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Dans son discours du 2 mars 2009 (Biskra), le président de la République a exhorté l'opinion publique d'être aux aguets contre toutes sortes d'agissements des spéculateurs et appelé la justice à jouer pleinement son rôle. Avec la même tonalité, le Premier ministre Ahmed Ouyahia avait déclaré que les lobbies de l'importation sont à l'origine de l'augmentation des prix des aliments de consommation. Leurs hausses «n'ont rien à voir avec la bourse internationale», avait-il déclaré, et d'ajouter: «Quand j'évoque les lobbies, je ne suis pas en train d'inventer une situation. Il est loin de moi l'idée de cacher des vérités au peuple algérien. C'est une réalité en face de laquelle nous sommes appelés d'agir avec fermeté et rigueur». Soit. Entre-temps, dans un petit carré presque invisible de la page 05 du Quotidien d'Oran du 26 février 2009, le journaliste R.L. rapporte qu'une affaire sur la poudre de lait est en cours d'instruction actuellement devant le tribunal d'Es-Sénia «dans le cadre d'une enquête sur la matière première (poudre de lait) destinée à la fabrication des sachets de lait dont le prix est subventionné par l'Etat». On reproche aux personnes présentées devant la justice d'avoir mis en vente sur le marché noir le lait de poudre destiné à la fabrication de sachets de lait... 20 tonnes étaient encore en attente d'être écoulées et pas seulement... En fait, le lait, depuis l'augmentation vertigineuse de ce produit dans le marché mondial - qui est passé de 2.000 à 5000 dollars la tonne - et l'accroissement de sa consommation dans notre pays atteignant les 3,5 milliards de litres par an (1), la facture d'importation de lait en poudre n'a cessé de grimper et de susciter par conséquent chez certains importateurs peu scrupuleux l'occasion inespérée d'engranger des plus-values inattendues surtout lorsqu'on sait que l'Etat subventionne ce produit vital à hauteur de 60% pour une facture globale qui dépasserait les 600 millions de dollars (2). Selon le Centre national de l'informatique et des statistiques (Douanes nationales), la facture du lait et ses dérivés s'élève à 1,29 milliard de dollars contre 1,06 M dollars en 2007 (soit une hausse de 21,72%). Un Algérien boit 80 litres de lait par an lorsqu'un Marocain n'en consomme que 30. Les trafics de toutes sortes dont le lait de poudre fait l'objet font resurgir directement ou indirectement le syndrome chinois qui a fini par tuer des nourrissons et envoyer d'autres (53.000) aux hôpitaux après avoir consommé du lait frelaté à la mélamine. Dieu merci, nos importateurs et autres transformateurs laitiers n'ont pas poussé le culot jusqu'à procéder au rajout de substances toxiques utilisées dans les colles et résines comme l'ont fait les Chinois du groupe Sanlu. Mais il y a lieu de s'inquiéter sur les manipulations lors de la transformation de la poudre et de se demander sur l'origine de ce goût et cette odeur désagréables qui renseignent sur les conditions de sa préparation. Tout n'est pas «clean» dans le secteur. Combien de fois n'avons-nous pas distribué un produit de mauvaise qualité. Combien de fois la presse n'avait-elle pas évoqué ici ou là l'utilisation de poudre fortement avariée avec des anomalies sur le plan microbiologique ? L'absence de l'Etat en dépit de discours récurrent sur la question, l'impéritie du ministère chargé de veiller sur la santé des gens, l'indifférence des associations de défense des droits des consommateurs dans le combat quotidien qui consiste à alerter l'opinion et poursuivre éventuellement les transformateurs de lait qui ne respecteraient pas les normes, l'absence d'une structure de veille sanitaire, l'impuissance structurelle des laboratoires de contrôle de vérifier tout ce qui se consomme... sont autant de facteurs qui ont renforcé l'idée de l'impunité chez les ripoux. L'on se rappelle que lors du pic de la pénurie (2007), les opérateurs algériens avaient demandé aux pouvoirs publics, dans le but de maintenir ce produit de large consommation à la portée du grand public, soit de libéraliser le prix fixé à 25 DA par l'Etat, soit de le subventionner. Pour juguler la crise, le gouvernement de l'époque avait fait ce qu'il fallait faire, c'est-à-dire intervenir en injectant 111 millions d'euros. Les Marocains ont fait de même, car face à la même flambée, ils ont consenti des baisses de droits de douane pour amortir la hausse auprès des consommateurs et éviter ainsi les tensions sociales. Dans «le cahier de charge», ou plutôt les engagements que devaient respecter les transformateurs, il a été surtout question qu'en contrepartie de la subvention, les opérateurs privés doivent s'atteler uniquement à la fabrication du lait et non la fabrication des autres produits tels que les fromages et les yaourts, ce qui va évidemment arranger les affaires de Danone Algérie, qui devient de fait le détenteur du monopole des produits dérivés. Aussi bien en droit international qu'en droit interne, le lait est soumis à une réglementation drastique. Son contrôle fait partie de la responsabilité des Etats mais également des associations activant dans le domaine de la protection des intérêts matériels et moraux des consommateurs. Dans le monde, le mouvement des ONG a été très productif en actions et en littérature. Les instruments juridiques, les documents techniques, les initiatives volontaires, les stratégies proposées et notamment les codes de bonne conduite ont été d'un grand apport. Derrière l'implication des instances internationales rattachées à l'ONU, il y a eu tout un travail de forcing mené par la société civile internationale notamment l'IFBAN et la Leche League. Non seulement ils ont exercé des pressions considérables au niveau international en divulguant les abus des multinationales du lait de poudre, en participant à des consultations et par des boycotts à la consommation, mais ils ont aussi encouragé l'adoption de lois, la mise en place de mécanismes de contrôle, la formation aux questions de santé et exercé une surveillance aux niveaux international et local. L'industrie du lait s'est installée de manière féroce et agressive. Le chiffre d'affaires d'une firme comme Nestlé dépasse celui de l'OMS. De plus, l'influence des multinationales sur les décideurs politiques et les fonctionnaires internationaux de l'OMC, de la Banque mondiale, du FMI et des gouvernements est établie. Les cas de corruption sont légion. En Colombie, par exemple, Nestlé n'a pas hésité, sous l'oeil complice du pouvoir en place, à prolonger les étiquettes des boîtes de poudre de lait dans le but de prolonger ainsi leur validité. L'affaire est portée devant la justice. La mondialisation aidant, les objectifs économiques ont été placés avant ceux de la santé. Situation intolérable qui a poussé la société civile internationale ainsi que les organisations gouvernementales à réagir. Depuis la création de l'OMC en 1995, le fossé abyssal qui sépare les riches et les pauvres s'est approfondi dramatiquement. Dans la mesure où, au sein de l'OMC, l'idéologie néo-libérale est hégémonique, il est clair que cette organisation va s'apparenter à l'ancien «Etat gendarme» dont la fonction principale serait de faire respecter les règles d'un marché concurrentiel. A en croire Miguel Rodriguez Mendoza, directeur général adjoint et coordinateur principal à l'OMC, «les accords de l'OMC sont influencés par les questions de santé. En fait, dit-il, les préoccupations en matière de santé prennent le pas sur les questions commerciales; le cas échéant, les gouvernements peuvent mettre de côté les accords de l'OMC afin de protéger la vie de l'homme. La prise de conscience des risques des télescopages entre les intérêts de la santé avec les impératifs du marché mondial date de deux faits majeurs. Le procès intenté par des entreprises multinationales pharmaceutiques au gouvernement de l'Afrique du Sud en 2001 et le procès engagé par Nestlé contre l'Etat du Nicaragua. Cette prise de conscience a mobilisé les intermondialistes dont la contestation de l'hégémonie mercantile s'est parfois exprimée dans la rue. Dire que l'OMC fait fi des questions de santé publique serait un discours exagéré. Nous avons pu recenser un certain nombre d'accords qui ont pour vocation non seulement d'influencer la santé et les politiques de santé, mais aussi d'établir des liens entre les politiques commerciales et les politiques de santé. Deux questions fondamentales auxquelles un rapport de 2002 établi conjointement par le secrétariat de l'OMC et l'OMS tente de répondre. Parmi ces accords, il y a: - l'Accord sur les obstacles techniques au commerce (Accord OTC), - l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS). L'Accord OTC et l'Accord SPS permettent aux pays de limiter le commerce pour des raisons légitimes, y compris la santé. Mais ils exigent aussi que les mesures ainsi prises ne restreignent pas le commerce de façon non nécessaire. L'Accord SPS, qui traite de certains risques pour la santé, contient des règles spécifiques destinées aux pays qui veulent restreindre le commerce pour assurer la sécurité sanitaire des produits alimentaires. L'Accord SPS exige fondamentalement des Membres qu'ils aient une base scientifique pour justifier les mesures commerciales destinées à atténuer un risque sanitaire. Si les preuves scientifiques disponibles ne sont pas suffisantes, l'Accord SPS autorise l'adoption de mesures provisoires. La jurisprudence de l'OMC a confirmé en plusieurs occasions que les Membres de l'OMC avaient le droit de déterminer le niveau de protection sanitaire qu'ils jugeaient approprié. Il a été reconnu à l'OMC que la santé des personnes était «importante au plus haut point». Ceci dans le domaine des pesticides, l'amiante, le tabac... mais pas encore pour le lait en poudre. Pour cela, il faut considérer que le lait en poudre constitue un commerce dangereux, que les pouvoirs publics dans un Etat peuvent intervenir par l'application - par exemple - de droits de douanes plus élevés pour son importation. Pour l'application des Accords SPS, les Membres doivent pouvoir démontrer, à l'aide de preuves scientifiques, qu'il y a effectivement un risque pour la santé justifiant des mesures commerciales non fondées sur les normes internationales. Jusqu'à nos jours, ces Accords n'ont jamais été évoqués pour restreindre le commerce international du lait en poudre. Pourtant, l'on sait aujourd'hui que ces produits peuvent être contaminés par des microbes (3). Il est fréquent dans le marché mondial que des produits laitiers soient rappelés (33 en 1993). Les preuves scientifiques de leur dangerosité existent. L'Académie américaine de pédiatrie en donne la démonstration dans sa déclaration (RE9729). Ceci outre le fait que l'utilisation du lait de poudre participe à la pollution par son transport, sa fabrication, ses déchets... En dépit donc de ces risques prouvés, les médias en parlent peu. Des données cliniques de recherches médicales démontrent qu'il y a lieu de s'inquiéter. Pour ne donner qu'un exemple, des dangers que présentent les nitrates que contient l'eau utilisée pour reconstituer la formule lactée font sérieusement peur. Revenons maintenant à nos trafiquants pour dire que les filouteries dont le lait est l'objet est une atteinte grave non seulement à la réglementation en vigueur mais aussi aux droits de l'homme puisqu'il s'installe confortablement dans le couloir du droit à l'alimentation par son lien intrinsèque à la vie, à la santé et au bien-être, qui sont autant de droits sociaux reconnus par la constitution. Le droit à l'alimentation peut être envisagé comme faisant partie de cette deuxième génération des droits de l'homme, doté d'une nature différente, destiné à assurer au citoyen des prestations concrètes (la satisfaction de besoins réels). De fait, il ne suppose plus la simple abstention de l'Etat (comme c'est la cas pour une bonne partie de droits), mais, au contraire, il commande son intervention active. D'une façon générale, le droit de l'homme à l'alimentation suscite concrètement l'idée que chacun doit disposer de suffisamment d'aliments, qui lui sont nécessaires, pour être dans des conditions nutritionnelles descentes. «Le droit à une nourriture suffisante est réalisé lorsque chaque homme, chaque femme et chaque enfant, seul ou en communauté avec d'autres, a physiquement et économiquement accès à tout moment à une nourriture suffisante ou aux moyens de se la procurer.» (4) Ajoutant enfin qu'il y va de la crédibilité de l'État de veiller sur ce que consomment ses citoyens. Que Dieu nous préserve. *Juriste - Université d'Oran Notes 1- Elle n'en produit que 2,2 milliards de litres par an dont 250 millions sont collectés et traités par des entreprises locales. A titre de comparaison, 1/5 du volume consommé au Maroc provient de l'importation. 2- Cette opération est confiée au l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONIL), organisme chargé de réguler le marché laitier national et d'approvisionner les acteurs intervenant dans le secteur en matière première. 3- Dans le Enterobacter sakazakii et les autres micro-organismes présents dans les préparations en poudre pour nourrissons, le Enterobacter sakazakii est un agent pathogènes qui existe dans les préparations en poudre pour nourrissons. 3- Requête du Sommet mondial de l'alimentation (SMA), tenu à Rome du 13 au 17 novembre 1996, le Comité des Nations Unies (NU) pour les droits économiques, sociaux et culturels (Comité DESC). |