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Un ministre, technicien ou politique ?

par Sid Lakhdar Boumediene

Dans tous les pays à constitution parlementaire la question se pose. Faut-il un ministre «technique» ou un ministre «politique» ?

Un ministre technique est celui qui a pour pratique exclusive de gérer son ministère comme il le pourrait pour n'importe quelle autre administration. Il gère les personnels, les budgets et bien d'autres missions comme la représentation et la négociation sur toutes choses. On dit qu'il est «technocratique», au même titre que les hauts fonctionnaires.

Dans un grand nombre de cas, ils sont des «ministres issus de la société civile». C'est-à-dire des personnes hors de la bataille politique et qui sont recrutés pour leur notoriété et/ou leurs compétences dans les domaines de leur origine professionnelle.

Un «ministre politique» est celui qui est engagé dans le débat politique en étant soit un élu ou soit un responsable dans un parti politique. Il est donc pleinement dans la confrontation politique légitime.

Un ministre peut être bien évidemment les deux en cumulant les deux attributs précédents. La dénomination «technocratique» ou «politique» est dans la marque principale et visible de son action et de ses prises de paroles. Puis ensuite, la distinction entre les deux n'est en aucune manière un statut constitutionnel. Elle relève du choix du Chef de l'exécutif, les constitutions ne prévoient jamais une telle répartition. Tout au moins dans certains gouvernements il est prévu des rangs protocolaires mais définis par l'usage et non par les constitutions.

Les bases étant posées, il me faut maintenant assumer ma position tranchée. Je suis absolument contre la tentation de nommer des ministres technocratiques ou issus de la société civile pour des charges régaliennes du gouvernement. Et j'ai une grande tentation pour élargir ma pensée à quasiment tous les autres ministères.

Tout d'abord par l'expérience qui prouve que cela mène à un échec, à l'exception de certains exemples qui marquent l'histoire gouvernementale. Prétendre qu'un ministre de la Santé doit être un médecin, un ministre de l'Industrie, un ingénieur, et celui de l'Agriculture, un agriculteur, est une aberration.

À quoi serviraient les hauts fonctionnaires des directions générales ? C'est normalement eux qui ont la compétence technique approfondie.

Que ferait-on lorsqu'un ministre est nouveau ? Il aurait la science infuse et prendrait immédiatement en charge des centaines de dossiers urgents ? Ce n'est pas pensable. Les hauts fonctionnaires des directions générales représentent donc la continuité des Services administratifs de l'État. Sans eux, pas d'administration ministérielle possible.

L'échec est encore pire lorsque la personnalité «civile» est recrutée pour sa notoriété populaire. Là, c'est tout simplement un désastre, le ministre ne serait que la caution médiatique. La république entre alors dans le show médiatique et people. Ce n'est plus la république mais la montée des marches du Festival de Cannes.

Puis ensuite, une autre raison est encore plus fondamentale. Dans un régime parlementaire démocratique (seulement démocratique) le gouvernement est le lien avec la représentation des élus parlementaires. C'est la base du régime parlementaire.

Un gouvernement est un «exécutif», cela veut bien dire qu'il exécute car il est le dépositaire indirect de la volonté populaire. Sa légitimité vient des parlementaires qui adoubent sa nomination ou le déchoient. Il prend toutes les initiatives pour gouverner mais en parfait accord avec la majorité parlementaire qui valide, par un vote, ses lois, parfois les propose. Tout cela est, en fait, la responsabilité d'un gouvernement mais il est une évidence que le ministre en fait partie.

On a tendance à l'oublier car d'une part, c'est lui qui est à la lumière de l'action et en donne une image de puissance sans contrôle. Puis aussi et surtout, la dérive des pratiques est absolument regrettable lorsque le Parlement n'est qu'une représentation de «godillots» avec autant de pouvoirs que je n'en n'ai pour nommer le roi des Tatares.

Le ministre doit, donc, savoir porter et exécuter les projets issus du choix des électeurs à travers la représentation nationale. Il doit être capable de les défendre avec une voix politique. Il doit ferrailler avec elle pour la convaincre. Pour cela, il use de tous les pouvoirs (en accord avec le gouvernement et son chef) que la Constitution lui confère mais en sachant que le dernier mot doit être au Parlement.

Un ministre (comme le chef de l'exécutif) qui serait quasiment éternel ne représente pas une normalité démocratique. Cela voudrait dire que les alternances politiques n'existent pas ou sont très rares. Et là, nous aurions un souci pour parler de démocratie parlementaire.

Une démocratie est l'émanation des volontés populaires ou ne l'est pas. Un ministre est donc politique ou ne l'est pas.