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Les Espagnols ont
voté ce dimanche 23 juillet. Au moment de la rédaction de cet article, VOX, le
parti d'ultra-droite qu'ils craignent a perdu des voix. Mais si la main de
beaucoup de sympathisants de ce parti a tremblé au dernier moment, elle a
cependant donné une majorité relative au parti conservateur PP (Parti
Populaire) qui prend la première place en suffrages.
Cependant, il ne peut former un gouvernement qu'en cas de coalition avec VOX mais pas si sûr. Quelle que soit l'issue lors de la publication de l'article, son objectif est de porter attention à VOX, ce qu'il est et son danger potentiel. Vox populi, vox Dei, expression latine pour « la voix du peuple est la voix de Dieu ». Une phrase imagée pour signifier que l'Espagne démocratique accepte le résultat sorti des urnes car, quel qu'il soit, il est la volonté des suffrages du peuple. Cette question s'est posée à chaque fois qu'en Europe, un parti d'extrême droite est sur le point d'arriver au pouvoir, seul ou porté par une coalition. Faut-il considérer ce parti comme faisant partie de la sphère démocratique ou non, et donc l'exclure ? Et à chaque fois, la même réponse, dès lors qu'il ne contrevient pas aux lois, on ne peut l'interdire pour les opinions extrêmes de son projet politique selon le principe sacré de la démocratie. VOX est là, sans interdiction de la justice, il faut donc s'y faire et le peuple espagnol prendra en compte le résultat afin d'orienter le choix de chaque électeur dans le futur. Voyons d'abord le rapport de force sorti des urnes avant de nous consacrer entièrement à ce phénomène montant en Europe, celui des partis populistes d'extrême droite à travers la montée de VOX. Que nous ont dit les urnes ? Pour y être en ce moment, je peux témoigner que toute l'Espagne était suspendue au verdict des urnes pour des élections législatives anticipées après qu'elles aient été décidées par le Président du gouvernement. Pedro Sanchez, qui était en grande difficulté, ne pouvait plus gouverner avec le soutien faible et variable de l'Assemblée des députés. Il a choisi de redonner la parole au peuple afin qu'il tranche par des élections anticipées. L'Espagne était suspendue à l'annonce des résultats car pour la première fois, VOX, qui avait déjà des députés, était placé dans les sondages en situation d'entrer dans une coalition gouvernementale. Cependant, d'un point de vue purement arithmétique, le Parti Socialiste est le mieux placé pour former une coalition majoritaire si les négociations arrivent à ce résultat. Ce n'est donc absolument pas gagné pour la droite car, selon les projections sur les votes dépouillés, ceux qui soutiennent actuellement Pedro Sanchez (PSOE+ Sumar+ERC+Bildu+PNV, 176 élus) sont loin devant ceux qui soutiennent Alberto Feijoo (PP+ VOX+ UPN+CC, 166 élus) et ont encore une majorité absolue. Il faut rappeler aux lecteurs non avertis que le mode de scrutin espagnol est un système proportionnel intégral qui oblige à former des coalitions car la majorité absolue est très difficile à atteindre. En effet, le pourcentage des voix obtenues est le même que celui attribué en sièges. Nous verrons ce qui se passera lors de l'annonce des résultats des négociations, mais déjà, nous pouvons dire que la droite conservatrice est en tête en nombre des suffrages et que jamais VOX n'a été autant proche de l'entrée au gouvernement. Et c'est cela l'essentiel pour mon article qui lui est entièrement consacré. D'où vient VOX ? VOX signifie en latin « voix » et comme tous les partis populistes, c'est un mot clé de leur projet politique. Toujours la même rhétorique de tous les mouvements populistes, « le peuple contre les élites » qui les plongeraient dans une décadence et même dans une dégénérescence de la civilisation de la nation. C'est en 2013 que le parti est né de la scission avec le PP (Parti Populaire), vieux parti du gouvernement de la droite conservatrice espagnole. C'est d'ailleurs un processus assez général en Europe avec l'émergence des partis populistes, ils sont nés d'une fraction des partis conservateurs historiques pour affirmer un désaccord, une déception. Ils dénoncent la « dérive » progressive des partis de droite vers une démocratie sociale qui ne correspond pas aux orientations d'une frange de la population qui veut affirmer ses choix ultraconservateurs et nationalistes. Le parti VOX était resté très marginal jusqu'aux élections régionales de 2018 où il avait fait une fracassante entrée au Parlement régional de la vaste Andalousie avec 11% des votes et 12 sièges. Puis ce fut l'ascension progressive au niveau national jusqu'à l'entrée au Parlement national avec 24 députés. VOX avait à ce moment dépassé l'étape de la surprise pour entrer dans le jeu politique à une place qui compte, la troisième, après le Parti Socialiste au pouvoir et le Parti Populaire. VOX est maintenant aux portes du pouvoir régional avec son entrée au gouvernement local de Castille et Leòn, en coalition avec le Parti Populaire. Ce dernier n'a aujourd'hui qu'une majorité relative et l'alliance avec VOX s'impose à lui pour sa prise de pouvoir au niveau national, nous l'avons déjà dit. Le fondement doctrinal populiste de VOX En plus du populisme, le parti repose sur les fondements classiques de l'extrême droite, c'est-à-dire le nationalisme et le retour aux valeurs ancestrales de la nation espagnole. Pour cela, il faut généralement être négationniste et revisiter le passé à la lecture de la doctrine d'extrême droite. On peut également rajouter tous les autres attributs doctrinaux qui se sont agrégés récemment autour de ce mouvement, soit pour les plus importants, le climato-scepticisme, la théorie du complot et les lois dites « sociétales ». Ces derniers s'expliquent tout à fait naturellement. Puisque le populisme est le fait de dénoncer les élites qui sont contre les intérêts du peuple, tout ce qui vient de ces élites doit être combattu même si parfois on se demande ce que font ces positions nouvelles avec le socle idéologique de l'extrême droite (comme l'écologie). Le populisme fait feu de tout bois pour arriver à l'adhésion de la majorité du peuple contre les positions de l'élite. En ce qui concerne le combat contre les lois sociétales, s'il est récent dans la forme que nous lui connaissons aujourd'hui, il est néanmoins compatible avec les positions passées. La pureté de la race, les valeurs familiales et religieuses sont dans l'ADN de tous les partis d'extrême-droite européens. Il faut rappeler que si le mouvement est général en Europe, l'Espagne est en pointe dans la libération des mœurs et des libertés sociétales. Ce grand pays, historiquement et profondément catholique, a déployé un arsenal juridique impressionnant comme le droit à l'avortement, le mariage pour personnes de même sexe et même, une limite que n'ose pas franchir beaucoup de pays, la procréation pour autrui (mère porteuse) ainsi que la «loi « transgenre » votée en 2022. La racine de ce souffle extraordinaire de liberté fut la « Movida », c'est-à-dire un mouvement qui avait saisi l'Espagne au lendemain de la chute de Franco et qui s'était particulièrement transposé dans les milieux des arts, notamment celui du cinéma (on connaît tous l'originalité et le talent du cinéaste Almodóvar). Et si nous rajoutons à tout cela la chute vertigineuse de l'influence de l'Église, ce fut le trop-plein pour la partie ultra conservatrice du Parti Populaire. Comme tous les partis populistes, VOX s'est alors nourri des mêmes ingrédients pour progresser face à un tel mouvement sociétal qui heurtait une partie de la population, même si elle était marginale au début, soit une population qui est au désarroi et qui se sent déclassée économiquement (tiens, voilà une expression que nous avons retenue de la montée de Donald Trump). Il faut maintenant étudier un autre versant du populisme, soit le nationalisme qui est l'un des fondements majeurs de la doctrine d'extrême droite. Le nationalisme et ses trois piliers Si je dissocie les points suivants avec les précédents alors qu'ils forment un tout, c'est un choix personnel, donc confronté à la contradiction. J'ai considéré que les trois éléments que je vais présenter séparément sont ceux qui ont permis à Vox d'avoir une réputation européenne et mondiale. 1/ L'intégrité du territoire de la nation VOX est farouchement opposé à la division territoriale de l'Espagne en Communautés autonomes (la division régionale du pays), car il estime que l'intégrité du territoire de la nation est en cause. Il est ainsi le premier en lutte contre le séparatisme de la Catalogne et du Pays basque. Le projet de VOX est de les éliminer car ils créent le danger de voir à tout moment resurgir une revendication sécessionniste dans un pays qui compte 17 communautés et cinq langues officielles (espagnol, catalan, basque, galicien et aranais). Auxquelles il faut rajouter deux non officielles (asturien et aragonais). L'espagnol, dit langue castillane, est la seule langue nationale officielle de l'Espagne. Les autres langues ont une assise régionale. 2/ Le négationnisme et le révisionnisme L'extrême droite, c'est toujours la réhabilitation des années sombres et le culte des pouvoirs forts. La nostalgie de l'époque de l'empire espagnol et du franquisme lui font affirmer que l'Espagne doit reprendre sa puissance et son influence du passé et dans le monde. Le négationnisme est le fait de nier les vérités de l'histoire alors que le révisionnisme est la réécriture de l'histoire au motif qu'elle est la vérité des faits. Ils sont donc les deux volets d'un même projet. C'est la raison pour laquelle cette doctrine a toujours été celle du culte de « l'homme fort » car il saura, de main ferme, redonner à la nation sa fierté et sa force. Le Président du parti, Santiago Abascal Conde, un homme charismatique dont le grand-père fut franquiste, a su porter cette voix et mener le mouvement dans le chemin d'une grande visibilité, jusqu'aux portes du pouvoir. Basque, il a connu les exactions de l'ETA contre sa famille et c'est probablement ce qui le motive, tout au moins en partie. Si aucun dirigeant de VOX n'ose clairement se déclarer des racines du parti franquiste, tout est là dans les déclarations, pour affirmer le contraire. Il faut effacer le passé « mensonger » et VOX reprend un récit du passé qu'il estime être glorieux. Il combat avec force toutes les lois mémorielles, très nombreuses dans ce pays après la période franquiste. Parmi les principales affirmations négationnistes, la colonisation en Amérique latine a apporté civilisation et progrès, le Franquisme a été le rempart contre les crimes des républicains et ainsi de suite. Pour VOX, la nation est historiquement forte, attaquée par des perversions libertaires et socialisantes, elle doit se battre pour retrouver son rang y compris par la force. 3/ Le combat contre l'immigration Troisième volet du nationalisme de VOX, le fameux slogan « Les Espagnols d'abord », si connu dans les régimes d'extrême droite. Selon son analyse, l'immigration est un fléau qui a gangrené la nation avec la destruction des valeurs nationales, la transformation de la culture, la conséquence parasitaire des dispositions sociales généreuses et la montée de la délinquance. Si tout cela n'est pas nouveau dans le sentiment nationaliste de l'extrême droite, c'est bien évidemment l'entrée massive et illégale de populations émigrées qui en a redonné la force. Un sentiment national de repli qui pousse de plus en plus de citoyens espagnols dans les bras de VOX. Même si, rappelons-le, une partie des suffrages des supporters de VOX se sont reportés sur le Parti Populaire, pour des raisons d'efficacité (ce qu'on appelle le « vote utile »). Deux modérateurs importants Ce scrutin du 23 juillet a causé un lourd émoi en Espagne, car, cette fois-ci, l'enjeu était majeur pour le risque de voir VOX entrer dans la gouvernance de l'Espagne en coalition avec le Parti Populaire. C'est en effet un pas important qui a été franchi, mais il faut garder en mémoire le premier modérateur qui est la constatation de la présence de VOX dans les conseils municipaux de 170 villes et de 10 villes importantes. La coalition fonctionne déjà depuis un moment et on constate que le Parti Populaire contrôle et bride les ardeurs de VOX. Une autre marche dans l'accession aux portes du pouvoir régional avec l'entrée au gouvernement de la Castille et Lòn, toujours en coalition avec le Parti Populaire. Puis, dans le gouvernement de la région de Valence qui n'est pas le moindre des fiefs, lui non plus, grâce à cette coalition qui semble être rodée. Ainsi, VOX ne surgit pas dans la représentation nationale sans avoir une expérience de coalition dans plusieurs pouvoirs locaux. Et, toujours, nous avons vu que le Parti Populaire, plus important en suffrages, tenait le parti VOX qui a du mal à déployer son programme extrême. Le second modérateur est l'application de ce qui vient d'être dit avec l'expérience dans l'Europe. Nous l'avions rappelé, ce n'est pas la première fois que des partis populistes prennent le pouvoir ou en sont très proches. L'Autriche la première avec Orban et en Italie récemment, pour ne citer que les plus importants. Et nous avons constaté que ces partis politiques d'extrême droite refroidissaient leurs programmes virulents, voire les édulcoraient si fortement qu'on oublierait presque l'accession d'un parti d'ultra-droite au pouvoir, en coalition ou non. Attendons maintenant la place que VOX aura dans la coalition gouvernementale, probablement très minorée. Déjà, avant l'élection, un responsable du Parti Populaire annonçait que cela ne se fera pas aussi facilement. Rappelons-le aux lecteurs, la proportionnalité du vote n'emporte pas forcément proportionnalité au gouvernement, ce qui est une étape beaucoup plus intense de négociations. VOX n'a pas encore, au moins pour cette fois-ci, une puissance qui lui permettrait d'imposer ses volontés. En conclusion, je ne souhaite vraiment pas l'entrée de VOX au gouvernement. Au moment de la publication de cet article le saurons-nous peut-être ? Et nous serions alors légitimes de dire vox populi n'est pas forcément vox Dei dans le système proportionnel. Il faut dire que dans le système majoritaire français, la distorsion est encore plus forte. *Enseignant retraité |