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«Que répondre à un homme qui
vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui en conséquence est
sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?», Voltaire.
Le système éducatif algérien alimente beaucoup de débats et surtout se débat dans une crise qu'aucun programme politique ne peut restaurer. Et pour cause : l'Ecole algérienne souffre d'anémie cérébrale, d'une forme d'anorexie pédagogique caractérisée par une insuffisance d'irrigation intellectuelle des étudiants, provoquée par l'inappétence scientifique induite par un affaiblissement des facultés d'apprentissage des élèves. Des élèves néanmoins abondamment gavés de programmes scolaires salafisés, une espèce de bouillie didactique indigeste et faisandée, importée des pays du Golfe, ces contingentes richissimes nations féodales, bâties sur un désert intellectuel où ne pousse jamais un brin d'herbe réflexif, encore moins un Arbre du Savoir. Une chose est sûre : le système éducatif algérien ne permet ni d'étancher la soif de connaissances, ni de nourrir à sa faim un jeune Algérien au moyen d'un travail jamais décroché à l'issue de ses études. Car en Algérie le travail est une denrée rare. En revanche, les denrées importées sont abondantes (du moins, jusqu'à une date récente car, depuis deux ans, l'assèchement des revenus pétroliers à tari la source des importations), financées par une économie rentière fondée sur la manne pétrolière. Manifestement, l'Algérie, faute d'avoir de grandes idées pour développer son économie, dispose de raffineries de pétrole pour éviter de penser son développement. À cet égard, il ne faut pas oublier de souligner que l'économie algérienne repose sur du sable mouvant. Et son école est bâtie sur un désert pédagogique. Un système éducatif au sein duquel la programmation de la stérilisation du savoir le dispute à la castration des esprits des écoliers algériens. Une école convertie en caserne idéologique chargée de l'enrégimentement de la pensée, enrôlée au service d'un régime monolithique vivant, depuis l'indépendance, de l'instrumentalisation mémorielle de la glorieuse Révolutionnaire de Novembre 1954, secondé, sur le versant religieux, par les mercenaires salafistes de l'enseignement, ces instituteurs islamistes missionnés pour endoctriner les élèves algériens. Ces deux entités, le régime monolithique et les islamistes, ont fait de l'ignorance une vertu, de l'abêtissement des écoliers algériens leur programme pédagogique. Comme l'ont écrit les auteurs du Manifeste «Sauver l'école», publié dans ?Le Quotidien d'Oran' le 17 juillet 2021 : «En moins de temps qu'il a fallu pour la construire, l'école algérienne est devenue une école poubelle». (?) «La médiocrité de l'école algérienne est bien là, et nul ne peut la contester. Elle a mutilé intellectuellement des générations d'élèves. Le désastre est incommensurable». Tout le monde s'accorde pour admettre la dégradation avancée du système éducatif algérien. Cependant, nombreux sont ceux qui incriminent explicitement l'enseignement en arabe, rendu responsable de l'échec scolaire. La langue arabe serait coupable, selon eux, d'avoir favorisé le sous-développement économique de l'Algérie. D'aucuns affirment qu'avec le maintien du français comme langue principale d'enseignement, l'Algérie serait devenue un pays économiquement développé, hautement technologique. Voilà une allégation totalement fantaisiste. Certes, une langue véhicule souvent les représentations sociales, les systèmes de valeurs et les schèmes de pensée intrinsèquement liés au pays tutélaire de la langue propagée, à plus forte raison quand il est en position d'hégémonie économique et culturelle internationale ou de domination coloniale, à l'instar des Etats-Unis aujourd'hui et du français jadis. Néanmoins, il n'en demeure pas moins vrai que la langue constitue aussi un simple moyen de communication. De manière générale, la langue peut vivre une longue période de rayonnement, puis subir un processus de déclin. Un âge d'or, puis une phase de déliquescence. Du point de vue linguistique, toutes les langues se valent. Il n'y a pas de langues plus perfectionnées que d'autres. Il existe en revanche des modèles économiques plus performants que d'autres. Et la langue dans laquelle s'exprime leur hégémonie économique peut s'imposer momentanément comme langue de communication à l'échelle mondiale. Au demeurant, au plan linguistique, comme l'avait formulé Ferdinand de Saussure, la différence entre une langue et un dialecte, c'est que la première dispose d'une police et d'une armée. Autrement dit, d'un État fort qui l'impose au détriment d'autres langues, dédaigneusement désignées sous le nom de dialectes. Aussi, tous les idiomes s'équivalent, encore faudrait-il accorder à la langue ses lettres de noblesse et les moyens académiques afférents. Comme le soulignent, à juste titre, les auteurs du Manifeste : «Dans aucun pays du Maghreb et du Mashriq, la langue arabe - langue de l'enseignement public - ne suscite et déchaîne autant de passions qu'en Algérie. Elle est constamment sujette à des tensions politiques et à des disputes idéologiques extrêmes.» Assurément, dans le cas de l'Algérie, dépouillée de ses scories religieuses islamiques, la langue arabe aurait pu produire une éducation algérienne moderne digne des pays développés, en dépit de son retard économique. Mais l'Algérie, rompant avec son appartenance à l'aire culturelle méditerranéenne et africaine, dès l'indépendance formelle, a préféré arrimer la langue arabe, sublime langue poétique et littéraire, agrémentée de bases rudimentaires de scientificité demeurées embryonnaires faute d'application de ses potentialités induite par le sous-développement encouragé par le pouvoir, vers les pays du Golfe et de l'Orient où la langue arabe se confond (ou plutôt se fond) avec (dans) la religion islamique. Indissolublement unie au Coran, la langue arabe ne peut que freiner la réflexion, inhiber l'esprit critique, dissoudre la rationalité, obérer la floraison de la modernité, obstruer tout développement économique. C'est la voie empruntée par le régime «néo-patrimonialiste» algérien en érigeant l'Islam en religion d'État, religion enseignée obligatoirement à l'école, propagée quotidiennement par tous les relais médiatiques du pouvoir. En effet, pour complaire à ses maîtres enturbannés orientaux du moment, le régime algérien s'était empressé d'«islamiser» les institutions administratives majeures, en particulier le système éducatif, pour se forger une identité nationale orientalisée, autrement dit «salafisée» pour être en phase avec l'idéologie dominante en vogue à l'époque : l'arabo-islamisme. L'instauration d'une «république islamique» au sein de l'institution scolaire avait constitué la première étape de l'islamisation salafisée de la société algérienne. L'école algérienne est l'antichambre de l'islamisme, de la fabrication des futurs «cadres» salafistes, terroristes, de la conception de l'idéologie patriarcale phallocratique, du totalitarisme. Cette islamisation orientalisée de la société algérienne s'est matérialisée par la propagation de normes religieuses coercitives destinées à endiguer toute forme de liberté de conscience et de penser. Le système éducatif algérien a été missionné de former des élèves imprégnés de valeurs et morales islamiques transnationales, insérées dans le cadre du panarabisme triomphant et du salafisme rompant. Dans la nouvelle école algérienne instituée dans les années 1970, la religion primait l'instruction, selon les recommandations de l'État algérien, un État qui prétend toujours représenter, en vertu de l'article 2 de la Constitution, l'autorité d'Allah sur terre, puisqu'il a érigé l'Islam en religion d'Etat. Or, décider à la place de Dieu et du Coran ce qui est bon ou mauvais pour les croyants est certainement un péché... d'orgueil. Un péché mignon cultivé outrancièrement par les États ayant érigé l'islam en religion d'État, par les fanatiques et les inquisiteurs, toujours prompts à s'ériger en moralisateurs, en législateurs de normes religieuses confectionnées selon une conception sectaire et idéologique de la société ! Sans conteste, en Algérie, le discours islamique imposé par l'État révèle que la sacralité n'est pas l'expression de l'adhésion spontanée de la population mais le corollaire d'une politique d'endoctrinement opérée par les appareils de conditionnement des esprits, notamment l'école pour qui le sens (sacralisé) préexiste à l'initiative individuelle (profane libre). Le sacré étant donné d'avance et ordonné par l'État, l'Algérien est contraint d'y croire sans faire acte de volition. Selon les normes éducatives étatiques algériennes, un enfant né dans une famille musulmane est considéré ontologiquement comme « musulman». Aussi, est-il soumis à un enseignement islamique obligatoire. De même, les valeurs morales, présentées comme des vérités intemporelles et intangibles, émanent-elles de l'islam qui leur confère sens, validité et légitimité. En Algérie, quand bien même qu'officiellement l'enseignement soutient ne proscrire aucun domaine de la connaissance, néanmoins, dans les faits, la science ne doit jamais réfuter la Révélation divine, aller à l'encontre des textes sacrés. Selon la doxa communément répandue par la communauté musulmane, le Coran favoriserait l'exercice de la Raison. Or, elle oublie de préciser uniquement dans les limites dictées par la religion. En réalité, la science est encadrée par le Coran, pour qui Dieu a créé l'homme et l'univers, prescrit le sens de l'existence et de l'histoire. Comme le soulignent les auteurs du Manifeste, l'école algérienne a adopté «quasi officiellement le crédo de la prédestination et du déterminisme. Si tout est écrit, alors rien n'est écrit. Cette forme de la soumission est l'expression même de la fuite hors du réel et de l'irresponsabilité.» L'islamisation du système éducatif induit la subordination idéologique de toute la population algérienne, réduite à son plus simple dénominateur commun : la religion. Cette assignation religieuse a pour effet d'escamoter toutes les caractéristiques individuelles et déterminations sociales et culturelles constitutives de tout Algérien inséré dans une société par ailleurs déchirée par des rapports sociaux antagoniques. Nul doute, le système éducatif algérien est prisonnier de «paradigmes pédagogiques des parties qui ont fait de l'école leur terrain de compétition politique et idéologique», comme le relèvent les auteurs du Manifeste. Sur la controverse relative à la défaillance du système éducatif, nombreux sont ceux qui incriminent et blâment la langue arabe, accusée d'être responsable de l'échec scolaire. En réalité, ils se trompent de cible. En effet, le principal problème de l'éducation en Algérie n'est pas l'enseignement de la langue arabe, mais l'emprise doctrinaire et dogmatique de la religion islamique à l'école. Or, comme l'appellent de leur vœu les auteurs du Manifeste, il faut «que la religion n'envahisse pas tout l'espace scolaire, au risque de sa stérilisation totale». Sans conteste, une éducation fondée sur la religion islamique adossée à la langue arabe, élevée au rang de langue sacrée imprégnée de religiosité, de par sa conception conservatrice et passéiste du contenu pédagogique, est incompatible avec une scolarité tournée vers la modernité, portée par l'esprit scientifique. De fait, la religion et la modernité sont des concepts antinomiques. On ne peut construire l'école en même temps sur la foi et sur la raison. Dans ce vieux débat et dilemme séculaire, l'État totalitaire et l'institution théologique ont toujours imposé la prééminence de la foi sur la raison, pour des motifs religieux, doctrinaires, tendanciellement politiques. Avec de tels fondements antithétiques, où la foi le dispute à la raison en matière d'enseignement, où la religion supplante la science, où le dogme du fanatisme et du fatalisme s'implante fondamentalement dans l'esprit de l'élève, on produit des êtres bipolaires. Des hommes pathologiquement déchirés, des personnalités clivées, culturellement écorchées. Comme l'écrivent les auteurs du Manifeste : «Partout où il a conquis des espaces sociaux et institutionnels, le néo-salafisme a répandu le fatalisme au point de nier à l'homme son existence en tant qu'être de volonté. Pis, il a fait du libre arbitre l'essence de l'incroyance». De même, avec l'érection de l'islam en religion d'État par le pouvoir algérien, ne faut-il pas s'étonner que la religion fasse l'objet de débats publics véhéments, de controverses virulentes sur la place publique, de fourvoiements théologiques, de manipulations politiques. En particulier de la part de la frange islamiste de la population qui a transformé l'école en annexe de la mosquée, s'est octroyé la gestion des affaires religieuses, qu'elle a convertie lucrativement en religieuses affaires. Au vrai, en Algérie, dominée par un pouvoir monolithique impotent et une entité islamiste idéologiquement omnipotente, une sorte de partage des tâches s'est opérée entre ces deux structures politiques et religieuses artificiellement opposées. La première instance oligarchique gère l'État au nom du prétendu intérêt national pour bien enrichir certains membres de la caste dirigeante (mœurs particulièrement répandues sous les présidences de Chadli et de Bouteflika, durant lesquelles l'affairisme était devenu la deuxième religion de la nomenklatura kleptomane algérienne) ; la seconde entité islamique, quant à elle, assure la soumission des Algériens par l'endoctrinement salafiste et l'asservissement culturel et sociétal, en contrepartie des largesses pécuniaires octroyées généreusement par l'État rentier, en particulier sous l'ère de Bouteflika. En réalité, au plan de l'Éducation nationale, pour éviter les récurrentes stériles polémiques sur les questions éducatives initiées souvent par les islamistes, réfractaires à toute innovation moderne en matière pédagogique, la société algérienne doit instaurer une école pédagogiquement sécularisée, institutionnellement laïque, déontologiquement sanctuarisée. Il ne s'agit nullement d'une revendication laïque et athée, mais d'une indispensable adaptation historique à la modernité en matière éducative. L'école sera ainsi immunisée contre les empiètements théologiques et les querelles religieuses fréquemment importées des mosquées dans l'enceinte des établissements scolaires. L'Éducation nationale et le contenu des programmes scolaires ne doivent faire l'objet d'aucune intrusion religieuse, d'aucune immixtion idéologique, ingérence politique partisane. Pour ce faire, en premier lieu, le pouvoir doit abroger de la Constitution l'article érigeant l'Islam en religion d'État. Effectivement, la religion doit être reléguée dans la sphère privée. Seule la liberté de conscience doit être constitutionnellement garantie. Chaque Algérien pourra ainsi pratiquer librement sa religion. Et s'il souhaite dispenser à son enfant un enseignement religieux, il pourra l'inscrire dans une école confessionnelle privée. Par ailleurs, l'école publique algérienne doit s'affranchir de la tutelle religieuse islamique salafiste qui la séquestre pour la maintenir sous la coupe d'un enseignement archaïque et rétrograde, imprégné de religiosité belliqueuse et d'un esprit inquisitorial, incompatible avec la mission éducative pacifique et tolérante de l'école moderne en vigueur dans la majorité des pays. À cet égard, force est de relever que, pour coloniser habilement le système scolaire algérien, les partisans de l'enseignement religieux ont confectionné cette difforme matière scolaire idéologique, désignée sous le terme amphigourique et oxymorique «sciences islamiques». Encore deux termes radicalement antinomiques. L'islam n'est pas une science et ne pourra jamais le devenir. Car la religion relève de la croyance, de la foi. Contrairement à la science qui, elle, ressortit de la raison. Si la religion islamique s'appuie sur un corpus considéré comme incréé, immuable, immortel, œuvre de Dieu, d'où le doute est banni, la remise en cause, proscrite ; la science, fondée sur l'observation et l'expérimentation, avec comme principe régulateur le doute méthodique et systématique, est l'œuvre de la seule Raison de l'homme, pour laquelle la remise en cause est prescrite. On ne peut donc associer ces deux champs d'investigation spirituelle et scientifique antithétiques, radicalement incompatibles. |