|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Dans les travaux
d'islamologues comme Massignon, Berque et Arkoun,
pour ne citer que ces derniers, la laïcité est consubstantielle de la religion
musulmane. Aussi le terme «al-ilmania» pose-t-il
problème.
En effet, la connotation scientiste ou matérialiste que suggère cette traduction est source de contresens. Elle présuppose que la laïcité est antinomique des croyances religieuses alors qu'elles sont revendiquées autant par les catholiques et que par les protestants. La double posture de neutralité et d'adhésion vis-à-vis du religieux est consacrée par l'ordre maçonnique, contrairement à la «mécréante» dont on a eu tendance à l'affubler. Cette donnée étant clarifiée, la raison principale de ce qui précède tient au fait que l'islam ne connaît pas de partition entre ordre ecclésial et ordre séculier, et plus généralement, entre clergé et Etat. A ce titre, comme le rappellent les auteurs cités plus haut, le principe laïc est une réalité sui generis. En revanche, la controverse occidentale, singulièrement française, entre l'Eglise et l'Etat, a commencé bien avant la loi de séparation de 1905. Elle eut lieu au milieu du 15e siècle, quand la monarchie française enjoignit à l'Eglise de prêter allégeance prioritairement à l'Etat, ruiné par la guerre de Cent Ans, ce qui impliquait que les redevances des paroisses devaient être versées au Trésor royal et non à l'institution pontificale romaine. En effet, le revenu, constitué de donations des fidèles paroissiens (sorte de «fiscalité souterraine» pour parodier Jacques Berque parlant des donations pieuses des fidèles aux confréries du Maghreb précolonial) était reversé en partie au Saint-Siège, lequel présidait à la nomination des prêtres catholiques. Ce que désormais on appelait «gallicanisme» (renvoyant explicitement à la «gallicité», autrement dit, à la nationalisation de l'église catholique, décrétée par «la Pragmatique sanction de Bourges» en 1438), constituait la suite logique à une partition au sein du pontificat romain donnant lieu à l'instauration des Papes d'Avignon et ce, jusqu'au rétablissement tardif de l'ultramontanisme (1848) qui rétablit l'allégeance romaine. Cela constitue une exception française, du moins dans l'espace catholique. La remise en cause du clergé est consécutive à la Révolution française, avec des hauts et des bas, où l'anti-cléricalisme notoire va laisser place à une convivialité dont la loi de 1905 rétablit le principe de neutralité de l'Etat face à l'Eglise, régie par la loi associative de 1901. Le fait religieux appartient désormais à la sphère privée, avec l'exception concordataire accordée à l'Alsace-Lorraine où prévaut le culte protestant, en même temps qu'une libéralité napoléonienne en faveur du culte judaïque. Dès lors, l'institution religieuse catholique a connu des destins divers, voire divergents, entre conservateurs et libéraux. Depuis la fin du 19e siècle en effet, une partie de l'église catholique s'est ralliée à la cause ouvrière, à l'instar de la démocratie chrétienne, confortée par l'encyclique de Léon XIII connue sous la fameuse dénomination de «Rerum Novarum». Je rappelle à cet effet que beaucoup de Français d'Algérie qui ont contribué à la cause algérienne pour son indépendance appartenaient à cette mouvance, à côté des militants communistes. On peut citer pour l'exemple le professeur Mandouze, l'Abbé Berenguer, Pierre et Claudine Chaulet, Fanny Colonna et la liste est longue..., sans oublier le Cardinal Duval, qui a pris la nationalité algérienne au lendemain de l'indépendance. Il ressort que la qualité de chrétien n'a jamais confiné au monolithisme idéologique. Il y a eu, si l'on peut s'exprimer ainsi, des chrétiens de droite et des chrétiens de gauche. Mais l'islam a abrité, d'une certaine manière, la même pluralité idéologique. A l'évidence, pour la quasi-totalité de nos concitoyens, l'islam était vécu comme un combat mené contre la puissance coloniale. C'était là notre «islam politique»... Les choses ont bien changé depuis, dans le contexte de la géopolitique mondiale complexe qui a subverti et subvertit encore le fait religieux au service d'une recolonisation rampante du «Grand Moyen-Orient». Il est pour le moins curieux que les seuls Etats arabes qui furent réduits en poussière étaient laïcs, fussent-ils des Etats autocratiques (Libye, Irak, Syrie, entre autres). Au plan strictement hexagonal, l'apprentissage de la laïcité dans les écoles n'est nullement tenu de contextualiser tout ce qui précède, et encore moins de tenir compte du lieu d'où vient le jeune élève musulman issu des quartiers laissés pour compte. Comment peut-il comprendre le sens qu'on veut lui inculquer d'une caricature du prophète, quand on sait, encore une fois, que l'islam dont sont imprégnés ces jeunes apprenants est connotatif de bouclier exorcisant le mal-vivre auquel s'ajoute dans la plupart des cas l'indigence culturelle, voire cultuelle des parents ? Là où le bât blesse, c'est que la caricature, fût-elle considérée par les Français d'extraction européenne comme étant le parangon de la libre expression qu'autorise le principe laïc, au regard d'une socialisation de longue durée, commencée au début du siècle dernier et banalisée depuis, sa réception est tout autre chez une diaspora encore imprégnée de valeurs éloignées de celles qu'on voudra leur inculquer ici et maintenant. Et c'est là qu'intervient la pédagogie. Peut-on, en effet, dispenser un apprentissage de la laïcité qui soit autre chose qu'une espèce d'agression aux mœurs et au sacré ? Certains savants de l'islam ont, dans le passé lointain, sinon abjuré leur foi, du moins transgressé les codes rituels allant jusqu'à l'agnosticisme. Même dans le contexte ordinaire d'une dispute populaire, Dieu est souvent profané dans les formules d'insulte qu'il est vain de reprendre ici. Les contrevenants ont-ils été conduits à l'échafaud pour autant ? Autrement dit, l'insulte sacrilège n'est pas l'apanage de l'Occident laïc. Il ne s'agit pas ici de relativiser ou de banaliser ces voies de fait, mais la différence avec ces derniers, c'est que la parole du maître enseignant ses élèves n'est pas reçue de la même manière que les propos blasphématoires des ambiances de souk. Mon propos n'est pas de remettre en cause le principe de laïcité, mais de préconiser une méthodologie appropriée, apte à produire le résultat escompté, mais infiniment moins contre-productive. |