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Dans un long entretien de
deux pages paru dans ces mêmes colonnes le 8 mai 2023 avec le sous-titre : «Je
ne suis pas de ceux qui piétinent leur diplôme algérien une fois arrivés
là-bas», le célébrissime psychiatre-addictologue Pr
Amine Benyamina concluait son entretien accordé au Le
Quotidien d'Oran avec cet appel humble et plein d'espérance : «J'appelle de
tous mes vœux les responsables des deux côtés pour qu'il y ait un cadre
institutionnel afin de faciliter les collaborations. La mise en place d'un tel
cadre nous permettra à coup sûr de coopérer avec nos confrères algériens dans
tous les segments pratiques, académiques et scientifiques liés à la psychiatrie...
Pour ma part, je ferai tout ce qui est en mon possible pour intervenir aussi
bien auprès des académiques qu'auprès des politiques... Je veux donner à mon
pays d'origine, l'Algérie, sans rien attendre en retour, car elle m'a déjà tant
donné». C'était en marge d'une session de formation sur des thèmes pointus en
relation avec les addictions initiée par une boîte privée, Djazaïr
Health, spécialisée dans la formation médicale et
l'évènementiel médical, qu'il avait eu à animer au profit de plusieurs
psychiatres addictologues algériens, lequel séminaire
avait eu pour cadre Liberté Hôtels Oran. Vendredi 15 novembre, c'était le
come-back. Dix-sept mois plus tard, dans le même espace Liberté toujours libre
et disponible pour la science, l'art et la culture. Et qui se fait toujours
honneur d'accueillir des Algériens d'élite qui se sont fait un nom à travers le
monde. Quel qu'en soit le domaine d'excellence. Tout en se faisant un devoir de
leur rendre hommage au passage. Par reconnaissance, par fierté surtout. «Quel
qu'en soient la passion ou le métier : le sport ou la culture, l'art ou la
littérature, le théâtre ou le cinéma, la mode ou la couture, la politique ou
l'économie, le droit ou la technologie, la science ou la poésie, tout Algérien
qui incarne un modèle de réussite dans le monde en son domaine mérite au moins
qu'on lui exprime notre fierté et notre reconnaissance morale en tant
qu'Algériens. Qu'elles soient invitées par Liberté Oran ou de passage, ces
personnes-là ne peuvent et ne doivent passer inaperçues à notre sens. Et c'est
le strict minimum qu'on leur doit», souligne humblement Mohamed Afane, que l'on ne présente plus... Le grand psychiatre-addictologue était de retour à Oran, ville où il est né, a
grandi et a eu son diplôme de médecin, et ce pour le même mobile qu'il y a une
année et demie : une formation à l'intention de psychiatres addictologues
algériens. Mais, cette fois-ci, dans un cadre beaucoup plus
intéressant et officiel puisqu'il s'agit d'un cycle de formation qui porte le
sceau du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière
avec l'appui de MedN, réseau méditerranéen de
coopération sur les drogues et les addictions créé en 2006 pour promouvoir la
coopération, l'échange et le transfert réciproque de connaissances entre pays
du pourtour méditerranéen et pays européens membres du Groupe Pompidou et
donateurs (Echange Nord-Sud et Sud-Nord) mais également au sein des pays du
pourtour méditerranéen (Échange Sud-Sud). Avec son collègue Bish Michael, psychiatre-addictologue
et par ailleurs médecin coordonnateur du CSAPA «La Maison des Addictions», le
Pr Amine Benyamina avait été ainsi appelé dans le
cadre de ce «séminaire national de renforcement des capacités pour les
professionnels des centres de traitement des addictions». Son vœu le plus cher
s'est exaucé donc : le cadre institutionnel de collaboration est bien là. Il
s'est mis en place en un temps très court. «J'aime cette particularité en
Algérie : on omet parfois de faire une certaine chose. Mais une fois l'on s'y
décide, on la fait très rapidement et bien correctement», remarque le
Professeur Benyamina, visiblement heureux de pouvoir
désormais se donner à fond pour l'Algérie maintenant que le cadre y est. «C'est
que du bonheur d'être là à échanger et à apprendre les uns des autres avec mes
frères et confrères algériens !», s'en réjouit celui qui a acquis la gloire, la
vraie, l'authentique pas celle du prêt-à-porter, des agendas et autres profils
biaisés, par la Science, l'objectivité, l'empirisme et la «Psychanalyse du
feu», et non pas par le verbe qui est fait pour chanter et séduire et qui
rencontre rarement la pensée... Celui qui n'a jamais été complexé encore moins
obnubilé par sa proximité avec l'Elysée au point de vendre son âme.
Petit entretien autour d'un café avec le Professeur Amine Benyamina dans un petit coin sympathique de l'Hôtel Liberté, dimanche matin, quelques petites heures avant son vol de retour vers Paris... Le Quotidien d'Oran : Petite synthèse sur ce séminaire si vous permettez bien ? Professeur Amine Benyamina : Nous avons eu l'honneur, le docteur Bish et moi, d'avoir pris part à ce séminaire pour un partage d'expériences plutôt qu'une formation descendante. La cible était les promotions sortantes des Centres intermédiaires de soins en addictologie (Cisa) algériens qui ont bénéficié d'une formation en psychiatrie-addictologie à Oran, ville choisie à cet effet dans le cadre d'un programme national mis en œuvre par le ministère de la Santé. Si je ne m'abuse, on aurait remis des diplômes à une trentaine de médecins. A l'occasion de ce séminaire de deux jours, on a été accueillis par le vice-doyen de l'EHU du 1er Novembre 1954, que je remercie vivement au passage, ainsi que par la délégation ministérielle conduite par le Pr Mohamed Chakali, sous-directeur de la promotion de la santé mentale au ministère de la Santé. Ça s'est déroulé dans de très bonnes conditions. On a ainsi mis en place conjointement un programme pour répondre à la question d'échange d'expériences et avons, à cet effet, exposé de notre côté le modèle de prise en charge français qui se décline sous trois niveaux, à savoir : hospitalier et médico-social, ambulatoire et libéral. On s'est longuement attardés sur la notion de prévention, qui n'est pas tout à fait claire ni ici ni ailleurs. C'est tout l'enjeu de la Santé de demain. On a abordé aussi un sujet d'actualité qui préoccupe tout le monde aujourd'hui : l'addictologie aux écrans. J'ai eu l'occasion de remettre au Président français, Emmanuel Macron, un rapport où j'avais présenté les grandes lignes de cette question et un ensemble de recommandations. A mon sens, l'expérience peut être facilement translatée sur l'Algérie, tant la problématique, le diagnostic et le traitement requis sont les mêmes à quelques détails près. Mais, à mon avis, le plus important dans le séminaire, c'était le débat interactif. On a débattu presque de tout, et dans les détails : le type de produits, la situation clinique, les difficultés rencontrées par les uns et les autres... Je dois reconnaître que les responsables du ministère de la Santé étaient très coopérateurs et réceptifs. J'étais par ailleurs très surpris par la maturité avec laquelle ces jeunes médecins travaillent et assurent leurs tâches, avec une si grande passion. Ils nous ont éclairés sur la diversité des profils cliniques. On a hélas tous les profils en Algérie, d'après ce que nous avons appris, avec toutefois une prévalence moins importante qu'ailleurs. On y trouve de tout : l'alcool, le tabac, le cannabis, les opiacés, les alcaloïdes, les amphétamines et dérivés de synthèse, le protoxyde d'azote... Mais à côté de la consommation de produits psycho-actifs, il y a aussi les addictions comportementales tels que les jeux de hasard et d'argent, la sur-connexion aux écrans entre autres habitudes qui provoquent un dysfonctionnement du circuit de la récompense. Ces jeunes médecins algériens reçoivent tout le monde, ils ne sélectionnent pas. Ils nous ont exposés un problème que nous connaissons si bien : comment motiver un patient à franchir le premier pas vers les structures de soin. Le problème en amont et en aval. Ils nous ont également parlé de leurs relations avec la filière privée, les médecins libéro-privés. Les psychiatres algériens travaillent en fait beaucoup avec les Cisa. Q.O. : La commission écran que vous co-présidez, où en sont les choses ? Professeur Amine Benyamina : L'idée-force de notre sollicitation, Docteure Servan Mouton (psychiatre-addictologue à l'Hôpital Paul Brousse à Villejuif) et moi, par le Président Macron pour ce travail sur l'addiction aux écrans, c'était d'arriver à une convergence sur une utilisation raisonnée des écrans chez les enfants, principalement. Parce que ceux-ci sont les plus exposés du fait qu'ils soient, expériences à l'appui, plus à l'écoute de cet outil qu'à leurs parents et leurs instituteurs. Il nous a été alors demandé de faire des propositions dans le sens de comment protéger les enfants des effets de l'utilisation non ou mal contrôlée des écrans. Evidemment, le champ d'intérêt d'une telle démarche allait au-delà des frontières de la France et s'étendait à toute l'Union Européenne. Après notre remise à l'Elysée du rapport s'articulant autour de 6 axes et contenant 29 propositions, nous étions contactés, Dr Servan et moi, par plusieurs pays dont l'Australie, le Canada et des pays scandinaves. D'ailleurs, le Premier ministre australien a déposé par la suite un projet de loi régulant et limitant l'accès au réseau internet pour les moins de 16 ans (Ndlr : L'Australie va fixer à 16 ans l'âge à partir duquel les mineurs pourront accéder aux réseaux sociaux, a déclaré jeudi 7 novembre le Premier ministre Anthony Albanese, qui s'est engagé à sévir contre les firmes technologiques qui ne protègent pas les jeunes utilisateurs. Ce ne sera pas aux parents qui «se font un sang d'encre pour la sécurité de leurs enfants en ligne», mais plutôt «aux géants de la technologie et les plateformes de réseaux sociaux d'avoir la responsabilité de s'assurer que les utilisateurs ont l'âge requis», a souligné le Premier ministre, ajoutant que «la responsabilité n'incombe pas aux parents ou aux jeunes. Il n'y aura pas de sanctions pour les utilisateurs», a-t-il précisé) Q.O. : Peut-on translater sur le cas propre à l'Algérie ? Professeur Amine Benyamina : En Algérie, on n'est à ce que je sache plus au stade de la réflexion par rapport à ce thème puisque des médecins psychiatres et addictologues algériens ont déjà commencé, de manière assez intuitive il faut le dire, à recevoir et à cibler même des enfants et des adolescents présentant des symptômes d'addiction aux écrans et autres effets de comorbidité psychiatriques. Ces prises en charge médicales devront servir de base de données scientifique et épidémiologique psychiatrique à transmettre aux autorités gouvernementales aux fins d'une exploitation adéquate pour mettre en place les réponses à donner au phénomène d'addiction aux écrans chez les moins de 14 ans ou moins de 16 ans, cela dépendra. Il faut s'attendre cependant qu'à l'image des lobbys de l'alcool, du tabac ou la pornographie, les super-gérants du Web (Ndlr : dont la superpuissante Association Internet, qui est en fait un lobby regroupant quelques-unes des entreprises les plus robustes du Net, et dont la plupart sont américaines, et qui compte dans ses membres des sociétés comme Airbnb, Amazon, Dropbox, eBay, Expedia, Facebook, Google, Groupon, LinkedIn, Microsoft, Netflix, PayPal, Pinterest, Reddit, Snap, Spotify, TripAdvisor, Twitter et Uber), feront tout pour capoter de telles actions gouvernementales tentant à «raisonner» l'utilisation du Net car une bonne part du chiffre d'affaires de leur industrie réside dans la clientèle dépendante, voire adductive, d'où tout l'intérêt de la régénérer sans cesse pour en pérenniser le flux financier. Q.O. : Justement, comment s'y prendre face à ce dilemme ? D'une part, le système éducatif algérien est en pleine campagne de numérisation, y compris dans son volet pédagogique. D'autre part, il y a ce «revers» de l'utilisation d'écrans contre lequel vous mettez en garde en tant qu'expert psychiatre et addictologue, notamment en ce qui concerne les enfants ? Professeur Amine Benyamina : Excellente question. J'ai été contacté par le ministre de la Santé de la Suède que j'ai rencontré à Paris. Il m'a expliqué que son pays, à l'instar de toute la Scandinavie d'ailleurs, c'était «le tout numérique» depuis quelques années. Jusqu'au moment où ça commençait à afficher des niveaux d'assimilation et de résultats scolaires en forte régression d'année en année. Là, il fallait réagir vite. Et donc, ils sont revenus presque rapidement vers l'avant «tout numérique». Une marche arrière qui a commencé à stabiliser la situation dans un premier temps et à inverser la tendance par la suite. Et un pays comme l'Algérie a cet avantage de pouvoir raisonner sa nouvelle expérience de numérisation de son système éducatif, car elle en est à ses débuts. Évidemment le numérique est important dans le système scolaire, aussi bien comme support pour les programmes pédagogiques qu'en tant qu'outil d'interface école/élèves/parents. Mais il faut aller doucement et modérément. Il faut raisonner le dispositif ; j'allais dire le logiciel. Y compris par le retour et la priorisation du modèle classique, qui est en fait le naturel, le plus humain et donc le plus sain. Par le contact physique, le livre, le papier et le stylo, l'animation en classe, le sport dans la cour... Attention ! Je ne dis pas qu'il faut retirer le numérique de notre vie, cela est d'ailleurs absolument impossible. Le numérique a sauvé des vies, pendant et en-dehors du Covid-19. Nous-mêmes médecins psychiatres, il nous est arrivé bien souvent de traiter un malade derrière l'écran. C'est aussi un facteur d'égalité territoriale et sociale. Un outil de démocratisation par excellence... Tout cela est arrivé très vite : la technologie est devenue omniprésente, omnisciente, omnipotente. Elle nous a facilité la vie et petit à petit on se rend compte qu'il y a quelques effets pervers sur lesquels il faut se réveiller. On raisonne avec la norme actuelle, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de critique à avoir au sujet du numérique parce qu'il nous amène tellement de bienfaits, tellement de facilités. Le principe de dé-normalisation, il faut l'intégrer comme on l'a fait pour le tabac : il y a 20 ans, qui aurait pensé qu'on allait éviter le tabac partout - y compris dans les espaces extérieurs ? |