|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
La phrase de A. Kadri (1) ressemble plus à une boutade qu’à une réalité épistémologique de la science historique. Cette élocution inappropriée dégage un gène heuristique qui peut se comprendre lorsque une multitude de versions essaient de donner du sens à l’action des hommes. Autrement, le bilan du mouvement national algérien donne des résultats de l’analyse contradictoire et cela en fonction des points de vue. Or, reconnaître que les hommes font de l’histoire dans un langage très marxien ne sert à rien lorsque en même temps on enlève du sens à l’action des hommes par une déclaration solennelle du type: ‘’ qu’ils ne savent pas l’histoire qu’ils font.’’ Le recours au langage marxiste n’a rien de mauvais lorsqu’il donne satisfaction d’un point analytique. En cela, comme chacun le sait, le discours du progrès a fait son chemin et le retournement de la situation a évacué beaucoup de concepts, non pas seulement par des choix arbitraires mais par l’obsolescence de leur usage. En filigrane, la notion de l’aliénation, terme utilisé par K. Marx pour analyser les rapports de production. Or, ce mot reflète une condition historique de la pensée de K. Marx. G. Canguilhem donne une précision intéressante lorsqu’il évoque le problème de l’idéologie. Il dit en substance que : Dans la contribution à l’économie politique, Marx a rencontré ce qu’il nomme une ‘’difficulté’’, à savoir le fait que l’art relatif dans ses productions à l’état social, pouvait conserver au-delà de ses conditions historiques et après leur disparition, une valeur permanente’’(2). Dans tout ça, il se distingue de l’ancienne science de la genèse des idées (3) en lui attribuant la fonction d’une illusion politique, idéologique, morale et religieuse. L’édifiante phrase de A. Kadri qui prend l’allure d’un euphémisme, connote au moins la fonction idéologique de l’aliénation comme si les acteurs algériens ne se reconnaissent pas dans leur propre histoire. Pour argumenter son style, A. Kadri énumère une série de faits et gestes du mouvement national algérien étrangement dominé par des personnages à qui il prête beaucoup d’intentions. A titre suggestif, il rappelle l’idée d’une insurrection précoce suggérée par Lamine Debaghine lors du débarquement des alliés et d’autres considérations sur les querelles de personnes. A voir de plus clair, toutes ces querelles de légitimation sur le début de l’insurrection armée et les dates commémoratives marquent de leur empreinte justement que les hommes en action connaissent l’histoire qu’ils font. En effet, le but assigné à leur action et la trame des événements concourent à définir l’histoire qu’ils font. Le recours au psychisme des acteurs tend à nous éloigner de l’histoire proprement dite. Pour paraphaser P. Veyne, le cirque de l’histoire n’est pas que du pain et des plaisirs, il est aussi celui de l’empire où domine l’action des hommes les plus forts. Dans l’histoire de l’empire romain, des têtes d’affiche s’illustrent par leur bonne ou mauvaise action publique. Que les empereurs romains soient pris de démence ou de sagesse, l’histoire fait le bilan de leur geste politique. Et en aucune manière, cette même histoire ne diagnostique au tribunal de la téléologie, l’état de la conscience des acteurs. En l’occurrence, téléologiser l’histoire par la psychologie revient à donner à l’innocence un certain rôle aux prédispositions mentales des acteurs. Pour revenir aux exemples donnés par Kadri, il n’y a pas un jour où quelqu’un parmi toutes ces ‘’consciences nationales’’ qui ne livre une nouvelle version du mouvement national. La surenchère abonde dans le sens d’une inflation de la légitimitation des commémorations. L’un des derniers à avoir pris la tangente revendicatrice est le militant des droits de l’homme, Maître Yahia Abdennour, qui dit en subsance que la Kabylie était prête à l’insurection armée dès les années trente. Comme nous le savons, cette région d’Alger et d’après l’encours historique, a été l’une des dernières régions à avoir été pacifiées par l’armée coloniale. Et au même titre que d’autres coins d’Algérie, la population indigène a toujours manifesté son hostilité envers la domination étrangère. Si et seulemnt si, la résistance de la population est admise consensuellemnt, la surenchère du précurseur n’a pas lieu d’être. Et à plus forte raison, l’irrecevable vacuité élitaire du fils du colonel Amirouche n’a pas de valeur. Quoiqu’il en soit, depuis que les hommes font l’histoire, aucune élite ne s’est départie de la masse ou du peuple. Toutes les annales historiques rappellent que l’avant-garde révolutionaire ou contestaire est l’élément déclencheur des événements, mais au final, c’est à la masse que revient l’intensification de la lutte libératrice. QUE RESTE-T-IL A FAIRE POUR ECRIRE L’HISTOIRE DE L’ALGERIE CONTEMPORAINE? Il va de soi que, comme il s’agit de l’analyse de la révolution, différents éléments peuvent se juxtaposer ou se rajouter pour enrichir la mémoire nationale. En prenant l’exemple de la révolution française de 1798, il est dit et établi que le facteur de la domination joue un rôle important dans le soulèvement de la population contre l’ordre établi. Et depuis la contribution de F. Furet, diverses contributions ne cessent d’enrichir le débat. A ce propos, les écologues mettent en exergue le climat qui a précédé le déclenchement de la révolution française. Or, mise à part quelques spécialistes du mouvement national, ni les politiques ni les intellectuels algériens ne sont tombés d’accord sur un principe commun de l’interprétation des événements historiques. Chacun élabore à sa manière une version qui plonge le débat dans une atmosphère nauséabonde des invectives. Pourtant, de vastes domaines restent à explorer. Quant à la figure du style employée, elle relève d’un autre domaine de compétence, mais rien n’est moins sûr que c’est la meilleure figure choisie. 1- A.Kadri, http://algériedebatover-blog.com |