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Lorsqu'il a
examiné le contentieux de Our Body corps ouvert et des
«lancers de nains», le juge français avait pris en compte l'ordre public moral,
qu'il avait abandonné auparavant. L'exposition dans un musée français de crânes
de résistants algériens suscite les mêmes questionnements, sauf que cette
fois-ci le juge n'a pas été saisi.
Hormis les aspects mémoriaux soulevés par ces « objets » de l'histoire, il y a un vrai problème éthique posé par l'exposition post-mortem de ces restes humains au public comme reliques de l'histoire ou pièces archéologiques, voire trophées de guerre, «calfeutrés dans de vulgaires boîtes cartonnées, qui évoquent les emballages de magasins de chaussures» (Farid Belkadi). Lorsqu'ils sont rangés dans des armoires vitrées, ils sont livrés à la curiosité du public et aux « fantasmes des vivants » sous l'aspect d'objets exotiques, voire des curiosités pour le spectacle. Lorsque de surcroît ce spectacle - blessant pour les Algériens - devient payant, qu'adviendra-il alors du principe de non-patrimonialité du corps et celui de l'amitié entre les peuples ? Le 26 septembre 1976 atterrit sur le tarmac de l'aéroport du Bourget l'avion de l'armée de l'air français transportant la dépouille mortelle de Ramsès II qui fut accueillie en grande pompe par une délégation officielle et les honneurs militaires dus à un chef d'Etat ; tapis rouge et garde républicaine. Le Dr Maurice Bucaille semble se réjouir du fait que le projet d'une exposition au public de la momie soit abandonné (1987). Elle sera finalement admise dans un laboratoire du Musée de l'Homme de Paris pour bénéficier des soins appropriés, car les restes du pharaon gravement menaces présentaient de dégradation progressive. Dans une déclaration rendue publique le 8 juillet par un collectif d'intellectuels1 en faveur de la restitution à l'Algérie des crânes de leurs résistants identifiés, séquestrés dans un musée français, il est écrit : «Soutenir les appels de citoyens algériens à rapatrier ces dépouilles dans leur pays, pour leur donner une sépulture digne comme cela fut fait pour les rebelles maori ou les résistants kanak Ataï et ses compagnons (en 2014), ne revient aucunement pour nous à céder à un quelconque tropisme de «repentance» ou d'une supposée «guerre des mémoires», ce qui n'aurait strictement aucun sens». Certes, les responsables du Musée ont manifesté leur disponibilité à satisfaire la demande algérienne, mais au prix d'une multitude d'entraves juridiques qu'il n'est pas facile de satisfaire rapidement. Michel Guiraud, le directeur du Musée de l'Homme s'est dit « ouvert aux demandes concernant les restes humains nommés, c'est-à-dire identifiés, sur la base que le lien familial est un principe de droit universel », mais pose des conditions pour le moins contraignantes et dégradantes pour la partie demanderesse : - Les restes (donations à l'origine) font partie du patrimoine national et des collections muséales: inaliénables, imprescriptibles, insaisissables; - Les restes ne seront restitués que s'ils perdent leur intérêt public dans la « collection»; - Le vote d'une loi par les deux assemblées du Parlement, comme cela a été procédé avant la restitution à la Nouvelle-Zélande le 27 janvier 2012 d'une vingtaine de têtes tatouées maories. - Surpasser l'écueil de la propriété intellectuelle, il paraît étrange que les droits de propriété intellectuels assimilent les restes humains au patrimoine culturel immatériel ! - La saisine d'une commission (nationale des musées) spécialisée qui devait préalablement statuer sur la recevabilité des demandes de restitution et examiner les demandes de déclassement des pièces issues des collections publiques ; - La demande de restitution doit émaner des ayants droit (les familles d'héritiers putatifs) relayés par leur gouvernement par la voie diplomatique ; Mais avant de poser le problème en ces termes éthiques, il faut préalablement se demander sur le statut ontologique de ces restes incorporés aux collections est-il définitivement fixé: seraient-ils encore des personnes? De purs artefacts ? De simples choses ? Des œuvres d'art singulières? De quel régime de propriété relèveraient-ils alors ? (Roland Berger, 2008). Dans tous les cas, ils ne peuvent être ni des matériaux ostéologiques, ni des objets de culte, encore moins des biens culturels, mais simplement des dépouilles décapitées d'Algériens tombés au champ d'honneur. Ils ne font partie d'aucun dispositif rituel comme le font les Amérindiens avec leurs restes humains en vertu de leurs valeurs ancestrales. Le droit assimile en partie ces restes humains aux dépouilles mortelles. Ils ont incarné l'âme d'une personne vivante et, à ce titre, ils bénéficient en effet des attributs du sujet de droit. En conséquence, une personne physique dont la personnalité juridique s'est éteinte avec son décès, continue de jouir de la dignité et du respect de sa mémoire. Au-delà des questions éthiques soulevées par l'exposition muséale des crânes humains, pourquoi n'applique-t-on pas les normes de l'article 255-17 du code pénal français, pourtant incorporées en bonne place parmi les dispositions relatives à la dignité de la personne ? En effet, ledit article protège le corps des personnes décédées dans leurs intégrités physiques. La doctrine française, comme le dit Xavier Labbée (1990), s'exprime à la fois dans la simplicité d'un axiome et dans l'ambition d'une mission, mais si : le corps c'est la personne, comment le juge va se réapproprier « l'un des aspects modernes de l'éternelle mission civilisatrice de la France que de faire triompher cette idée contre le mercantilisme de la société industrielle » ? Et pourquoi la France n'avait-elle pas appliqué tout simplement les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples d'origine adoptée par l'Assemblée générale du 13 septembre 2007 et dont la France y a adhéré et la Déclarations des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones dont l'article 12 dispose que (...) le droit au rapatriement de leurs restes humains. Les États veillent à permettre l'accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces mis au point en concertation avec les peuples. Pourquoi alors ce pays avait fait fi de la Convention de La Valette de 1992 sur le patrimoine archéologique, le code de déontologie de l'ICOM pour les musées (articles 2.5/3.7/4.3/4.4/6.2/6.3), l'International Law Association qui mentionnent le droit des minorités (et de tous les peuples) à obtenir la restitution de leurs restes humains en cas de preuve d'une affiliation démontrable. Depuis 2007 une déclaration de l'Assemblée des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît dans les articles 11 et 12 : - un « droit au rapatriement de leurs restes humains par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces » ; -un « droit de restitution des biens religieux et spirituels » ; -un « droit d'utilisation et de disposer des objets rituels» ; - et un «droit de protection des sites religieux et culturels». Sur le même registre des incompréhensions, Marie Verdier s'interroge elle aussi sur le pourquoi de l'inapplicabilité de l'article 16 du Code civil: Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. De quel droit décrète-t-on que cet article est inopérant pour les vestiges humains appartenant à des collections publiques, donc régis par le code du patrimoine ? Si cela est compréhensible en ce qui concerne la préhistoire ou l'Antiquité égyptienne, il est scandaleux que cet article ne s'applique pas à des vestiges humains récents, qui n'ont pas été découverts par hasard, mais qui résultent de meurtres, de vols, de pillage, de profanations de sépultures, des trophées de guerre... (Marie Verdier, op cit). Dans un arrêt en date du 16 septembre 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé qu' « aux termes de l'article 16-1-1, alinéa 2, du Code civil, les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence » et « que l'exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaît cette exigence ». Par cette décision, elle avalise l'arrêt de la Cour d'appel qui avait interdit la poursuite de l'exposition, par application de l'article 16-2 du Code civil, permettant au juge de prendre toute mesure propre à faire cesser le trouble. Au préalable, le Tribunal de grande instance de Paris avait estimé en 2009 « que la commercialisation des corps par leur exposition porte une atteinte manifeste au respect qui leur est dû ». C'est aussi la position du Comité consultatif national d'éthique, qui dans un avis en date du 7 janvier 2010 considéra l' «exploitation du corps des morts à visée commerciale (...) contrevient à l'esprit de loi française ». (Avis n° 111). Pour le cas des crânes des martyrs algériens, Rosa Moussaoui du quotidien français L'Humanité a sans doute touché du doigt, il y a plus de six ans, cet aspect juridiquement insensé du séquestre en notant que le sort des crânes des résistants algériens serait le retour et l'inhumation dans la dignité. « Donner une sépulture, c'est déposer un corps et couvrir un parent de la terre qui l'a vu naître. Dans toutes les sociétés, l'idée d'un passage et d'un au-delà nécessite cet accompagnement que les vivants eux-mêmes viennent ritualiser ». Au départ, ces restes sont considérés comme des biens inaliénables de l'Etat français, et donc infaillibles selon la loi des collections de 2002. Cet argument de droit est brandi par les responsables des musées mais ne résiste pas au solide avis du Comité national consultatif d'éthique qui estime : « que s'il est en effet exact de dire que le domaine public est inaliénable, il est non moins vrai qu'il suffit de sortir une pièce du domaine public (par simple arrêté ministériel) pour qu'elle devienne aliénable... Si la conservation de restes humains par la France renseigne sur les pratiques anthropologiques de l'époque (basées sur l'existence de races inférieures et observables dans des conditions quasi naturalistes), cette « collection » est aussi le symbole d'un refus de la part des puissances coloniales de reconnaître une humanité à ses administrés». Aujourd'hui, on est en droit de se demander si les 18.000 crânes dont celui du philosophe Descartes séquestrés au musée sont toujours utiles dans l'apprentissage anatomique, ou s'ils répondent à un besoin scientifique crucial ? Dans l'attitude française de la rétention de ces crânes, le terme paraît excessif, mais c'est un véritable mépris de l'autre. Autant, les morts français sont cachés du regard, dont la mémoire est maintenue et sauvegardée par le droit, autant les autres corps sont offerts en spectacle et ce sont les rapporteurs du CCNE qui s'interrogent sur l'histoire de ces personnes réduites à leurs corps. Nous n'en savons rien disent-ils. » Dans les expositions de cadavres, le corps du mort n'est plus celui d'une personne singulière, celui dont l'histoire intime et unique aurait pu croiser la nôtre. Nul n'imagine se rendre à une exposition où il retrouverait un proche aimé simulant une vie qu'il a désertée à jamais. Anonymisé par un traitement technico-industriel, le défunt devient un cadavre passe-partout ». De l'aveu même des membres du Comité d'éthique français, la gêne d'exposer des crânes humains décapités est perceptible chez les directeurs de musées conscients que ces têtes ne sont plus décemment montrables compte tenu de leur provenance. Un visage n'est pas un assemblage d'os et de tissus mais la partie la plus expressive du corps humain. Le regard que nous portons sur les têtes doit tenir compte de notre attachement croissant au respect de la dignité de toute personne humaine, y compris après sa mort. On ne saurait continuer à détenir dans nos collections de tels vestiges humains alors que les peuples dont elles proviennent revendiquent leur restitution pour des raisons dont nous reconnaissons la valeur à travers les rites d'inhumation avec lesquels nous accompagnons nous-mêmes nos proches décédés. L'argument selon lequel la restitution des crânes créerait un antécédent qui pourrait éventuellement amener les Egyptiens par exemple à revendiquer les momies entreposées au Louvre est infondé pour la simple raison que les crânes des Algériens sont reconnaissables, identifiables et appartiennent à un passé récent. Leurs arrière-petits-enfants sont encore là, alors que les momies appartiennent à la préhistoire dont l'étude scientifique n'est plus à démontrer dans le développement du savoir paléontologique. La distanciation par l'histoire ne permet pas aux Egyptiens de revendiquer leurs momies. Le point commun entre l'exposition des corps de Ferdinand Edralin Marcos déposé dans une crypte réfrigérée au Centre présidentiel à Batac, de Lénine embaumé et conservé dans un état exceptionnel, de l'auteur du Discours de la méthode, de Saint-Simon, militaire, économiste et philosophe du 18e siècle, ou celui des célèbres écorchés d'Honoré Fragonard, exposés au Musée de l'École vétérinaire de Maison Alfort, est que tout ce beau monde repose parmi les leurs. L'importance de célébrer et de commémorer le statut des martyrs explique l'empressement des intellectuelles algériennes2 à récupérer ces restes pour leur rendre l'hommage qu'il leur est dû en raison de la place qu'ils occupent dans le droit islamique et dans les cultures et traditions musulmanes. Il est important de souligner que ces têtes seront manipulées avec beaucoup de respect et accueillies dans leur terre, au carré des martyrs avec tous les honneurs. Au-delà des aspects éthiques soulevés par l'exposition des crânes dans un musée français, il faut rappeler que ces reliques humaines appartiennent à des musulmans, et leur restitution répond au besoin du respect de l'autre dans ses croyances, car les musulmans croient que les morts doivent être traités avec le même respect que les vivants, une croyance qui découle de l'enseignement prophétique qui dit que casser un os d'un mort équivaut à casser un os d'un homme vivant. L'Algérie dans sa quête de récupérer les têtes de ses glorieux combattants veut leur rendre hommage en reconnaissance de leur combat pour la liberté et leur offrir une sépulture au carré des martyrs. « Chaque peuple doit pouvoir exprimer son devoir envers ses morts ». C'est là, l'une des sages recommandations du Comité d'éthique français qui confortent les attentes des Algériens. De plus, elle permet sur le plan diplomatique de dépasser les blessures du passé. Et comme le dit si bien Laurent Berger, la restitution des crânes aux Algériens serait « un processus thérapeutique menant au pardon et à l'oubli des exactions et traumatismes subis, acte et processus dont leurs descendants contemporains ont besoin pour tourner la page et construire une histoire commune et partagée sur des bases plus égalitaires ». Cet article a été écrit avant le rapatriement des restes de nos héros. Notes 1- Pascal Blanchard, Raphaëlle Branche, Christiane Chaulet Achour, Didier Daeninckx, René Gallissot, François Gèze, Mohammed Harbi, Aïssa Kadri, Olivier Le Cour Grandmaison, Gilles Manceron... 2-La requête pour rapatrier les restes de ces héros oubliés, n'a pas été portée au départ par une action gouvernementale. Bizarrement, ni le Ministère des moudjahidine, ni l'organisation nationale des moudjahidine n'ont formulé de demandes en ce sens. Même la lettre adressée au pré sident de la République par celui qui a découvert cette dramatique histoire, le chercheur Belkadi est restée sans suite: «J'ai adressé une lettre au Président Abdelaziz Bouteflika au début du mois de mars dernier, restée sans réponse à ce jour. Ma lettre au Président, concernant ces fragments de corps algériens, disait ceci: «Comme vous le savez, Monsieur le Président, il n'est pas de mon ressort en tant que simple chercheur, de rapatrier les restes mortuaires de ces illustres compatriotes. C'est à l'Etat algérien de faire les démarches officielles auprès des autorités françaises, à défaut, il appartient aux familles des intéressés de se manifester. Ces découvertes, chargées pour moi d'une émotion considérable, méritent en ces temps de déréliction idéologique, un hommage national parfait (...)». Ce n'est que plus tard, après la promesse du président de la République française, Emmanuel Macro, qu'une requête officielle de restitution des crânes fut adressée par le Gouvernement algérien. |