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Journaliste,
essayiste, romancière et poète, native de Batna et établie à Montréal depuis
2010, Nassira Belloula
vient de publier aux éditions Hashtag son dernier livre «J'ai oublié d'être
Sagan».(2019). L'auteure raconte le destin d'une
adolescente rebelle qui veut sortir du carcan que sa famille et sa mère lui
imposent dans les années 70. L'histoire est campée dans un village du sud de
l'Algérie, près du Sahara, non loin du coin de pays d'où la romancière est
originaire.
Le roman aborde les conventions qui régissent encore la vie des femmes dans certains endroits de ce pays du Maghreb. Dans sa quête de liberté, la narratrice constate le déclin du rôle de sa mère : «La revanche des femmes de chez nous, devenir des belles-mères.» Dans un entretien radiophonique avec la journaliste Maryse Jobin de RCI (en date du 13 novembre 2019), Nassira Belloula présente la trame de son récent roman «J'ai oublié d'être Sagan» : l'histoire se passe dans le sud algérien, un milieu dans lequel j'ai évolué, un milieu que je connais bien, le milieu rural, le milieu des femmes ; parfois, c'est des déclics, parfois c'est des images qui me sont restées dans la mémoire, et à un moment donné ça fait un déclic, il y a une inspiration ; et on écrit ce qu'on a peut-être vu, vécu, ressenti ; je pense que notre terre d'origine, notre pays d'origine avec nos cultures, nos traditions, ça reste en nous, ça reste un terreau d'écriture, un milieu dans lequel on a été élevé, donc c'est facile pour moi de surfer sur ça, de revenir constamment vers mes lieux si j'ose dire, d'écriture...L'histoire de cette jeune fille rebelle est assez dramatique ; parce que ce qui l'a rendu aussi pragmatique, qui rejette cette société qui l'opprime, c'est d'abord son ouverture sur le monde ; donc l'écriture et la lecture lui ont permis de voir autre chose que les dunes du Sahara. Donc son esprit voyage, elle arrive à voir ce qui se passe et qu'elle aspire à quelque chose de mieux, elle ne veut pas être comme ces femmes soumises qui sont autour d'elle et qui ne s'occupent que de la nourriture, de la maison et du bien-être de l'homme ; donc pour elle, elle voudrait être autre chose, et cet autre chose se matérialise dans le professeur de français qui arrive dans cette ville et qui va enseigner la littérature française, donc un lien fort avec ce professeur parce qu'il lui permet une ouverture sur l'autre, sur le monde qui l'entoure, et l'histoire d'amour va naître en eux ; il va l'initier à l'amour, il va l'initier à la littérature ; et le roman va tourner autour de Françoise Sagan parce qu'il va lui offrir pour ses 16 ans «Bonjour tristesse». Donc c'est à partir de là qu'il va y avoir une sorte d'histoire à trois...La rébellion féminine dans les sociétés traditionnelles est considérée comme une débauche ; on n'accepte pas que la fille sorte des limites de la tribu ou des limites de la famille, et pour échapper à ce regard sur la femme, elle va s'inventer l'histoire assez rocambolesque puisqu'elle va dire qu'il y a quelque en elle qui agit ; donc la mère va sauter sur cette histoire et elle va trouver un compromis, donc un djinn...On reconnaît cette possession, on la combat...En général, le djinn est accolé à tout ce qui sort de l'ordinaire, tout ce qui est différent. Dans certains villages, s'il y a une crise d'épilepsie chez un gamin, on va tout de suite penser à une possession, beaucoup plus qu'à une maladie, c'est quelque chose qui est très commun, qui est très courant chez nous ; elle, c'est sa mère qui va trouver là cette solution pour sauver sa fille parce qu'une fille qui fugue, une fille qui a une relation amoureuse, le crime d'honneur n'est pas loin, les hommes vont réagir, ils ne vont pas se taire, c'est l'honneur qui est entaché ; donc elle, pour sauver sa fille, elle va dire ce n'est pas elle, elle est possédée, c'est le djinn qui agit à sa place, et au lieu d'avoir des accusations, il va y avoir une compassion, donc le regard sur la fille va changer, on va lui trouver des excuses à sa rébellion... Quant à l'histoire de la mère est aussi un peu dramatique parce que c'est une femme qui est restée avec un mari qui n'était pas tout à fait polygame ; il est resté 20 ans avec elle parce que c'était une belle femme ; et puis un jour, elle se rend compte qu'elle n'attire plus son mari, qu'il ne l'a désire plus, qu'il y a quelque chose qui s'est brisée ; elle est devenue une mère avec beaucoup d'enfants ; donc c'est elle-même qui va se retirer de la vie conjugale : elle va s'isoler et elle va se créer un autre univers féminin ; donc elle va devenir une belle-mère, elle va avoir des brus, des petits enfants, elle gère son petit monde, c'est qui commande ce petit monde-là ; elle va avoir un autre statut. C'est un peu un cercle vicieux dans l'éducation des femmes, donc pour elle c'est un échappatoire d'avoir des brus qu'elle va commander ; elle va avoir tout à fait un autre environnement qui va la consacrer et en choisissant justement sur des photos des épouses, le père va jeter son dévolu sur l'une d'elles, celle dont elle devait demander la main son fils ; donc le père va épouser cette jeune fille, et ça va être une fracture pour la narratrice parce qu'elle se rend compte finalement que tout ce monde-là ne lui convient pas du tout, c'est un monde qui est assez glauque pour elle, elle veut absolument en échapper...et l'histoire se termine par un mariage, un mariage qui va la sauver en quelque sorte mais ce n'était pas son choix non plus...». Au sujet de son écriture romanesque féministe, Nassira Belloula souligne que «c'est important de parler de la condition féminine, c'est vrai qu'il y a beaucoup de choses qui ont changé, il y a des lois, mais ça reste assez pragmatique pour des femmes dans certaines zones et conditions, qu'elles n'ont pas évolué comme les citadines ou des femmes instruites, c'est important de jeter un regard sur ce microcosme de société féminine qui évolue dans un environnement clos, soumis à des règles obsolètes qui ne devraient plus exister...L'écriture permet justement de transcender ces limites-là et permet d'avoir un regard assez lucide, je pense que c'est important d'en parler mais en écrivant, par rapport à moi quand j'écris, je ne le fais pas dans un sens où il y a de la morale ou quelque chose comme ça, je le fais parce qu'il y a quelque chose qui m'a inspirée, il y a quelque chose qui m'a permise d'exploser sur le papier et de raconter ce qui me motive, ce n'est pas de la polémique, c'est un roman sur la condition des femmes qui raconte ce qui se passe dans les villages par rapport à la polygamie, par rapport à l'inceste, par rapport au mariage forcé... ;ce n'est pas quelque chose qui est resté cloisonné, donc, il y a une ouverture d'esprit sur ça...». Contactée par nos soins au sujet de son départ d'Algérie avec sa famille, Nassira Belloula a tenu à préciser que «pour l'exil, je pense que ce mot ne concorde pas vraiment lorsqu'on fait un choix de s'établir pour x raisons dans un pays étranger. Je me sens plus une expatriée qu'une exilée en voie d'explorer d'autres espaces et prendre des défis nouveaux dans la vie, et cela s'est concrétisée par de nouvelles études universitaires, de nouveaux diplômes, l'édition, la reconnaissance pour mes travaux. Ceci dit, vivre loin de son pays d'origine est un défi en soi et assez douloureux quand on se lève certains matins et qu'on se demande où on se trouve ou pourquoi on est si loin...». Sur le 24e Salon international du livre d'Alger, elle nous indiquera que «cette année, je n'ai pas pu me déplacer au Sila comme l'année passée. Je fais ma rentrée littéraire à Montréal avec mon nouveau roman «J'ai oublié d'être Sagan» publié ici, et des rendez-vous pris pour la presse et le Salon international du livre de Montréal. Le Sila reste un rendez-vous incontournable pour les auteurs, les lecteurs et les professionnels du livre, et d'après ce que j'ai lu cette année il a encore tenu ses promesses...». Invitée à s'exprimer sur la Révolution du sourire, Nassira Belloula dira que «le Hirak est la plus grande chose qui puisse arriver à l'Algérie. Cette extraordinaire mobilisation a redonné de l'espoir à un peuple qui ne croyait plus en rien tant il a été désabusé, berné, trahi, et la liste est assez longue, par des dirigeants censés protéger les acquis du peuple ; liberté, démocratie, justice, égalité, travail, santé... La société algérienne a montré ses capacités de transcender toutes ses différences et offrir un pôle uni, incontournable, capable de peser sur les échéanciers du pays. C'est cette forte union qui doit demeurer pour aboutir à de réels changements à tous les niveaux. Et c'est extraordinaire de voir les jeunes longtemps laissés pour compte de commencer à imaginer l'avenir dans leur pays. Le peuple se réapproprie son pays. Et c'est positif...». Nassira Belloula publie au début des années 80, alors âgée de vingt ans, son premier ouvrage, un recueil de poésies «Les portes du soleil», essentiellement écrit au lycée. Elle rejoint dès 1993 la presse dite «indépendante» en Algérie où elle exerce le métier de journaliste dans des quotidiens francophones (Le Soir d'Algérie, Le Matin, La Nouvelle République, Liberté) puis chargée des rubriques Société et Culture jusqu'en 2010, date à laquelle elle s'installe au Québec. Elle était membre du PEN section Algérie. Elle a son actif une quinzaine d'ouvrages, s'intéressant à l'écriture féminine algérienne avec Algérie, le massacre des innocents, livre-témoignage (2000, éditions Fayard, Paris) ; Les belles Algériennes, confidences d'écrivaines chez Media-plus (2008) ou encore De la pensée vers le papier, soixante-ans d'écriture féminine algérienne (Enag édition 2009). Ses romans Visa pour la haine (Alpha édition 2007) ; La revanche de May (La pleine lune édition 2010), Prix Espace femmes Arabes du Québec, Terre des femmes (Chihab édition 2014, traduit en tamazight par Saïda Abouba), Prix international Kateb Yacine en 2016, Aimer Maria (éditions Chihab 2018), finaliste du Prix Mohamed Dib en 2016 en mai 2005, Nassira Belloula prit part à une table ronde organisée par l'Association «La Grande Maison» à l'occasion de la commémoration du 2ème anniversaire du décès de Mohamed Dib et transmise en direct sur les ondes de Radio Tlemcen, n.d.l.r), Prix Charles Gagnon 2019 (Québec), et finaliste du Prix Yamina Mechakra 2018) s'articulent autour de la condition féminine. En 2012, elle reprend ses études à l'université de Montréal où elle obtient un diplôme en histoire, et une licence en arts et sciences. Éditée chez Fayard (France), La pleine lune et Hasthag (Québec), Chihab (Algérie). Actuellement elle est membre du Parlement des écrivaines francophones. |