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Après plus de cinquante-six
ans d'indépendance, après la délivrance de la domination coloniale, l'Algérie,
pays libre et souverain sur son territoire, ne peut plus être qualifié de pays
en voie de développement. Mais, malgré ce long parcours d'autonomie, le pays
n'est pas arrivé à affermir une posture stable et confortable, parmi les
nations.
On observe, toujours, la situation, plutôt, comme celle d'un échec de développement, en regard des richesses naturelles dont son sol en regorge, de sa position géographique stratégique dans le Bassin méditerranéen, de sa grande superficie bien centrée dans la coalition maghrébine avec des frontières qui creusent des racines jusqu'en Afrique centrale. Les quarante millions d'habitants que compte l'Algérie, dont la large majorité est jeune d'âge, est un potentiel humain impressionnant qui aurait pu relancer la marche du pays vers un meilleur niveau de vie, depuis 1962. Faire le bilan ramène au constat négatif de décrire le parcours effectué comme un recul plutôt que d'un épanouissement. Le progrès enregistré jusque-là est dérisoire par rapport aux atouts considérables et aux moyens non négligeables dont le pays dispose. L'Algérie demeure un pays importateur à grande échelle, son économie dépend presque, totalement, de l'ornière des hydrocarbures. Le pays reçoit presque tous les produits nécessaires de l'extérieur, l'Agriculture et l'Industrie nationales étant incapables de couvrir la demande de la population. Cela explique que les secteurs hors-hydrocarbures sont mal ou pas exploités, à cause des stratégies volontaristes adoptées par l'Etat algérien depuis sa naissance. Le volontarisme se définit, politiquement surtout, comme une doctrine qui favorise les fonctions collectives volontaires humaines, une tendance qui impose l'application des décisions sans les discuter ou les justifier. La théorie volontaire consiste à l'obéissance aux directives dictées par l'Autorité en place. D'autres courants idéologiques attestent que l'esprit volontaire repose sur l'idée du bien et du réel sur la volonté divine. Le volontarisme rejette toutes formes d'initiatives individuelles. L'émancipation d'un Etat ou d'une Nation se révèle dans les changements sociaux causés, automatiquement, par l'activisme volontaire. Les partisans du volontarisme excluent, par ce fait, le sens de la créativité et de toutes les facultés, relevant du domaine de l'intellect et de l'intelligentsia. Le volontarisme, dans son apparence pragmatique, est un ensemble de méthodes, souvent exercées par les régimes à parti unique dont le but est d'aligner les différents réflexes de la population sous l'attitude d'une même opinion. Le volontarisme, avec ses programmes qui ne dépassent pas le moyen terme, ne permet pas d'envisager le développement d'un pays sur des fondements solides. Il s'oppose, d'une manière formelle, à l'intellectualisme. L'exclusion de l'élément intellectuel plonge la Nation dans la précarité du cadre de la vie, ralentit son évolution, installe un climat de monotonie ennuyeuse et accentue l'agressivité du comportement chez les individus. Socrate, qui distingue l'instinct humain de l'intelligence, différencie l'homme de l'animal par la capacité du premier, avec son âme intelligente, à reconnaître l'existence de Dieu. Il regarde l'éthique de l'intellectualisme comme des actes raisonnés qui préviennent la faim, la soif, le froid, la chaleur, la guérison des maladies et qui augmentent les forces ou bien élargissent les connaissances. Il avoue, entre les lignes de ses pensées, qu'il serait improbable de recouvrir ces lacunes et de combler ces besoins, pour ne citer que ceux-là, sans faire recours à l'intellect. Adapté dans les manœuvres du système monolithique algérien, au lendemain de son indépendance, le volontarisme a beaucoup freiné l'évolution du pays pendant l'ère du parti unique, il continue, cependant, à sévir malgré l'ouverture démocratique et la proclamation du pluralisme politique. La présence de cet esprit nocif à la société se remarque, d'une part, par la médiocrité généralisée qui engendre des phénomènes brusques et violents comme l'incivisme des moeurs, la dégradation de l'environnement ou l'émigration clandestine. D'autre part, la classe intellectuelle se fait victime d'une marginalisation systématique qu'on observe dans la fuite massive des cerveaux vers l'étranger, dans l'enfreint du droit à liberté de s'exprimer, dans les bouillonnements revendicatifs des universitaires ou dans les mouvements de grèves, répétés chez lez médecins et les enseignants. Le plus grave c'est quand l'intellectualisme se plie aux exigences du volontarisme. En effet, certains intellectuels, généralement des artistes intrus au monde de la Culture, perdent le sens de leur engagement initial, en devenant de simples outils de propagande qui applaudissent et cautionnent un défaut qu'ils sont censés combattre. Ils deviennent des carriéristes limités par les ordres d'une culture bureaucratisée, or la culture est un espace de liberté, un non-lieu dans lequel on ne fait pas carrière. On y croise, alors, des artistes sans aucun message, éloignés du rôle pour lequel ils ont été initiés : éveiller, informer, éduquer, distraire, orienter. On rencontre entre autres, des journalistes qui déforment ou cachent les événements, des chanteurs qui jouent pour déguiser la réalité, des acteurs qui figurent dans des salles de cinéma fermées au public, des écrivains avec des livres ouverts sur toutes les pages sauf sur celle de la vérité, ou même des peintres qui badigeonnent des fantaisies fantastiques qui renvoient à la grande révolution. «Nul n'est méchant volontairement », dit Socrate pour expliquer que l'erreur n'est pas, toujours, fortuite et qu'il faut certainement de l'intelligence pour appliquer la méchanceté. Ainsi, les bienfaits de l'intellect sont, parfois, un moyen pour propager le mal au lieu de l'éradiquer. Les conséquences du détournement des principes de l'intelligence peuvent induire à des pathologies sociales encore plus compliquées que les faits archaïques du volontarisme. Voilà qu'une inondation meurtrière surgit d'un caniveau bouché ou d'un immeuble bâti dans un terrain mal adapté. Voilà qu'une épidémie honteuse se propage à partir d'un oued malpropre ou d'un champ irrigué aux eaux usées. Voilà qu'un spectacle de sport dégénère et devient l'arène squattée par une foule d'émeutiers acharnés. Le discours peut fléchir plus bas quand l'actualité met l'exergue sur une stèle dénudée qu'on démolit et restaure selon les convictions d'un peuple qui s'interroge encore sur le choix de la langue qu'il faut parler ou pas. Volontarisme et intellectualisme s'opposent fermement lorsqu'il s'agit de pensées philosophiques ou de doctrines politiques. Ils s'allient, cependant, et vont parfaitement de pair pour aboutir à un état de démission qui régit une population avec un Parlement gelé comme un projet de société notoire. *Ecrivain |