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C'est souvent à travers
l'hommage à un anonyme qu'on s'adresse à des millions d'autres à travers le
pays et le monde. Des inconnus qui font l'humanité dans ce qu'elle a d'utile, à
l'écart des lumières.
Il est d'usage dans la presse d'évoquer les mérites des personnes célèbres, de leur vivant ou post-mortem. Il n'est pas interdit de trouver la grandeur chez un inconnu qui peut représenter un certain idéal de ce que sont beaucoup d'autres. Des inconnus qui sont des passeurs d'éducation, dans l'ombre de leur action discrète. J'ai choisi un ancien instituteur de Saïda, Khalfallah Hammami, en hommage à tous les autres. Je n'ai aucun intérêt particulier à rendre cet hommage, par lien familial, professionnel ou d'une quelconque autre proximité. Khalfallah Hammami, instituteur de son état et que je n'ai jamais rencontré, est le co-fondateur et principal animateur d'un site d'échanges et d'informations de la ville de Saïda sur un réseau social que je ne nommerai pas. Un matin, par curiosité et parce que l'âge venant, une envie inexpliquée m'amène à m'informer sur ma ville natale que j'ai quittée, il y a 62 ans. Je n'ai souvenir d'elle que par une très vague image, forcément idéalisée et certainement sans aucun rapport avec ce qu'elle fut et ce qu'elle est devenue, ni dans son aspect urbain ni dans sa sociologie. La très grande réserve, souvent justifiée, qu'on peut avoir sur les réseaux sociaux est parfois contrebalancée par la marque de certains, c'est le cas de celle de notre instituteur à la retraite. Les réserves restant pour de très nombreux autres cas. La dévotion à un outil de communication ou sa diabolisation ne peuvent jamais être une approche globalisante et expéditive. Que les lecteurs qui connaissent Albert Camus ne s'inquiètent pas, je ne vais pas reproduire l'un des plus beaux textes de la république rédigé à l'occasion de la remise du Prix Nobel puis ensuite par courrier (dans une autre version, plus directe et intime) à son instituteur, monsieur Germain, désormais célèbre dans la mémoire collective des amoureux de la lecture dont je fais partie. Tout d'abord parce que je n'arrive pas à la cheville de ce géant de la littérature mais aussi parce que je ne présume la personnalité de Khalfallah Hammami que par la lecture objective de son travail pédagogique et non par connaissance de l'âme profonde d'un individu que je ne connais qu'à travers son action visible sur Internet. Je laisse le reste à l'inconnu que sont toutes les zones privées des êtres humains. Bien entendu que mon âge, peut-être même dépassant légèrement celui de Khalfallah Hammami, ne le place pas dans la catégorie des instituteurs d'antan, au regard de mon époque. Mais j'ai immédiatement deviné en lui l'héritier direct de ces hussards de la république qui nous ont tant formés, tant donné. Et je me suis dit que tout n'était pas perdu et qu'en Algérie il doit encore exister quelques-uns de cette trempe pour pouvoir affirmer que la braise vive est bien en-dessous des cendres et que le feu de l'intelligence éducative peut revenir si nous nous donnons la peine de remuer ce qui l'étouffe. Ne vous attendez, certainement, pas à des textes de grammaire, d'histoire ou d'une quelconque pédagogie scolaire, vous seriez déçus si telle est votre compréhension de mon hommage à cet inconnu du grand public. Vous ne comprendriez peut-être même pas mon propos si vous visitez le site. C'est en faisant défiler les posts, en relevant chacun d'eux, en devinant l'objectif qui anime la personne qu'on retrouve nos instituteurs d'antan. Vous ne le verrez pas dans chaque post individuellement, vous ne le sentirez pas si vous n'êtes pas de cette époque pour avoir connu nos instituteurs. Mais nous, nous repérons en un clin d'œil ce qu'a voulu faire un " animateur de collectivité " lorsqu'il a cet élan pédagogique si nécessaire à la république. Vous ne le ressentirez pas de même si vous vous reportez à l'image traditionnelle de la craie, du tableau noir, du porte-plume et de l'odeur de l'encre violette de votre enfance ou de l'image qui vous a été transmise si vous êtes plus jeunes. Khalfallah Hammami ne tombe pas dans ce piège de jouer l'instituteur, il aborde un outil moderne, une communication du temps présent et ne s'embarrasse pas à la prendre comme elle est et comme elle éblouit les gens de la nouvelle génération. Il n'y a que les ronchons qui regardent éternellement vers le passé. Khalfallah va poster, poster, encore poster pour susciter la curiosité, les réflexions, l'humour ou toutes autres réactions de la part de la communauté. Il va aussi bien poster une image comique d'un édifice d'un architecte qui n'a pas bu que de l'eau pour concevoir un ouvrage tordu ou publier un document historique sur la proclamation de Saïda comme ville coloniale, par décret de Napoléon III. Rien qui puisse le faire verser ni dans l'amuseur public, ni dans la banalité de la nostalgie du passé ni dans la leçon rigide de l'instituteur. D'ailleurs, il ne s'attarde jamais par sa réflexion, il offre son choix de communication au jugement du lecteur, à la réaction de l'esprit de chacun de s'exprimer. Il reste en dehors de la récolte qu'il attend en arrière-plan, silencieusement pour éviter de prendre parti. Comme l'instituteur, il n'arrête pas de fournir le matériel de réflexion et de curiosités, aux autres de s'en emparer judicieusement. Le résultat est bon ou peu convaincant, c'est le destin de l'action d'un instituteur, cultiver sans jamais savoir ce qu'il en sortira comme fruit de l'esprit. De temps en temps, on lit certains messages d'anciens élèves qui rendent hommage à l'ancien combattant du tableau noir (qui est d'ailleurs vert la plupart du temps). Pour être prof moi-même, je peux vous dire que c'est notre bâton de maréchal lorsque cela arrive. Être instituteur (ce que je ne suis pas), c'est avoir la vocation dans l'âme, un réflexe, un instinct de toujours produire de la curiosité et du lien dans une communauté. Khalfallah a quitté sa blouse d'instituteur mais pas la peau et l'esprit de l'instituteur. Pour qu'une aventure réussisse il faut plus que l'initiative d'un homme seul qui prend le devant de l'action. Il faut d'autres talents qui participent à l'entreprise. C'est le cas d'Ahmed Elyazid, passionné de météo, qui est sa formation, et qui va la mettre au service du bulletin journalier. Cela semble anodin en soi, c'est pourtant ce que faisaient nos instituteurs, chaque jour, un dessin de la météo du jour avec un léger commentaire. Un marqueur de la journée, une ponctuation du départ de la vie d'une collectivité car ce qu'elle a de plus évident en commun est le temps qu'il fait. C'est aussi le cas de Rihi Baghdad dont on sent également, par le verbe et les réflexions, une génération instruite et curieuse à tout. Le bien attire le bien et c'est toute une communauté qui s'en trouve enrichie. Je suis certain que c'est le cas dans d'autres lieux d'échanges mais, comme je l'ai dit dès le départ, l'instituteur à l'honneur aujourd'hui, représentera tous les anonymes qui font encore l'intelligence de ce pays. La passion, chez ces hommes d'un autre temps, celui où l'éducation était le vrai or noir, est exactement ce qu'il faut à une communauté pour la sortir d'une réalité qui n'est pas toujours réjouissante au regard de l'espoir tant misé sur elle, à cette époque. C'est comme cela que les communautés Internet algériennes doivent se comporter et, particulièrement celles qui en ont les réflexes et la compétence pédagogique. Khalfallah est un généraliste, comme la profession d'instituteur en est la définition, mais d'autres peuvent assumer ce travail indispensable dans une quelconque autre activité ou curiosité intellectuelle particulière. Ne pas avoir l'air de donner une leçon et faire son métier d'une manière indirecte, sans que cela ne se perçoive pour ne pas risquer de susciter l'ennui ou le rejet d'une prétention quelconque, voilà ce qu'est le projet naturel des gens instruits. Nous l'avions connu dans notre jeunesse, on le retrouve avec Khalfallah Hammami et ses amis. Bonne retraite monsieur l'instituteur, vous avez tant donné qu'aujourd'hui c'est un retour pour vous par cet hommage. À travers vous, il est rendu à des millions d'anonymes dont le don est inestimable, à l'écart de la lumière médiatique. *Enseignant |