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Dossier - Secteur de la Pêche et des Ressources halieutiques: Enjeux et perspectives de développement

par Mokhtaria Bensaàd

Entre un marché instable et un produit encore inaccessible pour le citoyen, et une activité qui tâtonne et qui cherche sa voie dans le monde économique, le secteur de la Pêche et de l'Aquaculture aspire à un développement et une croissance malgré tous les enjeux d'une sécurité alimentaire durable, d'une rentabilité économique et de l'impact environnemental.

Le Salon international de la Pêche et de l'Aquaculture (SIPA2024), organisé entre  le 8 et le 11 février, au centre des Convention d'Oran (CCO) ‘Mohamed Benahmed', par le ministère de la Pêche et des Production halieutiques s'est voulu un espace d'exposition des produits de la pêche et de l'aquaculture mais aussi un atelier et un débat ouvert sur toutes les problématiques et stratégies à mettre en place pour booster le secteur et préserver les ressources halieutiques.

Une lourde facture prévue pour les navires polluants

Si le secteur de la Pêche et de l'Aquaculture voit grand avec la stratégie gouvernementale mise en place et les avantages financiers et fiscaux prévus, il est, d'autre part, soumis à la nouvelle règlementation internationale mise en place au mois de janvier 2024, avec effet au 1er mai 2O25, portant sur le contrôle des émissions atmosphériques (ECA), prévue dans le cadre de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL), élaborée par l'Organisation maritime internationale (OMI). Une nouvelle disposition qui impose de lourdes pénalités aux ports et navires polluants avec le risque d'être affichés dans la liste noires, au cas de non-respect de cette règlementation.

C'est dans ce cadre que l'atelier POWER4MED, organisé lors du SIPA2024 et animé par le Coordinateur du laboratoire des sciences et engineering maritimes, à l'université Mohamed Boudiaf (USTO), Beladjine Boumedienne, s'est voulu une sonnette d'alarme sur les enjeux de l'application de cette nouvelle règlementation. Pour cette universitaire qui est aussi membre du Comité sectoriel pour le développement technologique, au niveau du ministère de la Pêche et des Productions halieutiques et également membre du Bureau technique de transport vert dans la Méditerranée, au sein de l'Union européenne, « Il est temps que les pouvoirs publics prennent conscience de l'évolution de cette règlementation et se préparent, à cette nouvelle donne, qui risque de pénaliser l'activité maritime à l'horizon 2030 ». Selon notre interlocuteur, les pénalités de pollution peuvent atteindre jusqu'à 200.000 euros. Les quotas des émissions ont été fixés à 40% en 2025 pour les navires et les pénalités seront revues à la hausse progressivement passant de 80 euros à 200 euros la tonne. Pour éviter à nos ports et navires d'être mis sur la liste noire, des solutions existent, a affirmé le Coordinateur du laboratoire des sciences et engineering maritime. Ces solutions consistent en la modernisation de la flotte maritime avec une réadaptation en termes de motorisation et du carburant utilisé. Ceci, en plus d'une panoplie de solutions techniques.

Horizon 2030 : Une production halieutique de 200.000 tonnes prévue

Avec une production halieutique annuelle de 200.000 tonnes par la pêche en haute mer et l'aquaculture qui sera réalisée à l'horizon 2030, le secteur de la Pêche va connaitre un essor économique important et un développement en raison de la nouvelle politique mise en place pour exploiter toutes les potentialités du secteur. Le ministre de la Pêche et des Productions halieutiques, Ahmed Badani s'est montré confiant quant aux perspectives tracées pour la pêche et l'aquaculture en annonçant, en marge du SIPA2024, que ce volume de production à l'horizon 2030 sera divisé à raison de 50% provenant de la pêche en haute mer et 50% provenant de l'aquaculture. La production annuelle issue des fermes aquacoles, prévues d'ici 2030, selon le ministre, sera estimée à 40.000 tonnes, contre 7.000 tonnes enregistrées actuellement. Durant cette même période, les objectifs prévisionnels pour la production issue de la pisciculture, élevage de poisson en eaux douces, à l'exemple du tilapia, est de 60.000 tonnes par an. Un défi à relever pour le ministre qui a insisté sur l'importance des investissements mis en place, dans le seul but de booster le secteur et d'assurer la sécurité alimentaire du pays. Toujours pour le développement de l'Aquaculture, le ministre a souligné le développement rapide qu'a connu cette filière pour certaines espèces comme la daurade, le loup de mer et le tilapia rouge dont les alevins et la nourriture sont produits localement. Il a également évoqué l'ambition de l'Algérie de créer des fermes pour engraisser localement son quota de thon rouge au lieu de l'exporter tel quel. Une opération qui demande une grande maîtrise de la technique et un savoir- faire sur le plan de la nutrition de ce poisson.

La création de ces fermes apportera une valeur ajoutée à ce produit et des revenus en devises, selon le ministre qui a indiqué que le quota de l'Algérie du thon rouge est estimé cette année à plus de 2.000 tonnes contre 1.650 tonnes, l'année dernière. Son exportation a permis de réaliser des revenus s'élevant à 35 millions de dollars.

Construction navale : Le Venezuela et le Cameroun intéressés

L'Algérie est prête pour l'exportation des navires de pêche. Le secteur de la Pêche voit grand dans le domaine de la construction navale vu sa maîtrise et son expertise dans ce domaine. Un savoir-faire qui intéresse les pays africains et arabes et qui met le pays en concurrence au niveau international. Pour le ministre de la Pêche et des Productions halieutiques, M. Ahmed Badani, des contacts sont en cours avec certains pays africains et arabes pour discuter des possibilités d'exportations des navires de pêche ‘made in Algéria'. Pour se faire, des missions diplomatiques algériennes sont prévues pour accompagner les opérateurs économiques, spécialisés dans le domaine et les préparer aux futures opérations d'exportations. Dans le même contexte, une convention de coopération a été signée, en marge du SIPA2024, entre la Chambre de la pêche et de l'aquaculture et la Chambre de l'agriculture et des ressources halieutiques du Cameroun, en présence du ministre de la Pêche et des Productions halieutiques, pour un transfert d'expertise dans la construction navale et la maintenance. La partie algérienne, représentée par le directeur général de la Chambre, M. Aouiche Nabil, et la partie camerounaise représentée par son directeur général, M. Mindjos Momeny Martin Paul.

Dans le cadre de cet accord, des missions économiques sont programmées en Algérie et au Cameroun pour un travail commun et un échange d'expertise et de savoir-faire dans le domaine de la construction des navires de pêche. Des cycles de formation pour les professionnels figurent également au programme de cette coopération, selon le directeur de la Chambre de la pêche, M. Aouiche qui a indiqué que cette convention a été signée sur la demande de la Chambre de la pêche du Cameroun pour le développement de sa flotte maritime et le renforcement de la coordination entre les deux parties. Le même responsable a indiqué que l'expérience de l'Algérie dans le domaine de la construction navale n'est plus à prouver avec la construction d'un navire de 42 m pour la pêche en haute mer et qui sera mis à flots durant l'année en cours. Sur la pêche en haute mer, le ministre a annoncé que des consultations avec une importante délégation mauritanienne, présente à ce salon, sont en cours sur la pêche dans les eaux territoriales de ce pays. Le ministre a aussi parlé de l'octroi des licences pour les navires de pêche soulignant que tous les ports sont saturés avec les 6.000 bateaux qu'ils abritent.

Le Venezuela, ce pays de l'Amérique latine a également, exprimé, par le biais de son ministre de l'Autorité populaire de la Pêche maritime et de l'Aquaculture, M. Juan Carlos Loyo Hernandez, présent à Oran dans le cadre de ce salon, la volonté de son pays pour une coopération, dans le secteur, avec l'Algérie. Accompagné du ministre de la Pêche et des Productions halieutiques, M. Ahmed Badani, lors d'une visite pédagogique effectuée au navire de recherche ‘Grine Belkacem' , relevant du Centre national de recherche dans le développement de la pêche et de l'aquaculture, au profit de la délégation vénézuélienne, conduite par le ministre vénézuélien, M. Juan Carlos Loyo Hernandez a souligné sa satisfaction de cette visite et de cette 9ème édition du Salon international de la pêche et de l'aquaculture et évoqué les discussions menées avec M. Badani. En effet, le ministre de la Pêche et des Productions halieutiques a révélé, lors de cette visite, les filières du secteur de la pêche qui intéressent le Venezuela en déclarant : « Nous nous sommes mis d'accord sur de nombreux projets dans le domaine de la construction des navires de pêche et de l'aquaculture, en plus de l'échange d'expériences, dans le domaine de la recherche scientifique ». Il a exprimé, également, sa satisfaction des négociations entre les délégations algérienne et vénézuélienne, présente au Salon. Cette coopération entre les deux parties va se concrétiser, selon le ministre vénézuélien, par l'organisation d'une rencontre regroupant les hommes d'affaires algériens et vénézuéliens. Il est également question de conclure plusieurs protocoles entre les deux parties, dans le cadre des échanges commerciaux, sur le contrôle sanitaire et vétérinaire des produits de la pêche et de l'aquaculture.

Activités de la pêche : Des avantages financiers et fiscaux

Des mesures incitatives importantes pour les activités de la pêche et de l'aquaculture dans la Loi de finances 2024 et des prêts bancaires bonifiés, sans intérêts, prévus. C'est ce qui a été annoncé, en marge du SIPA2024 par le ministre de la Pêche et des Productions halieutiques, M. Ahmed Badani, au grand bonheur des professionnels de la pêche. Un secteur qui a longtemps été marginalisé. Parmi ces avantages, citons : l'octroi d'assiettes foncières aux chantiers navals, à l'intérieur et à l'extérieur des ports de pêche, l'autorisation d'importation des moteurs d'occasion et des navires d'occasion de moins de cinq ans en vue d'augmenter les capacités de production. Quant aux avantages fiscaux accordés à la filière aquaculture, il est prévu la subvention directe de la production du tilapia, l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et la réduction de cette dernière pour l'activité de transformation. Plusieurs projets sont également inscrits dans le cadre de l'investissement public au titre de la Loi de finances 2024, dont « l'aménagement de zones d'activités aquacoles et de zones d'amarrage pour les petits marins-pêcheurs, la mise en place d'un cadre juridique permettant la création de coopératives et d'incitations fiscales, afin d'encadrer les professionnels pour une plus grande efficacité en la matière, l'augmentation des capacités de production et la mise en place de mécanismes de protection sociale au profit des marins pêcheurs ». Les banques sont également impliquées pour financer les projets de pêche avec les possibilités de prêts bancaires bonifiés sans intérêt pour l'équipement des navires avec des instruments de navigation électroniques les plus performants. Pour le ministre « toutes ces dispositions donneront inévitablement une forte impulsion à ces différentes activités, en impliquant les petites et moyennes entreprises et en confortant le tissu des startups, ainsi que la signature de conventions de parteneuriat avec des entreprises nationales ou internationales, permettant la création de richesses et de nouvelles opportunités d'emploi.

Union européenne : Un programme pour soutenir la petite pêche

Pour le développement du secteur de la Pêche et l'amélioration des conditions de travail des pêcheurs, un programme « Economie bleue » financé par l'Union européenne a été mis en place en 2021, pour une durée de quatre ans, en Algérie dont le partenaire principal est le ministère de la Pêche et des Productions halieutiques. La chargée de mission de la communication de ce programme, Mme Leila Hamadouche, a expliqué que ce programme vise à contribuer au développement économique de l'Algérie à travers le développement durable de l'économie bleue. Axé sur les 14 wilayas côtières du pays, représentées par 3 antennes : Tlemcen pour les wilayas de l'Ouest, Annaba pour celles de l'Est et Boumerdès pour celles du Centre.

Parmi les objectifs de ce programme, appuyer le ministère sur différents axes, notamment, la pêche et l'aquaculture qui sont un secteur très important, mais aussi la recherche et l'innovation, l'entrepreneuriat et la protection sociale. Sur ce dernier volet, un plan d'action a été présenté, récemment, sur la niche la plus vulnérable du secteur, à savoir : la pêche artisanale qui se retrouve au chômage pendant les périodes de repos biologiques. Une feuille de route a été mise en place, de ce fait, en collaboration avec le comité mixe qui a été créé entre le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale et le ministère de la Pêche et des Productions halieutiques. L'objectif est d'intégrer ces pêcheurs artisans dans le système de la Sécurité sociale afin qu'ils bénéficient d'une indemnité durant cette période de repos biologique. Pour se faire, une étude démographique a été lancée, au mois de décembre dernier, qui sera suivie d'une étude de sinistralité et de danger, étant donné qu'il s'agit d'un métier à risques. Tout incident peut être handicapant pour le pêcheur.

Des projets innovants : Cinq lauréats récompensés

Etudiants, chercheurs et porteurs de projets ont été invités, dans le cadre de ce projet, à soumettre des idées innovantes dans le domaine de l'Economie bleue. Cinq thématiques ont été arrêtées pour ce concours intitulé « BlueHack SIPA 2024 » dont, la pêche, l'aquaculture, le génie maritime et l'architecture navale, la biotechnologie marine et la pollution marine. Son objectif est de mobiliser des talents, de stimuler la créativité et de résoudre des défis concrets liés à la diversification des activités économiques dans le domaine de l'Economie bleue. Les cinq lauréats retenus, des dix candidats sélectionnés vont bénéficier d'un accompagnement à travers ce programme. Les lauréats sont par ordre de mérite : « Marine Arc», « Aqua Plus», « Marine Association », « Biological Farm Alkiram » et « Hydrogenamic ».