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«Le musulman sert
l'Islam, l'islamiste s'en sert» Mourad Ifri
Avant l'avènement de l'Islam, les dirigeants arabes étaient soit des chefs de tribus, soit des chefs de clans jouissant de la même autorité que les rois et une obéissance totale leur était due en temps de guerre comme en temps de paix. Les Arabes avaient avec leurs parents ainsi qu'avec leur clan des relations profondes, l'esprit de clan était leur raison de vivre ou de mourir. L'esprit de société qui régnait au sein de la tribu était exacerbé par le tribalisme. Les chefs de tribus s'arrogeaient une part considérable du butin. Les tribus arabes furent constamment jalonnées de troubles et de désordres. Les guerres intestines incessantes firent des peuples arabes et musulmans des proies faciles pour des invasions étrangères. C'est l'Islam qui a unifié les tribus arabes et c'est sous sa bannière qu'ils se sont libérés du joug colonial. En Algérie, le nationalisme et le socialisme ont été malmenés par un Islam renaissant. Nationalisme et islamisme apparaissent comme des visions diamétralement opposées à l'entité politique qu'est l'Etat. Pourtant l'Islam a joué un rôle moteur durant la guerre de libération nationale. Mais les élites « nationalistes » considéraient la religion comme un moyen de mobilisation des masses et non comme une finalité en soi. Il ne faudrait pas non plus omettre de noter la volonté de la puissance coloniale de refouler l'Islam dans le domaine privé pour en faire une valeur refuge des déshérités. C'est ainsi qu'après l'indépendance, l'Islam devait s'effacer de la vie publique pour permettre la construction de « l'Etat national ». C'est pourquoi les mouvements islamistes ont depuis longtemps rejeté le nationalisme comme le capitalisme comme instrument du colonialisme visant à détruire l'unité religieuse de l'Islam. Ayant permis de parvenir à l'indépendance et d'amorcer un certain développement, l'idéologie nationaliste et socialiste n'a cependant pas apporté le bien-être à tous, ni fourni les éléments constitutifs car ce que recherchent les populations à travers le nationalisme, le socialisme, l'islamisme, c'est une certaine dignité face à leurs gouvernants et face au monde extérieur : une soif de dignité, de liberté et de justice. Entre les bienfaits terrestres hypothétiques et les valeurs religieuses intangibles, le choix devient clair. Faute de bonheur à l'aune des biens consommés, c'est la soif d'absolu qui l'emporte. Il ne s'agit pas non plus de se complaire dans un autoritarisme stérile du pouvoir, et de voir dériver sans réagir la société vers un fatalisme religieux, mais de se frayer un chemin vers plus de progrès et de liberté, dans un monde sans état d'âme en perpétuelle évolution où le fort du moment impose sa solution au plus faible. C'est donc une réponse à une crise d'identité des valeurs modernes mal assimilées et des valeurs traditionnelles perdues que l'islamisme prend son essor. Facilité en cela par un vide idéologique créé par une équipe de dirigeants sans moralité, ni profession. Dire que la forme étatique moderne ne peut avoir de légitimité aux yeux du monde arabe et musulman revient à reconnaître l'incapacité des dirigeants à répondre aux problèmes et aux aspirations des populations dans un cadre étatique. L'Etat se trouve désigné du doigt comme étant responsable de la misère croissante qui frappe la majorité de la population et son incapacité à faire une place à la jeunesse dans le système politique et économique. L'Etat national repose sur des intérêts particuliers, sources d'accumulation personnelle par le biais des commissions et de prédation qu'autorise la détention du pouvoir. C'est la raison pour laquelle les pays arabes veillent jalousement sur leurs frontières et ce, pour des raisons officielles et cyniques dites de « souveraineté nationale », de quelle souveraineté s'agit-il ? Pourtant, toutes les frontières sont aberrantes et artificielles mais aucun chef d'Etat arabe ne veut remettre en cause les frontières héritées de la colonisation, chacun tient à sa petite épicerie qu'il veut protéger des supermarchés. Les régimes du Maghreb, qu'ils soient monarchiques ou militaires, progressistes ou conservateurs, islamiques ou laïcs, connaissent tous sans exception des mouvements de contestations des peuples au nom de la liberté et de la justice. Or dans ces pays où la croissance de la population progresse souvent à un rythme vertigineux, l'élan démographique nourrit la dynamique islamique. D'un autre point de vue, on peut s'interroger sur les capacités de l'islamisme à se constituer en une nouvelle force politique, économique et culturelle qui pèse sur l'échiquier international, à se présenter comme une alternative crédible, capable de répondre aux graves défis qui se posent aux sociétés arabes et musulmanes. En d'autres termes, l'Islam est-il compatible avec les institutions modernes au sens classique du terme ? Epouse-t-il les frontières actuelles ? Existe-t-il un véritable modèle islamique ? Constitue-t-il un frein au développement économique, au progrès scientifique, aux droits de l'homme, à la démocratie comme le prétendent les Occidentaux ? Il appartient dès lors aux chercheurs arabes et musulmans de prouver et de démontrer sur le terrain de la science et de la clairvoyance face à l'arrogance de l'Occident, la grandeur de l'Islam. Malheureusement les courants islamistes travaillés par des forces internes et externes effraient la majorité des musulmans face à l'Islam et face à son environnement. Etant surtout de nature idéologique et politique, les mouvements islamistes n'ont pas conçu de programme global et cohérent de réforme, n'ont pas débarrassé l'Islam du carcan dogmatique dans lequel il a été enfermé, n'ont pas fait de l'Islam un cadre de discipline morale protégeant la jeunesse de la délinquance, de la prostitution, de la drogue et des autres fléaux sociaux. Sans renouvellement intellectuel, l'islamisme a eu pour seul résultat de déconnecter de plus en plus l'Islam des besoins urgents des sociétés arabes et musulmanes car les populations aspirent simultanément au bien-être matériel occidental et au respect des valeurs morales de l'Islam. Elles rejettent l'occidentalisation plus que le progrès technique et scientifique, les injustices générées par la modernité plus que la modernité elle-même. « Elles ne veulent pas aller au paradis avec le ventre vide » pour reprendre l'expression du défunt président Boumediene ! Dans ce monde matériel éphémère, de nombreuses personnes ne sont sensibles à la vérité divine que si elles ont un ventre bien plein. Ces gens sont comparables à des bêtes que l'on reconduit à leur enclos au moyen d'une botte de foin maintenue à une certaine distance devant leurs bouches. Ils ne reconnaissent pas cette vérité si elle ne s'adresse qu'à leurs seuls esprits à la différence des Occidentaux qui ont développé un esprit critique indéniable. L'Islam s'adresse plus à la tête et au cœur des hommes qu'à leurs ventres et à leurs passions (l'argent, le pouvoir, les femmes). La société moderne mondialisée est devenue « un troupeau de consommateurs infantilisés » par un marketing ravageur omniprésent et omnipotent. Pour user d'une métaphore, les musulmans ne peuvent pas inviter les chrétiens « à mettre de l'eau dans leur vin », ce ne sera plus du vin. De même que les Occidentaux ne peuvent pas demander aux musulmans d'ajouter du vin à leur eau, ce ne sera plus de l'eau. A chacun sa boisson. La démocratie c'est d'abord la liberté de choisir entre l'eau et le vin ; entre le chemin de Dieu et le chemin du diable. L'eau est un don de Dieu. Le vin est un produit de l'homme. Dans son acception comme soumission à Dieu, la religion est verticale dans le rapport de l'homme avec son Créateur, c'est-à-dire spirituelle et de ce fait douce, paisible, calme. Elle est horizontale dès que l'homme cherche à la partager avec son prochain, elle devient politique et par conséquent explosive. L'essentiel est de saisir l'Islam dans toutes ses dimensions. « Ce n'est pas un artichaut » ; on prend ce qu'on veut et on laisse le reste. Aujourd'hui, l'Occident domine le monde arabe et musulman grâce entre autres à sa haute technologie de pointe et à ses armes sophistiquées de destruction des masses que les dictatures arabes et africaines s'arrachent à prix d'or au détriment du bien-être de leurs populations affamées et meurtries. Des armes qui visent à impressionner les peuples, voire à les réprimer, finissent généralement par être rouillées sans avoir servi pour être de nouveau renouvelées, il y va de la pérennité des régimes. Et que vive le complexe militaro-industriel occidental, vigile de la civilisation moderne. Le temps est une arme redoutable contre les tyrans. Les despotes finissent par succomber à l'usure du temps. *Dr. |
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