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L'artiste peintre Choukri, mort à Paris le quinze novembre dernier, a été, selon ses derniers
vœux, enterré samedi à Tlemcen au carré familial du cimetière Cheikh Sanoussi en présence d'une foule nombreuse dont plusieurs
personnalités du monde des arts, des lettres, des sciences et de la culture. Natif de la cité des Zianides, le 8
novembre 1931, la mémoire de cet artiste évoque le souvenir de grands moments
de l'histoire de la peinture associé à d'autres artistes peintres au panthéon
de l'histoire de la peinture moderne en Algérie, voire Mahamed
Racim son maître à l'école des beaux-arts d'Alger où
il s'installa avec sa famille dès 1947, M'hamed Issiakham, Mohamed Khedda, Denis
Martinez? de grands noms dont l'évocation est synonyme d'un combat mené sous la
bannière de l'art en faveur de l'identité, de la liberté et de la modernité au
prix, parfois, de rejets et de ruptures. Il considérait «le trait comme
une émanation de la beauté mais aussi porteur de changement et de renouveau».
En 1950, il participe à la création de la Revue Soleil, en collaboration avec d'autres jeunes poètes et peintres, dont Kateb Yacine, autour du journal «Alger républicain». Nommé professeur à l'école des beaux-arts d'Alger, il est fondateur l'année suivante avec ses compagnons de route M'hamed Issiakham, Mohamed Temam, Bachir Yellès, Baya, Ali Khodha?de l'union nationale des arts plastiques. En 1967, Choukri Mesli participe avec Denis Martinez à la création du groupe Aouchem (Tatouages) donnant un nouvel élan idéologique à la création, représentatif de la société. Il sera ensuite très actif dans la préparation, l'organisation et le déroulement du festival panafricain d'Alger en 1969. Avant son départ en exil en France, en 1990, paraît sa contribution à la connaissance de la peinture algérienne intitulée «Palimpseste de Tin Hinan», magnifique œuvre dont la présentation est précédée d'une longue préface du romancier algérien Rachid Boudjedra. A la suite des violentes manifestations d'octobre 1988 à Alger, il est membre fondateur du rassemblement des Artistes, Intellectuels et Scientifiques contre la torture (RAIS). En avril 2017, le chef de l'Etat lui décerna la médaille de l'ordre du mérite national au rang de Achir. Quel beau combat, quel beau parcours mené par les hommes de la même génération dont l'art puise son suc et sa sève dans l'âme profonde de l'Algérie, voire sa maghrébinité, son africanité, sa liberté et son ouverture sur le monde. Issu d'une grande famille intellectuelle et nationaliste, les Mesli ? Messali, son grand-père est cité parmi les premiers instituteurs dont fait référence le leader nationaliste Messali Hadj (1898-1974) dans ses mémoires. Son oncle maternel n'est autre que le professeur de langue berbère Mohamed Bensmail (m. en 1942) musicien connu, fondateur de l'association al-Andaloussi d'Oujda (Maroc) en 1921, ayant représenté l'Algérie au deuxième congrès de la musique à Fès en 1938. C'est dans les décors d'arabesques de cette maison appartenant à ce linguiste et auteur que le jeune Choukri Mesli fut capté par l'art, et cela au gré de rencontres d'artistes et hommes d'esprit et de goût. Ce coin idéal de style situé en surplomb à un endroit dit Djlissa dominant la ville fut pour le jeune Choukri un endroit idéal à la fécondation de ses premiers élans envers l'art, confiait-il à son ami-journaliste Bénali El hassar, à l'occasion du vernissage organisé dans les années 70 au siège du SIT avec la participation du groupe fondateur d'?'Aouchem» : Mohamed Issiakham, Mohamed Khedda, Denis Martinez? intégrant les différents éléments de notre culture. Cette maison, aujourd'hui squattée et à l'abandon, fut longtemps un des lieux mythiques symbolisant les grandes rencontres d'artistes et d'hommes de lettres avec également la demeure de maître Omar Boukli Hacène et qui, malgré son statut de habous ou legs ad mortem de générosité au profit de la culture, connaît depuis un sort pitoyable puisque détournée de sa vocation testamentaire. Du point de vue de l'art, nous rappellerons que la cité natale du peintre Choukri Mesli, en raison de son passé et ses vieilles traditions de culture maghrébines, accueillit les plus grands peintres orientalistes qui ont laissé des centaines d'œuvres décrivant ses monuments ou porté leurs regards d'artistes sur sa société d'antan trouvant dans les espaces de musées ou des trésors cachés des collections privées. Certes, l'art dans cette ville était partout, dans la production des métiers (sellerie, dinanderie, orfèvrerie?) si bien que les peintres français, anglais, italiens, américains, autrichiens dont Gustavo Simoni (1846-1926), Charles Gabriel Deneux (1856-1926), Nesreddine Etienne Dinet (1861-1929), Frédéric-Arthur Bridman (1847-1928), Filippo Bartoloni (1861-1908), Gaston Casimir Saint-Pierre (1833-1916), Marc Alfred Chataud (1833-1908)? y trouvèrent une source féconde à leur inspiration, fascinés pr les fêtes, les commémorations, l'art de vivre, les monuments arabes dont certains étaient déjà des masures et dont une partie disparaîtra sous l'effet des pics pendant la colonisation et peut-être même après. Ce n'est pas par hasard si, avant de s'installer définitivement à Paris, le grand peintre italien Gustavo Simoni vient s'y installer et créer en 1880 une école de peinture au cœur du quartier historique dit des Andalous, du nom de ce grand proverbiste algérien, Sid el-Yeddoun. Ce peintre orientaliste italien y fit un séjour assez long pour y créer la première école d'art pictural avant de s'installer définitivement à Paris. Ses aquarelles expressives traduisaient cette mollesse que les Tlemceniens gardaient encore dans un pays à peine conquis, mais qui continuait à vivre après la longue résistance de ses habitants aux côtés de l'émir Abdelkader, héros national. L'influence du travail laissé par ces peintres était encore vivante dans l'histoire de la cité jusqu'après le début du XXe siècle. Du fait de ses héritages au plan de l'art dans une ville auréolée par son riche patrimoine historique, poétique, musical et artisanal plein de finesse, le milieu a continué a produire des hommes de l'art dont Choukri Mesli mais aussi d'autres grands noms, ses devanciers, parmi lesquels nous citerons le peintre Abdelhalim Hemch (1905-1972) professeur aux Beaux-Arts de Paris, ancien inspecteur général des arts indigènes à Rabat (1929), Bachir Yellès Chaouche, né à Tlemcen, en 1921, ancien directeur des beaux-arts? Du peintre Abdelhalim Hemch, le musée de Tlemcen a pu sauver d'une perte fatale, en 1970, deux tableaux représentant des scènes de vie traditionnelle, de fêtes et de cérémonies, aujourd'hui encore dans les dépôts du musée des arts nationaux (ancienne medersa). Tous ces grands et infatigables acteurs de l'art et de la culture méritent à cette occasion l'hommage que nous rendons aujourd'hui à au grand peintre Choukri Mesli. Le défunt Choukri Mesli peintre n'a jamais pu, malheureusement, concrétiser son projet de réaliser une grande fresque à la gloire de sa ville natale sur une façade de près trente mètres de haut. La maquette du projet fut exposée pendant plusieurs années au siège de l'APW et a fini par disparaître à jamais. L'Algérie, Tlemcen en particulier, sa ville natale, est fière de son parcours au service de l'art et de la culture pour la prospérité, l'image et la grandeur de son pays. L'œuvre de ce grand homme de l'art qui renvoie à un combat de ré-appropriation et de réécriture restera pour toujours une grande source d'inspiration. Inna lillahi oua inna ilaihi radjioun |