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La Palme d'Or et les autres
prix seront décernés ce soir par le jury présidé par le cinéaste américain
Spike Lee. En attendant, retour sur les évènements marquants de cette très
particulière édition du Festival de Cannes.
D'une main ranger ses affaires en vitesse pour quitter l'hôtel à l'heure indiquée par le règlement de l'établissement, de l'autre pianoter un dernier article sous forme de bilan qui résumerait cette très étrange édition cannoise avec masque, gel, pass-sanitaire, canicule et crustacées. Sans emphase ni prétention rappeler dès l'intro que cet article ne sera ni relu, ni corrigé, ni repris ni remboursé. Prendre une douche entre deux paragraphes parce qu'il fait très chaud. En vrac, il faudra parler des films vus ce week-end, en privilégiant le Maroc, la Tunisie, l'Egypte, les berbères du Brésil, et les palestiniens oubliés des camps bombardés par les puissances régionales ou mondiales. Ne pas oublier de se moquer au passage des saoudiens qui promettent depuis Cannes de transformer Djeddah en Mecque du cinéma. Maudire la vieillesse qui se transmet comme un virus de l'an 2020, et en même temps vomir les jeunes qui ne sont que l'incarnation du cataclysme annoncé. Néanmoins, pour ne pas plomber le moral du lecteur, penser à glisser deux ou trois anecdotes relatives à des stars algériennes, ça marche toujours. Par exemple, Samir El-Hakim, très bon dans un film tunisien qui l'est beaucoup moins. De toute manière c'est le seul comédien d'Algérie qui figure dans un film vu à Cannes. Penser à demander à la réception une canne pour quitter Cannes, car la gare est située à 300 mètres, autant dire à l'échelle de la fatigue accumulée, le bout du monde. Mettre son masque, y compris pour aller aux toilettes, en évitant d'expliquer pourquoi aux lecteurs qui ne sont pas si bêtes, saufs s'ils ont perdu l'odorat suite à une contamination delta. Ne pas mélanger le linge sale avec le linge propre, enfin non c'est trop tard. Ne pas oublier son chargeur à l'hôtel pour changer un peu. La boite de doliprane est quasi-vide ? Celle des préservatifs tout a fait intacte ? Allez, on met tout dans le sac, on aura tout le temps de se plaindre quand on arrivera en retard à la gare. Et on y va ! NOUS AVONS PERDU LE MORETTI DE NOTRE JEUNESSE ! Gardez Club des Pins, mais rendez-nous Moretti de grâce ! Quel terrible choc de voir Nanni Moretti dans son dernier film. Subitement très vieux, et dans le rôle d'un vieux con qui plus est. Mamma Malédiction Mia ! A Cannes, tous les festivaliers semblent avoir prit un sacré coup de vieux. Est-ce parce que le festival de l'année dernière n'a pas eu lieu, et qu'on se retrouve après deux années éprouvantes, ou sont-ce les premiers effets secondaires de la double vaccination non obligatoire mais très obligée ? Dans «Trois étages», depuis un immeuble bourgeois de Rome, Nanni Moretti nous dit qu'il n'attend plus rien de la jeunesse, suggérant que par les temps qui courent vaut mieux ne pas faire d'enfants. Dans «Little Palestine», le bouleversant documentaire d'Abdallah Al-Khatib, les palestiniens lui rétorquent d'une manière crue -et pour des raisons qu'on n'a pas besoin de rappeler- que : «c'est une honte que de ne pas faire d'enfants». PALESTINIENS ASSIÉGÉS Vs ISRAÉLIENS PIÉGÉS Réalisé entre 2013 et 2015, à l'intérieur du camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, dans la banlieue de Damas, «Little Palestine» raconte comment ce quartier a été encerclé, affamé et bombardé par les troupes de Bachar al-Assad avant qu'il ne soit pris par les troupes de Daesh puis entièrement détruit par des bombardements russes. Kamel Daoud n'a pas toujours tort. Quand un criminel de guerre comme El Assad, ou un autre dictateur arabe, massacre les palestiniens, personne- ou presque dans nos contrées- ne s'offusque. En ce qui concerne la Palestine, le Festival de Cannes nous a servi une excellente programmation. D'abord, en compétition officielle un film israélien audacieux sur le plan de la forme, courageux sur le fond, qui appelle un chat un chat et un Etat raciste un Etat raciste, «Le Genou d'Ahed» de Nadiv Lapid. Ensuite dans la sélection des films indépendants (ACID), ce documentaire palestinien fait avec la rage au ventre, «Little Palestine» de Abdallah Al-Khatib, réfugié depuis en Allemagne. Enfin, un autre film humaniste israélien, c'est à dire opposé - et sans ambiguïté- à l'apartheid et à la colonisation tels que pratiqués aujourd'hui par l'Etat israélien : «Et il y eut un matin», titre du film, a été projeté dans la sélection Un Certain Regard. Son réalisateur Eran Kolirin a adapté le roman éponyme de Sayed Kashua, palestinien de l'intérieur ou arabe israélien, qui écrit en hébreu. Le film raconte le calvaire d'un palestinien de Jérusalem venu assister au mariage de son frère dans un village de Cisjordanie et qui se retrouve bloqué, l'armée israélienne ayant encerclé le village pour couper, une fois de plus; ses habitants du reste du monde.«Les Arabes d'Israël sont les invisibles de notre pays. Ils vivent en démocratie, mais n'ont pas les mêmes droits que les autres, ils se trouvent coincés dans une position intenable et s'en sentent coupables vis-à-vis des Palestiniens de Cisjordanie. Leur identité est ainsi mise à mal. Le seul territoire qu'il leur reste est leur maison.» a déclaré le réalisateur Eran Kolirin, à qui l'on doit entre autres films «La visite de la fanfare» (2007) LA TUNISIE EN PETITE FORME, LE MAROC EN MAJESTÉ La tunisienne Layla Bouzid a fait la clôture de la Semaine de la critique avec son deuxième long-métrage «Une histoire d'amour et de désir». Une jeune et belle fille de Tunis rencontre à Paris où elle débarque pour poursuivre ses études un jeune étudiant beur. C'est elle qui va l'initier à la vie, et pas le contraire. Ce qui permet à la réalisatrice franco-tunisienne de filmer au plus près le corps du jeune puceau, peut-être une manière de rendre hommage à son père, le grand Nouri Bouzid, le premier à avoir ausculter de près le corps de l'homme arabe blessé dans «L'homme des cendres», son inoubliable chef d'oeuvre qui n'a que peu de chose à voir avec la vaine bluette vaguement sociologisante de sa fille. Néanmoins une bonne surprise nous attendait dans ce film : On retrouve dans le rôle du père de l'étudiant, le comédien algérien Samir El-Hakim, toujours aussi bon soit dit en passant. L'acteur originaire de Sétif serait-il très snob ? Car être régulièrement présent à Cannes ( déjà en 2019, il était à l'affiche de «Papicha» de Mounia Meddour et «Abou Leila» de Amine Sidi-Boumédine) sans jamais y mettre ses pieds, c'est le summum du snobisme. Que conclure ? 1-C'est voulu et bien joué de sa part. 2- C'est pas du tout volontaire. Entre la vérité et la légende, John Ford nous a assuré que Samir El-Hakim préfère les bars d'Alger à la Croisette masquée. Dans la catégorie des films très attendus et qui nous ont beaucoup déçu, on peut rajouter le film du réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun qui met en scène le combat d'une mère pour offrir un avenir meilleur que le sien à sa fille tombée enceinte dans un pays qui interdit l'avortement. «Lingui» («les liens», en arabo-tchadien) est un film assigné au fameux cahier des charges des films du sud : dénonciation, bons sentiments, avec comme cadeau de consolation à l'écran une belle papicha de N'Djamena. Le Grand Prix de la Semaine de la critique est allé au très étrange film de l'Egyptien Omar El Zohairy, «Faithhers» : Lors de l'anniversaire de son fils de 4 ans, pour lequel il a invité un magicien, un père de famille se retrouve transformé en poule. Le prestidigitateur prend la fuite en se rendant compte qu'il avait foiré son tour de magie, laissant une femme et ses trois enfants se démêler dans la misère. Une fable, excellemment mise en scène et très pertinente, une belle promesse. «Toc, toc, Mr Hakem, il va falloir libérer la chambre»? Encore cinq minute madame la femme de chambre, le temps d'exprimer à quel point on a aimé le très puissant film du marocain Nabil Ayouche, «Haut et fort- Casablanca beats» qui méritait bien sa place en compétition officielle. Cette comédie musicale hip hop qui a pour cadre la maison de culture de Sidi Moumen, le quartier défavorisé de Casablanca, est une bombe. Parions que ce film va cartonner au Maroc et au-delà. Un jeune animateur social prend en charge des jeunes adolescentes et adolescents dans son atelier hip hop, il les aide à exprimer ce qu'ils ressentent en trouvant les mots justes, les bonnes rimes, «la bonne attitude» comme il dit. C'est malin, car à travers ce dispositif, Nabil Ayouche laisse les jeunes marocains parler aussi bien de leurs vécus que de leurs rêves d'émancipation, cherchant avec eux les solutions pour échapper au déterminisme social et culturel auxquels ils sont condamnés comme on le leur rappelle quotidiennement. Certes, on ne change pas le monde avec des rimes, des chansons, ou même avec des beaux films, mais l'amour que porte Nabil Ayouche aux enfants des quartiers pauvres de son pays, palpable et contagieux, cet amour qui jamais ne verse jamais dans l'angélisme petit bourgeois ou la condescendance festivalière, l'honore et rend son cinéma indispensable. Parions que Spike Lee, grand amateur de hip hop, ne restera pas insensible à ce film appelé à devenir culte. EYES WIDE SHUT / EARS WIDE OPEN Sonnerie de téléphone ? La réception. «Mr l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran, pourriez-vous libérer votre chambre ?». Toute de suite, Monsieur, mais laissez moi vous dire deux ou trois choses sur la dernière expérience partagée avec Apichatpong Weerasethakul. l Pardon ? Le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul en compétition pour décrocher une deuxième palme avec «Mémoria», son dernier trip philosophico-mystique qu'on pourrait considérer comme un des chefs d'oeuvres de cette édition. Porté par l'actrice américaine Tilda Swinton et tourné en Colombie? Quelles traces laissons-nous derrière nous, un son peut-il contenir nos histoires ? «Mémoria» et ses longs plans fixes merveilleux se voit avec les oreilles grandes ouvertes. l Peut-être mais si vous voulez rester dans votre chambre encore, votre carte sera débitée de 365 euros Ne me dites pas que je vais devoir passer sous silence le film de Asghar Farhadii «Un héros», alors qu'il est donné comme favoris pour la palme d'or et que son acteur, l'excellent et archi-sexy Amir Jadidi, pour la première fois à l'écran donc une révélation, devrait, à l'heure qu'il est, peaufiner son discours de remerciements ? C'est bon, j'abrège. Juste un mot sur «Belle», le nouveau film d'animation de Mamoru Hosoda présenté en avant-première mondiale. Un mot ? Splendissimo. Ok, un peu plus d'un mot, je prends l'ascenseur. Belle est un animé politique, très critique sur la culture numérique des réseaux sociaux. Plus qu'une variation réussie de la Belle et la Bête, ce chef d'œuvre update Hayao Miyazaki. La relève est là ! RÉEL EST LE VIRTUEL Ah, et les pronostics ? Pas le temps ? Allez, sms, on les fourgue à Spike Lee. Réponse immédiate du président du Jury : «Merci beaucoup, on ne savait pas qui primer, on va prendre ton palmarès, mais chut, pas un mot à la presse». De deux choses l'une : 1- L'envoyé spécial est un grand mythomane. 2- L'envoyé spécial est n'est pas sorti du monde virtuel de «Belle». Mais comme dirait John Ford, entre la réalité et la légende, on préfèrera croire et écrire que c'est volontairement et par bravoure que Samir El-Hakim, a refusé de venir à la fête de la Quinzaine des Réalisateurs où tout le monde a fait la bise à tout le monde, chacun tombant son masque, après tout on peut tomber malade maintenant ! Ainsi donc Samir El-Hakim a fait le choix de rester auprès de son ami Chawki Amari, lequel n'arrête pas de radoter et de clamer partout que si «143 rue du désert» de Hassan Ferhani cartonne à sa manière au box office ( 22.000 entrées), c'est d'abord grâce à lui et sa découverte de Malika - Monsieur l'envoyé spécial de longue date, on espère que votre séjour a été agréable, votre canne est avancée. Bon retour ! Longer la rue d'Antibes, traverser en haletant les rues de Bône, de Constantine, et d'Oran. Puis, rue des Serbes, bifurquer pour rejoindre la gare à bout de souffle. Objectivement et sans contrefaçon, nous sommes dans un état pathétique. Mais il y a toujours pire. Comme ces mendiants entre deux âges aux abords de la gare. Tiens, l'un d'eux dessine, il pue fort le botti frais mais il dessine pas mal. Mais? ma parole, ce meskine ressemble à Nime, le dessinateur oranais. Si ça se trouve c'est vraiment Nime ! Plus que jamais, remettre son masque, et surtout faire semblant de ne pas l'avoir reconnu? |