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En 1838 se tint
un procès de Perpignan : Scandales, « affaires », escroquerie, malversations,
concussion, pots-de-vin, indus avantages, combines, malhonnêteté, tentative de
corruption de fonctionnaires publics et, plus grave encore, tentative de
soulèvement contre l'autorité royale, tels sont les innombrables chefs d'accusations
qui ont entouré avant et après ce qu'on a communément appelé le ?Traité de la
Tafna' composé d'un texte « officiel » et de cinq textes aux clauses secrètes.
Cette affaire qui a commencé en Avril 1837 (quelques semaines avant la rencontre entre Bugeaud et l'Emir Abd-El-Kader, à Rachgoun) a impliqué le général Brossard, gouverneur d'Oran, et le général Bugeaud. D'une simple affaire commerciale (qui en fait n'était qu'une supercherie) ayant débutée en Juillet 1836, et « de fil en aiguille » elle aura de graves rebondissements. Le général Brossard sera mis aux arrêts forcés et envoyé à Perpignan où il comparut en Août et Septembre 1838 devant le Conseil de guerre et pour sauver sa tête de l'échafaud il entraînera Bugeaud, son accusateur. En effet, avant la rencontre de Rachgoun, Bugeaud émettra des clauses secrètes entre lui et l'Emir, à l'avantage exclusif et personnel du général. Marcel Emerit, dans son Tome IV-p.138, écrira dans ?l'Algérie à l'époque d'Abd-El-Kader' qu' « il (Bugeaud) a mis en balance ses intérêts personnels et cherché dans les clauses d'une convention militaire des moyens d'influence locale et de réélection ». Déprimé et très agacé à la fois, Bugeaud écrira le 15 Septembre 1838 au général de Castellane (« Campagnes d'Afrique », 1835-1848. Plon. 1898-p.134) « Vous devez croire que j'ai été et que je suis encore bien malheureux de tout cela. C'est un cruel évènement que j'ai subi là...il faudrait également faire assigner le colonel Maussion (chef d'état-major à Oran), Perrau (chef de bataillon du génie), Guerbe (chef d'escadron, major de la place d'Alger) ». Le général Brossard sera condamné à six mois de détention et à la dégradation. Après cassation, pour « vice de forme », il sera finalement acquitté et mis à la retraite. Bugeaud sortira indemne de ce procès. Le commandant Ménoville, chargé de mission de Bugeaud se suicidera après avoir tué Zaccar, son interprète (Marcel. Emerit : « l'Algérie à l'époque d'Abd-El-Kader », p.145). Enfin, Bugeaud sera nommé Gouverneur-Général de l'Algérie, le 22 Février 1841. Il mourra du choléra en 1849. Tout le monde sait que les « traités » (même ceux scellés entre les parties en conflit et ratifiés par leurs Etats) sont conclus pour être... rompus tôt ou tard, pour quelque motif que ce soit. Ce que la France coloniale (et ses thuriféraires d'ici et de là-bas) a appelé communément « Traité de la Tafna », n'était en réalité qu'une trêve demandée expressément par le Général Bugeaud. Rappelons que le général Desmichels, après avoir subi un blocus insoutenable de la part des troupes de l'Emir Abd-El-Kader, avait demandé à ce dernier un « traité » (entendons une « trêve » comportant six clauses disposées sur deux colonnes, en arabe et en français ) qui fut signé par les deux parties, en conflit, le 26 Février 1834, jamais ratifié puisque le général Desmichels sera lamentablement remplacé par le général Trézel qui subira, le 28 Juin 1835, l'un des trois plus grands désastres des armées coloniales françaises en Algérie, à la Macta (près de 1.500 entre morts et disparus et 1.300 blessés du côté des colonnes Trézel sur un total engagé de près de 3.000 hommes (rapports militaires des généraux Trézel, Tatareau, Bugeaud, etc.. : Archives de France et Bibliothèque privée du Pr H. Sohbi). Le 6 Juin 1836, le général Bugeaud débarquait à l'embouchure de la Tafna avec trois nouveaux régiments et des instructions qui lui recommandaient de faire la paix avec Abd-El-Kader, ou d'en finir avec lui. Bugeaud n'a pas pu faire la conjonction avec Cavaignac, enfermé à Tlemcen qui « achetait des chats à 40 francs pièce, pour en faire le menu de son diner » (In : C.-H. Churchill, « La vie d'Abd-El-Kader », p.119). Bugeaud tentera une négociation avec 6 propositions comme base d'accords. L'Emir demandera le Tittery. Un nouveau texte en 5 articles fut proposé par Bugeaud à l'Emir qui se trouvait à Médéa où il avait déjà ouvert des négociations avec le général Damrémont, nouveau gouverneur général de l'Algérie. Le ministère de la guerre décida que seul Bugeaud avait latitude à négocier avec l'Emir qui enverra, le 12 Mai 1837, un texte avec 11 propositions. Quant à l'article 1 « l'Emir (ne) reconnait la souveraineté de la France » que sur 1/3 très restreint du territoire algérien, puisque les 2/3 restants l'étaient sous son autorité. « L'Etat algérien a été consacré le jour de la Tafna », telle a été la réponse de Ferhat Abbas à Girod, lors d'une session à l'Assemblé Nationale qui prétendait que « l'Algérie n'a jamais été un Etat ». Le 30 Mai 1837, un « Traité » en 15 articles a été convenu entre le lieutenant-Général Bugeaud, commandant à Oran et l'Emir Abd-El-Kader (le sceau de l'Emir sous le texte en arabe et le sceau de Bugeaud sous le texte français). Jamais Abd-El-Kader n'avait songé « reconnaitre la souveraineté de la France ». Dans l'article premier auquel avait souscrit l'Emir en arabe, il « reconnaît qu'il y a un sultan français et qu'il est grand ». Différence de taille que les ennemis de l'Emir et de l'Algérie occultent. L'Emir avait une armée organisée et structurée, une justice, une diplomatie efficace, une monnaie, des sceaux et maintenant les limites de l'Etat algérien dans le sens le plus moderne du terme qu'il va essayer de fonder « laborieusement, patiemment, depuis si longtemps ». Lors de l'entrevue du 30 Mai à Rachgoun, Bugeaud demanda à l'Emir s'il avait « ordonné de rétablir les relations commerciales avec Alger et autour des villes » ; l'Emir lui répondit : « je le ferai lorsque vous m'aurez mis en possession de Tlemcen » Bugeaud « ne pouvait le faire avant que le « Traité » n'ait été approuvé par le Roi ». L'Emir venait de comprendre que Bugeaud « n'avait pas le pouvoir de traiter ». L'Emir poursuivra l'entrevue et dira à Bugeaud : « si vous ne me rendez pas Tlemcen, conformément, aux stipulations du « Traité », ce ne sera guère qu'une « trêve » (In : C.-H. Churchill, « La vie d'Abd-El-Kader », p.135). Il clôturera en disant ceci à Bugeaud : « La vague se soulève-t-elle quand l'oiseau l'effleure de son aile ? C'est l'image de votre passage en Afrique... Vous y resterez un siècle, deux ou trois mais vous partirez ». « Traité » ou « Trêve », le Duc d'Orléans et le Maréchal Valée ne s'y conformeront pas (traversée des « portes de Fer » sans l'autorisation de l'Emir) et le 18 Novembre 1839, l'Emir déclare officiellement la guerre aux Français par une lettre au Maréchal Valée (2 Ramadhan 1255). La reprise des hostilités s'étalera jusqu'au 23 Décembre 1847 par la « convention du palmier », arbre toujours témoin à Sidi Taher (entre la colonne Montagnac et Sidi Brahim près de Ghazaouet), sous lequel sera approuvé « l'armistice » après l'acceptation des conditions posées par l'Emir à Lamoricière et ratifiée, le lendemain, à Djemaa-Ghazaouet par Daumale, fils du Roi de France et gouverneur général (la lettre manuscrite de l'Emir portant estampille « archives françaises-Chillon » a été publiée dans mon livre « 23 Décembre 1847, Abd-El-Kader face au Parjure français » (éd. Dahlab). Dans la lettre manuscrite de l'Emir, celui-ci remercie Lamoricière de lui avoir envoyé son épée et le cachet du commandant Bazaine. L'émir n'a donc jamais déposé ses armes devant qui que ce soit. Le 24 Décembre l'Emir remettra seulement son cheval « Eddahmam » à Daumale avant d'embarquer sur le « Solon » vers... son destin. L'armistice n'est qu' « un arrêt provisoire des hostilités, convenu par les belligérants ». La guerre s'est poursuivie en plusieurs étapes : les insurrections avec les « moul essaâ » (Bou Maâza et son lieutenant Bou Beghla, Bou Aoud, Bou Hmar, Bou Hmara), les « Ouled Sidi Cheikh (1864), Cheikh Mohammed El-Mokrani et Cheikh Ahaddad (1871), Lalla Fadhma N'Soumeur, Cheikh Bouâmama (1878-1880), le mouvement national (Emir Khaled à partir de 1912), la Glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954 qui aboutira à l'Indépendance de l'Algérie, le 5 Juillet 1962. Pour terminer, je ne peux pas m'empêcher de remettre les pendules à l'heure » pour dire qui a été l'ennemi de qui et rappeler ce que le Prince Louis-Napoléon Bonaparte a écrit le 16 Octobre 1852 : « Abd-El-Kader...depuis longtemps votre captivité me cause un réel chagrin. Elle me rappelait, sans cesse, que le gouvernement qui m'a précédé n'avait pas rempli ses engagements à l'égard d'un ennemi malheureux, et à mes yeux, il est humiliant pour une grande nation d'avoir assez peu de confiance en sa propre puissance pour renier ses promesses... Vous avez été l'ennemi de la France, mais néanmoins, je suis prêt à rendre justice à votre courage, à votre caractère et à votre résignation... ». *Docteur d'Etat en Médecine. Ecrivain, conférencier et chercheur en Histoire dans les Archives ottomanes (Istanbul). Président de la Fondation ?Emir Abd-El-Kader'. Descendant direct de l'Emir Abd-El-Kader (5ème génération). |