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La féminisation
de la vie sociétale est un fait incontestable. Il n'en demeure pas moins que
l'arrivée de la femme dans un domaine exclusivement public, comme le cinéma
pose encore problème. Qu'en est-il en Algérie, pays où le 7e art a très tôt été
considéré comme un outil de lutte et un moyen de libération?
Cette 101e journée anniversaire du 8 mars 1910, initiée par la Confédération Internationale des femmes socialistes, qui voulaient que les femmes puissent participer au vote, nous offre l'occasion de poser quelques jalons d'une réflexion qui reste à poursuivre : existe-t-il une approche spécifiquement féminine des Arts en général, et du 7e art en particulier? Les chromosomes auraient-ils leur mot à dire en matière de création artistique ? Les cerveaux des artistes fonctionnent-ils différemment selon l'origine biologique ? Les films réalisés par des femmes sont-ils fondamentalement différents des films réalisés par les hommes ? L'idée d'une littérature ou d'un cinéma «féminin» opposé à une littérature ou à un cinéma «masculin», nous apparaissant être un non-sens, tout comme d'ailleurs le fait de consacrer, une fois l'an, une journée exclusivement aux femmes. Si en littérature, tout un chacun peut reconnaître que le «génie féminin» s'exprime parfaitement, dans le domaine du 7e art, la donne est différente, même dans les pays occidentaux où la gent féminine est considérée comme libérée. Le constat fait à ce jour est que, contrairement aux écrivaines et aux romancières, les femmes cinéastes, n'ont pas apporté grand-chose au cinéma. Elles ont certes, bousculé les idées reçues mais sans bousculer les formes narratives, sans inventer de nouveaux codes cinématographiques, ni de nouvelles syntaxes. Choquantes, déterminées ou secrètes, elles ont donné simplement leur point de vue sur le monde. L'allemande, Margaret Von Trotta, l'Africaine, Sarah Maldoror, la sénégalaise, Safi Faye, tout autant que la romancière Margueritte Duras, qui finira par réaliser ses propres films, ont par l'image et le son, apporté leurs témoignages avec plus ou moins de succès. Ce cinéma, qualifié de «féminin», parce que réalisé par des femmes, reste cependant à définir. On peut, pour paraphraser Fellini dire que, le cinéma des femmes est plutôt en chacun d'entre nous («Cité des femmes»). Depuis des lustres, les femmes ont rêvé de conquérir l'espace cinématographique. Longtemps cadenassé, la création cinématographique, éternel bastion masculin, a commencé à s'ouvrir au «sexe faible». Femmes et cinéastes... Ces deux attributs, rarement accolés, ont fini par se rejoindre. Affectées traditionnellement aux postes de scripts, de monteuses ou de maquilleuses les femmes ont fini par accéder à l'écriture filmique et à la création cinématographique. Né dans des conditions difficiles, le cinéma réalisé par des femmes s'affirme, en se faisant le porte voix des blessures cachées, des douleurs grandes et petites qui tissent la vie ordinaire. Elles filment le quotidien dans sa nudité, sans emphase, sans fioriture. A travers leurs récits et leurs témoignages, c'est toute l'expression d'une inquiétude commune qui suinte. Ceci dit, peut-on, à l'instar de la littérature, parler d'une écriture, d'une narrativité filmique, d'une intelligence discursive spécifique au monde féminin ? La thématique, la stylistique, l'expressivité, divergent-elles fondamentalement, selon que l'on ait à faire à l'œuvre d'un réalisateur ou d'une réalisatrice ? Les cinéastes femmes ont-elles renouvelé l'art d'écrire, les représentations, l'art de concevoir la fiction, le documentaire cinématographique ? Leur approche des réalités et des problèmes quotidiens est-elle vraiment différente à l'écran ? Autant d'interrogations préoccupantes qui taraudent l'esprit de nombre d'acteurs culturels qui partagent le même rêve, la même mémoire d'origine, le même attachement au terroir. Au Maghreb, le cinéma se décline-t-il au féminin ? Bien avant que les femmes ne passent derrière les caméras, combien d'hommes ont réalisé d'excellents films sur la situation faites aux femmes ? Ils ont témoigné de leur combat et de leur résistance face aux discriminations, aux ostracismes, au nihilisme, à la bêtise humaine. En Algérie, dans Elles d'Ahmed Lallem (1966), dans L'Obstacle et Les premiers pas de Mohamed Bouamari, les femmes témoignent de leurs combats et leurs espoirs au lendemain de l'indépendance. Leila et les autres (1977), de Sid Ali Mazif, racontait l'histoire de Mériem, une jeune femme soumise à un mariage forcé qu'elle refuse, alors que son amie Leila se bat contre l'injustice dans le travail. Traité de manière documentaire ou sous forme de fiction le vécu des femmes dans la société algérienne apparaît de manière constante dans son cinéma. Dans Viva l'Algérie de Nadir Moknèche, les femmes sont intégrées dans l'espace social. Elles travaillent, sortent en ville, dansent? et refusent l'effacement que leur impose la société. Alors que la littérature sur la femme dans le monde arabo-musulman est d'une richesse inouïe, dans le domaine du cinéma, il n'en est pas de même. Une parfaite illustration vient de nous être fournie par Yamina Benguigui, à travers son dernier téléfilm «Aïcha, un job à tout prix», d'une mièvrerie flagrante, à tous les niveaux, technique, artistique et thématique. Une des raisons qui a incité les femmes à investir le domaine de la création est peut-être de réagir contre ces caricatures flagrantes faites d'elles. Pour contourner les obstacles, les cinéastes en herbe, maghrébines où d'origine maghrébine, ont d'abord investi le terrain de l'écriture, avant de pénétrer, quasiment par effraction, les arcanes machistes du monde cinématographique. En Algérie, c'est la romancière Assia Djebar qui est montée la première au créneau en 1978. L'écrivaine, pour qui l'activité littéraire revêt une importance de premier plan, a tenté deux aventures dans le cinéma. Mais c'est avec La femme du Mont Chénoua, que l'auteure a décrit parfaitement la condition des femmes montagnardes. En Tunisie, dès 1982, Nejia Ben Mabrouk, Fatma Skandrani, Sophie Ferchiou et Selma Baccar, ont suivi le même chemin. Ces dernières ont apporté une vision distincte du monde contemporain. Leurs œuvres, impertinentes ou sages, revendicatives ou superficielles, ambitieuses ou ambivalentes, laissent découvrir la vigueur d'une pensée la couleur d'un style ou le sérieux d'une histoire. Loin, très loin d'égaler leurs consœurs européennes et anglo-saxonnes qui disposent de plus de moyens logistiques et d'un contexte plus favorable à la création, les femmes maghrébines s'en sortent, malgré tout, avec de brillants faits d'armes avec, en commun, cette même passion de créer et d'affirmer leur existence. Les dernières productions parlent d'elles-mêmes. A travers leurs films, les réalisatrices se racontent, racontent leurs histoires, celles de leurs parents et ce faisant, traduisent les libertés confisquées, les souffrances, les douleurs et les atrocités trop longtemps contenues. Témoignant d'un vécu, elles montrent tout simplement la vie de leurs compatriotes, femmes et hommes ordinaires. De l'autre côté de la mer, la diaspora s'active. Yamina Benguigui, Djamila Sahraoui et Rachida Krim, Yasmina Adi, entre autres, ont réalisé d'excellents travaux. A travers Barakat, Djamila Sahraoui, a brossé un très beau portrait de femmes, l'une jeune, l'autre âgée, avec leur ironie et leur désenchantement. Un film éclairant sur la montée de l'islamisme en Algérie. Ces femmes partagent le même rêve, la même mémoire d'origine et le même attachement au terroir. On se surprend en fait à chercher la touche féminine qui caractériserait ces créations de femmes artistes. Peut-être s'inscrit-elle dans cette sensibilité, dans cette sensualité qui émerge de leurs images. La nouvelle génération veut briser les carcans et ouvrir la voie de l'audace. De nouvelles cinéastes ont pris le relais des pionnières. Figures de proue, telles, Farida Benyazid, Moufida Tlatli ou Yamina Chouikh qui ont permis au cinéma du Maghreb de devenir visible à l'intérieur et à l'extérieur des frontières. A travers Rachida, Yamina Chouikh a essayé de montrer, sans fioritures, le sordide quotidien de femmes prises dans la tourmente du terrorisme aveugle. En pleine violence terroriste, la réalisatrice a apporté son témoignage acerbe sur les années noires en décrivant la brutalité à vif, la barbarie, à travers la vie d'une enseignante brisée par les affres de prophètes autoproclamés. Cette fiction, terriblement proche de la réalité, reflète ce qu'ont subi les femmes algériennes dans leur quotidien au cours de cette «quinzainie» sanglante. Le résultat : un film prégnant, envoûtant qui laisse apparaître une sensibilité et une grâce dignes des grands cinéastes. De son côté, Tlatli Moufida a, à travers Les Silences du Palais, cherché à mettre en avant une thèse sur les individus, leur part d'ombre, tout en évoquant remarquablement, leur tristesse et leur part d'ombre. Pour échapper à la chape de plomb, à l'emprisonnement des femmes, dont il est toujours difficile de s'extraire, le chant, la musique, comme moyen de consolation, venu du fond des âges, comme raison d'espérer pour oublier la vie qui malmène les êtres fragiles. Ces préoccupations on les retrouve d'ailleurs dans son film suivant, La Saison des femmes et dans le film Les Secrets de Raja Amari. Dans L'enfant endormi, Yasmine kassari raconte l'histoire d'une jeune mariée, Zeinab, qui voit son époux quitter le pays pour la clandestinité le lendemain de ses noces. Enceinte, elle attend le retour de son mari et fait endormir son fœtus. Le temps passe, mais le mari ne revient pas... Le film, qui met en scène dans les rôles principaux Rachida Brakni et Mounia Ousfour, a remporté plusieurs prix internationaux. Nadia Cherabi dont l'œuvre documentaire (Amaria et El haouta) répond aux palpitations de la société algérienne, comme aux interrogations de la génération née durant ou après la guerre imposée par les islamistes aux civils. Pour porter l'univers immense de son pays, Nadia Cherabi se concentre sur la condition féminine en Algérie et, par extension, dans l'ensemble du Monde arabe. L'idée de son premier long métrage L'Envers du miroir, ne venait pas d'elle, mais de Sid Ali Mazif, le cinéaste dont les thèmes ont toujours traité de la femme. Ce film d'une force rare, raconte avec dextérité, une certaine naïveté et quelques larmes (inutiles), l'histoire bouleversante d'une jeune fille abusée par son beau-père. On peut ne pas aimer le film, mais ce dernier en posant un problème tabou, donne l'occasion de réfléchir sur la violence qui se déchaîne au sein de la famille. Récits ou témoignages sur le vécu des femmes, expression d'une inquiétude commune aux deux sexes, ces productions féminines révèlent en fait, les blessures cachées, les douleurs grandes et petites, qui tissent la vie ordinaire. Les femmes ont réussi à transformer les arts en moyen de lutte pour se libérer des affres du quotidien, des injustices, du totalitarisme et des oppressions de toutes sortes. Tel semble être le leitmotiv des femmes cinéastes du Maghreb. Porte voix des mémoires, leurs films qui naissent dans des conditions difficiles et même parfois au forceps, prennent souvent l'allure d'une critique sociale et/ou politique, situant l'identité et le statut de la femme au cœur de la réflexion. Ce qui fait dire à une jeune cinéaste : «Il nous faut, tenir compte des aspirations féminines, nous attaquer à la primauté de l'homme dans le couple, dénoncer les difficultés de la condition féminine». C'est un peu le message transmis par la nouvelle génération de femmes qui a pour nom Yasmine Chouikh, Leilà Habchi, Fatma Zohra Zamoun, Najwa Najjar, Amel kateb?et d'autres encore. Films en référence: Exil à domicile, de Leila Habchi Mémoire d'immigrés, Incha'allah dimanche, Plafond de verre de Yamina Benguigui Juanita de Tanger de Farida Benlyazid, Maroc (2005) 105' Fleur d'oubli de Selma Baccar, Tunisie/Maroc (2005) 102' La Pelote de laine de Fatma Zohra Zamoum, Algérie/France (2005) 14' Hier encore de Rima Samman, Liban/France (2006) 47' Sous mon lit de Jihane Chouaib, Liban/France (2004) 44' Le Chant de Yasmine de Najwa Najjar, Palestine (2005) 20' Amina ou la confusion des sentiments de Laurette Mokrani, Algérie/France (2005) 54' Lamine, la fuite de Samia Chala, Algérie/France (2005) 51' Bonne à vendre de Dima al-Joundi, Liban/France (2006) 53' Beyrouth : vérités, mensonges et vidéos de Maï Masri, Palestine/Liban (2006) 70' Viva Laldjérie de Nadir Moknêche |