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Voulu comme une
suite des protestations que connaît le monde arabe depuis le début d'année, le
cycle des révoltes a connu un sérieux revers en Libye où la révolte s'est vite
transformée en une guerre civile où l'un des deux camps reçoit une aide
militaire directe de la part des États-Unis d'Amérique, de la Grande-Bretagne,
de la France et de l'Italie. Contrairement aux pays voisins, la Tunisie à l'Est
et l'Egypte à l'Ouest, lesquels étaient et demeurent des pays très proches de
Washington, le régime libyen n'a jamais tourné dans l'orbite occidentale.
La répression est sévère. La guerre éclate entre la Cyrénaïque, province historique de l'est de la Libye et la Tripolitaine pour le contrôle des gisements d'hydrocarbures et le Fezzan. Pour un nombre croissant d'observateurs, il ne fait plus l'ombre d'un doute que tous les évènements en cours dans la région MENA sont l'œuvre d'une nouvelle stratégie américaine exploitant autant les déficits structurels que les caractéristiques sociodémographiques et culturelles de ces pays. Cela n'a rien à voir avec une quelconque théorie des complots, laquelle serait absurde dans ce contexte particulier où certains partis en Occident se croient en guerre avec le monde musulman. Si les revendications des peuples pour la démocratie et la liberté, voire même (tel que revendiqué ouvertement et avec force par la jeunesse arabe) pour le modèle consumériste véhiculé par ce que l'on appelle communément la mondialisation et son impact sur les jeunes générations des pays arabes demeurent le principal moteur de ces révoltes, ils n'en demeurent pas moins qu'elles servent autant en termes d'opportunités à des tierces parties étrangères comme de réelles aspirations pour un changement que les maîtres du monde savent par expérience qu'il est quasiment impossible. Le 17 février 2011, des manifestants se rassemblent via un appel lancé à travers les réseaux sociaux à Bengazi pour commémorer le massacre de prisonniers appartenant aux principales tribus de la Cyrénaïque dans la prison de Abu Sélim en 2005. Le bilan de cette mutinerie varie selon les sources de 500 à 1600 morts parmi les détenus. Il serait important de rappeler que la ville de Bengazi comme les principaux centres urbains de la Cyrénaïque, n'ont jamais accepté et encore moins adhéré aux idéaux révolutionnaires de Mummar Kadhafi. La bourgeoisie de Bengazi et les milieux d'affaires affichaient un profond mépris à l'égard de celui qu'ils considéraient comme un bédouin issu d'une obscure tribu rivale. Très vite, les manifestations dégénèrent en affrontement avant de tourner à l'émeute armée. Comme il de coutume dans un pays où la quasi-totalité des citoyens sont armés, la répression est brutale. Bientôt, des milices tribales armées auxquelles se joignent des militaires par allégeance tribale se heurtent aux forces de sécurité du régime. Les insurgés de Cyrénaïque, regroupant aussi bien des éléments du Groupe islamique combattant Libyen (GICL) que le régime de Tripoli n'a cessé de réprimer depuis des années, ainsi que des jeunes portant les sigles du poing levé des révolutions colorées ont pris d'assaut les bases militaires. Des dizaines de morts tomberont devant les murs d'enceinte et sous les miradors des casernes ciblées par les attaques. Assez vite, des militaires réguliers rejoignent le mouvement des insurgés par le biais d'un jeu complexe d'allégeances tribales et de clientèle clanique. Des missiles SAM, des blindés et des pièces d'artillerie tombent entre les mains des insurgés. Les autorités recourent à l'arme aérienne pour détruire leurs propres bases militaires tombées. Les médias se déchainent et présentent la situation sous l'angle d'une manifestation pacifique subissant les frappes d'avions de combat Mirage F-1 et Mig-27. Le déficit en termes de communication sera fatal au régime de Kadhafi. Aux Nations Unies, le numéro deux de la mission libyenne auprès de cette organisation internationale se retourne contre le régime et entame une campagne médiatique sur la répression. Le Numéo un, compagnon de parcours de Kadhafi depuis de longues années et en disgrâce depuis deux ans (d'où son éloignement) met beaucoup de temps avant de se ranger aux côtés des insurgés. Les treize bases aériennes de l'armée libyenne constituaient la principale force de frappe du régime de Kadhafi contre ses rivaux. Le passage et la défection des chefs de l'armée de l'air le privent de cet avantage stratégique. En Cyrénaïque, des « conseillers » militaires étrangers débarquent à partir d'unités de surface ou de sous-marins pour prendre en main le rétablissement des commodités et des communications puis la formation de troupes paramilitaires en vue de marcher sur la capitale, et particulièrement Bab Azizia, le camp retranché de Kadhafi. En parallèle à ces actions militaires, le régime de Kadhafi fait face à une formidable bataille diplomatique : les chefs de postes diplomatiques et consulaires libyens à l'extérieur font défection. Certains d'entre eux préparent déjà l'après Kadhafi et rivalisent dans la surenchère, notamment en présentant un tableau plus sombre de la situation. Fait notable : la Libye est éjectée du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Une revanche pour les États-Unis d'Amérique, la Grande Bretagne et surtout Israël. Une revanche recherchée depuis une dizaine d'années. La Maison Blanche prononce la sanction : Le régime Kadhafi a perdu la bataille diplomatique et ne représente plus rien à l'étranger. Peu de temps auparavant, dans un mouvement similaire à ceux ayant suivi les révoltes de Tunis et du Caire, la Confédération Helvétique annonce le gel des avoirs de Kadhafi. Une annonce pour le moins étrange puisque la Libye avait procédé au retrait de l'ensemble de ses avoirs en Suisse lors de la crise intervenue entre les deux pays en 2009-2010. Cependant, Kadhafi et son clan, dont son bras droit Moussa Koussa, résistent encore. Ils viennent de perdre l'aviation mais ne renoncent pas pour autant à se battre. Par une ironie du sort, la France et la Grande Bretagne, anciennes puissances coloniales au lourd passif en matière de crimes, sont derrière un projet de résolution sur la Libye lui imposant un embargo multiformes et l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne ; pis, les deux pays se chargent d'établir les preuves de crimes contre l'humanité que le régime de Kadhafi aurait commis en réprimant les manifestations avec des armes lourdes et l'aviation. De lourdes sanctions sont prononcées à l'encontre du clan Kadhafi dont sa fille Aïcha. En parallèle, l'Italie suspend les clauses de non agression d'un pacte signé avec la Libye. Ce qui paraît logique puisque l'ensemble des bases militaires sont mobilisées par les forces de l'OTAN pour soutenir les insurgés. Ces derniers reçoivent via un pont aérien établi par le Qatar et les Emirats Arabes Unis mais également avec le concours actif de l'Egypte, d'importantes quantités de matériel, de médicament et d'armes-surplus des dépôts d'armes des armées irakienne et afghane- acheminés des bases US en Irak et d'Afghanistan. La plupart des armes fournies devaient être identiques à la dotation de l'armée libyenne, dont les stocks étaient parmi les plus importants du Maghreb, afin d'éluder toute accusation d'ingérence. Dans les médias mobilisés aux côtés de la furie américaine, la situation est toujours et non moins uniformément présentée comme des protestations. A-t-on déjà vu des protestataires se battre avec des armes lourdes avec une armée régulière comme cela s'est passé à Mistrata, troisième ville de Libye? Qu'importe. Le battage médiatique et les glissements sémantiques sont capables de faire passer n'importe quoi. La capitale de Cyrénaïque, Bengazi, indépendante du pouvoir central de Tripoli pour la première fois depuis 1951, se prépare à lancer une offensive militaire contre la province occidentale tant honnie. Des bataillons formés des anciens militaires de l'armée régulière ayant fait défection, de volontaires des tribus et de mercenaires sont promptement mises sur pied par les forces spéciales américaines, britanniques et françaises dont la présence effective sur le sol libyen fut signalée pour la première fois le jeudi 24 février 2011 à 01h50 heure locale. Quant à Tripoli qu'on tente d'affamer ou du moins réduire par un embargo total, des experts se montrent peu convaincus en estimant que cela prendrait assez de temps pour que les opinions Arabes, en majorité favorables aux protestataires et à l'opposition, puissent basculer et voir en Kadhafi une sorte de héros de l'anti-impérialisme. La décision est prise entre le 25 et le 26 février d'en finir avec en utilisant la force militaire dont des frappes aériennes utilisant de nouveaux missiles anti-bunker ainsi que de nouvelles armes (DYME et bombes électromagnétiques). La secrétaire d'Etat US, Hillary Clinton et peu de temps avant elle le président Obama, ont tous les deux déclaré que Kadhafi et son clan devaient partir. Sauf que pour une fois, aucune porte de sortie n'est laissée à Kadhafi sinon de comparaître devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité. Toutes ses mesures ne sont pas pour autant susceptibles de conclure la « révolution libyenne » que les stratèges américains ont voulue très courte, au moins aussi courte que les révoltes en Égypte et en Tunisie. Un mémorandum interne du Pentagone datant de juin 2003, soit trois mois après la chute de Bagdad et portant les possibilités d'intervenir militairement contre des pays Arabes, indiquait qu'il faut moins de 72 heures pour écimer le régime libyen. Si l'option militaire fut abandonnée après les gouffres financiers de la malédiction mésopotamienne et le fiasco afghan, cette idée a demeuré dans l'esprit des concepteurs de ces lames de fond visant la transformation de la région Afrique du Nord/Moyen-Orient par des moyens pacifiques. Ce n'est pas le cas pour la Libye. Il va falloir intervenir militairement pour déloger Kadhafi de son fief retranché de Tripoli (Bab Azizya). A l'heure où nous rédigeons ces lignes des navires de la marine royale britannique sont venus en renfort aux unités de surface de la 6ème flotte US tandis que la France et l'Italie ont établi leurs quartiers en Sicile et à Malte. Les jours du régime libyen sont comptés. Cependant, le cycle des révolutions pacifiques sans intervention directe vient d'échouer. Par une ironie du sort, Muammar Kadhafi vient de forcer les occidentaux, à leur corps défendant en ces temps de crise financière, à ouvrir un nouveau cycle fermé avec la mort de Saddam Hussein. Au premier mars 2011, l'environnement géostratégique de tous les pays d'Afrique du Nord est plus que volatile. Indubitablement, la Tunisie demeure le pays le plus exposé après la chute du verrou libyen tandis que l'Algérie se voit directement menacée par un immense vacuum s'étendant du littoral libyen au Sahel. Les gisements d'hydrocarbures attisent d'énormes convoitises dans une région qui renoue avec la présence et l'interventionnisme de pays ayant un lourd passif colonial. Pour la première fois depuis longtemps, le Maghreb dont la population-trop jeune pour la plupart pour avoir connue l'occupation étrangère-est menacée non seulement du Sud (Sahel) et du Nord mais de l'intérieur même de son espace géopolitique par l'intervention militaire étrangère directe. Un constat primaire : l'Union du Maghreb Arabe est bel est bien enterrée depuis longtemps. Tout comme un certain esprit révolutionnaire de résistance et d'opiniâtreté. |