matière de tutelle, l'article 87 fait du père le tuteur de ses enfants mineurs; à son décès, l'exercice de la tutelle revient à la mère de plein droit. La question se pose de savoir s'il n'y a pas lieu de réformer cette disposition en instituant l'exercice conjoint de la tutelle (voire de l'autorité parentale) du vivant des époux ? En matière de divorce, s'il est loisible de constater, à la lecture des articles 53 à 55, certaines garanties à l'épouse, force est de constater que : «La femme divorcée perd ce droit (le domicile conjugal unique) une fois remariée ou convaincue de faute immorale dûment établie» (article 52,alinéa 3). Le législateur n'évoque pas cette situation pour l'homme monogame puisque, en effet, le polygame, quant à lui, jouit dans tous les sens du terme de cette «faute immorale» (l'adultère n'étant plus réprimé pénalement dans la législation des pays industrialisés, mais pouvant constituer le fondement d'un divorce pour faute avec toutes conséquences de droit, une fois établi). Pourtant, dans la sourate 2 «La Génisse», les versets 231 et 242 sont édifiants à cet égard. Le premier rappelle que lorsqu'il faut répudier des femmes, «gardez-les avec honnêteté ou renvoyez-les avec honnêteté»; le second : «Un entretien convenable est dû aux femmes divorcées. C'est un devoir pour ceux qui craignent Allah». L'autre dimension juridique du statut de la famille est constituée par le chapitre relatif aux successions; question complexe et ardue, s'il en est. Des plus opaques ; à dessein ? Ainsi, des dispositions générales énoncées (articles 126 à 138), celles de l'article 138 paraissent curieuses du point de vue de la formulation. Cet article est ainsi libellé : «Sont exclues de la vocation héréditaire les personnes frappées d'anathème et les apostats». Quant à l'article 143, il détermine les parts de succession : la moitié, le quart, le huitième, les deux tiers, le tiers et le sixième. Les catégories d'héritiers délimitées sont au nombre de trois : les héritiers réservataires (héritiers fard), les héritiers universels (héritiers aceb) et les héritiers par parenté utérine ou cognats (daoui en arham). Or, autant pour la première catégorie, il y a une certaine équité respectée entre hommes et femmes, autant pour la seconde on peut relever quelques observations ; ainsi, l'article 150 du code indique que : «L'héritier aceb est celui qui a droit à la totalité de la succession». A la tête des héritiers réservataires, ayant droit aux 2/3 de la succession, figurent les filles mais lorsqu'elles sont deux ou plus à défaut de fils du de cujus (donc un fils de cujus = 2 filles ou plus ?). Il en est de même des descendants du fils du de cujus, des soeurs germaines et des soeurs consanguines. Quant à la mère, elle fait partie des héritiers réservataires ayant droit au 1/3 (et encore «à défaut de descendance des deux sexes du de cujus» (article 148, alinéa 1er). Dans le chapitre V «De l'éviction en matière successorale» (Hajb), l'article 160 définit les héritiers bénéficiant d'une double réserve : le mari, la veuve, la mère, la femme du fils et la soeur consanguine. Là où le mari reçoit la moitié de la succession (à défaut de descendance), les veuves reçoivent seulement le quart et la mère le 1/3 (à défaut de descendance pour les unes et les autres). Seules la fille du fils et la soeur consanguine reçoivent la moitié de la succession (comme le mari donc), mais à condition d'être enfant unique; ce, à défaut de quoi, l'une et l'autre ne reçoivent que le sixième. Le chapitre VII sur l'héritage par substitution n'est pas pour dégager l'opacité sur la question. En effet, en matière de succession du de cujus (des descendants d'un fils décédé), l'article 172 en son alinéa énonce : «Au partage, l'héritier mâle reçoit une part de succession double de celle de l'héritière». Le législateur algérien a, sans doute, entendu faire application des versets 12 à 14 de la sourate 4 (Les femmes); lesdits versets indiquent : «Allah vous recommande de léguer à vos enfants : pour un enfant du sexe masculin la portion de deux enfants du sexe féminin. S'il n'y a que des filles, et qu'elles soient plus de deux, elles auront les deux tiers de ce que le père a laissé. S'il n'y en a qu'une, elle recevra la moitié» (verset 12) ; «A vous hommes la moitié de ce que vos épouses auront laissé, si elles n'ont pas eu de fils; mais, si elles ont un fils, à vous le quart de ce qu'elles laissent, après le paiement des legs et des dettes» (verset 13) ; «A elles (vos épouses) le quart de ce que vous laisserez si vous n'avez de fils; mais, si vous avez un fils, à elles un huitième de ce que vous laissez après le paiement des legs et des dettes» (verset 14). Comme on peut le constater, la question de la femme se révèle complexe, telle qu'exposée dans le code de la famille de 1984, les quelques timides modifications à ce code en 2004 laissent entière la question de la femme qui a, plus que jamais, besoin d'une réforme en profondeur. Sans doute que, en l'état actuel des choses, la réforme la plus raisonnable à envisager serait d'instituer un système civil qui permettrait de tenir compte des aspirations légitimes de certains segments importants de la société civile algérienne face à la tendance démesurée d'autres segments de la même société qui s'opposent à tort à l'accession de l'Algérie à une technologie juridique d'autres nations ayant atteint un degré évident d'évolution de la règle de droit telle qu'appliquée à la société. Le bonheur est une vieille idée, mais ce n'est point une idée vieillie; encore moins une idée vieillotte. * Avocat-Auteur algérien |