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«Quand le prix du baril de
pétrole rit, la gestion pleure, l'Etat pavoise, la société se tait, le ciel
s'éclaircit, les oiseaux gazouillent, la vie est belle, c'est l'ivresse. Elle
est de courte durée. Le réveil est brutal. C'est la tête de bois. Un bon café,
les choses rentreront dans l'ordre. Le prix du brut s'effondre, les langues se
délient, l'Etat s'affole, la société se meurt, le ciel s'assombrit, les oiseaux
émigrent, la vie est terne, les funérailles s'organisent. La fin est proche.
Hier comme aujourd'hui, le gouvernement algérien cherche désespérément une voie
qui lui assurerait d'améliorer l'efficacité dans la gestion des entreprises
sans diminuer pour autant son emprise sur celles-ci. Deux alternatives
s'offrent à lui : soit il octroie véritablement et non formellement le statut
d'agents économiques autonomes et les oblige au respect absolu de l'équilibre
comptable et financier et disparaître à tout jamais, soit il maintient les
entreprises dans la stricte obéissance et, par conséquent, il est condamné à
les subventionner, d'une manière ou d'une autre, sous une forme ou sur une
autre, seul ou avec des partenaires chimériques.
Dans la première alternative, il se refuse le droit d'intervenir dans la gestion de l'entreprise. Cette solution a l'avantage d'une efficience économique, c'est-à-dire la possibilité d'agir sur les coûts et la productivité dans un marché concurrentiel. Cependant, elle présente l'inconvénient de faire déraper le système mis en place par les risques de dysfonctionnement qu'elle implique sur le plan sociopolitique. Dans la seconde alternative, il s'implique dans la gestion et, par conséquent, il partage les risques et prend en charge le déficit. Cette solution a l'avantage de pérenniser l'entreprise et de sauvegarder les emplois et d'éviter les dérapages. En revanche, elle présente l'inconvénient de peser lourdement sur le budget de l'Etat et de déséquilibrer davantage la balance des paiements du pays sans pour autant garantir une production plus accrue ou une efficience dans la gestion et dans la productivité. Mais peu importe le sens des vents quand on n'a pas de port d'attache. Lorsqu'il s'agit de prendre des décisions, les hommes du et/ou au pouvoir raisonnent à court terme, ils sous-estiment les conséquences à plus long terme négligeant d'appliquer les remèdes que dicte la raison laissant en suspens les questions d'importance cruciale. Si le marché sanctionne l'entreprise, l'Etat sanctionne les dirigeants. Pour se protéger contre des sanctions arbitraires, les gestionnaires vont recourir aux moyens illégaux pour adapter les résultats économiques aux attentes et aux désirs des gouvernants jusqu'à constituer, maintenir et entretenir les réseaux clientélistes dont les membres se protègent mutuellement. Certains troquent leur influence politique contre des biens et services auxquels d'autres ont accès du fait de leur fonction, d'autres profitent de leur séjour au poste clé pour se garantir une retraite dorée dans l'appréhension constante d'une décision soudaine. La légitimité de l'action de l'Etat se trouve ainsi soumise aux critères de rationalité économique. Or selon que le gestionnaire s'identifie aux intérêts de l'Etat (soumission de l'entreprise à l'Etat) ou selon qu'il s'identifie aux intérêts de l'entreprise, nous allons avoir affaire à deux types de comportement, l'un cherchant la protection, l'autre la compétence. En effet, au premier regard, l'entreprise publique, manifestation des pouvoirs publics dans l'économie serait soumise aux commandements de l'Etat tant qu'elle est publique (rapports de subordination Etat-entreprises) et aux impératifs de marché tant qu'elle est entreprise (rapports horizontaux contractuels entreprises-tiers y compris l'Etat. Si l'on admet cette analyse, il faut accepter l'idée que le degré d'autorité et donc de responsabilité de l'entreprise publique est à définir tant vis-à-vis des pouvoirs publics que des mécanismes de marché. Les entreprises peuvent par leur propre mouvement échapper à l'autorité de l'Etat en se soumettant aux impératifs de la rentabilité. Et dans ce cadre, elles auront le marché pour loi et le marché pour sanction. Leur soumission aux lois du marché signifie effectivement qu'elles doivent obéir à la loi du profit. Pour atteindre ses objectifs de production et de profit, l'entreprise s'équipe de matériels et recrute un personnel performant. Nous aurons alors affaire à un profil de gestionnaire chercheur de compétence. Ce type de gestionnaire préfère à l'opposé du gestionnaire chercheur de protection, maintenir une certaine indépendance vis-à-vis des pouvoirs de tutelle et n'hésitera pas pour cela à prendre des risques ou à assumer des stratégies dont le succès confortera sa position. Il prend des risques de gestion qui seront rémunérés. Il lie son sort à celui de l'entreprise ; il est tenu à une obligation de résultat; son désir est de valoriser la dynamique du travail, quitte à remettre en cause la paix sociale et l'ordre établi. Il s'entoure de collaborateurs recrutés sur appel d'offres et après une sélection rigoureuse des candidats. Il aura tendance à diversifier ses sources de financement et à trouver ainsi un certain gage d'autonomie. Cette diversification le conduira à obtenir des résultats plus tangibles sur le marché. Ce comportement qui est bénéfique pour l'entreprise est apparemment «risqué» pour l'Etat dans la mesure où il affaiblit la liaison de dépendance; à notre sens, ce comportement devrait par contre lui être très favorable dans la mesure où il évite que les entreprises publiques émargent au budget de l'Etat puisqu'elles ont été créées en principe pour produire des richesses dans une économie où les disponibilités budgétaires sont généralement réduites. On ne saurait jamais insister sur le fait que le management professionnel n'aura aucun sens sans pouvoir effectif; c'est en disposant d'un pouvoir que le management professionnel pourrait être responsable de l'efficacité, ce qui en retour nécessite des critères de performances clairement définis. On comprend alors que la responsabilité des entreprises qui se soumettent au marché ne peut que se retrouver limitée dans la logique des rapports de pouvoirs qui se déploient au sein et à l'extérieur de l'entreprise. Et là, l'intervention de l'Etat est nécessaire au même titre que pour une entreprise privée. Les théoriciens politiques du passé considéraient qu'une bonne société est celle où les hommes étaient vertueux. Les sociologues d'aujourd'hui ont tendance à penser qu'elle est celle qui utilise les vices des individus en vue d'un bien commun. Qui ont tort ? Qui ont raison ? L'homme se déplace avec ses deux pieds, un à droite, l'autre à gauche, l'actif et le passif, les produits et les charges, les pertes et les profits, la prospérité et la banqueroute. La prospérité produit des faibles, l'adversité révèle les grands. * Docteur |