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Ce
qui est identifié en « Littérature du Sud » est un ensemble d'auteurs et
d'œuvres ayant pour décor le sud des États-Unis, à une époque de forte
ségrégation raciale. Erskine Caldwell en est l'un des
représentants, accompagné d'autres prestigieux écrivains.
Je l'ai choisi aujourd'hui pour le jeune lectorat. S'il vous est arrivé de lire un roman de John Steinbeck, pour votre scolarité ou pour votre plaisir, nous sommes avec Erskine Caldwell dans la même veine d'auteurs (la plupart sont des écrivains blancs) racontant la misère des ouvriers agricoles d'une partie des États-Unis dominée par le racisme. Mais alors pourquoi je propose aujourd'hui un écrivain qui, même s'il possède une notoriété auprès des lecteurs passionnés, n'est pas parmi les plus connus de ce mouvement littéraire auprès du grand public ? Tout simplement parce que je viens de relire récemment un livre d'Erskine Caldwell dont le titre est «Un p'tit gars de Géorgie» et que le rôle de celui qui propose un livre au jeune lectorat est de partager un moment de plaisir de lecture, un coup de cœur. Et je peux affirmer que tout, absolument tout de ce petit livre, est représentatif du roman du Sud tel qu'il a été défini comme dans ses ressorts qui lui ont valu tant de succès à travers le monde des lecteurs de tous pays. Avec le roman proposé, nous sommes au cœur du décor habituel, une famille de fermiers blancs, sans autre fortune qu'un petit lopin de terre et quelques animaux, à peine de quoi assurer une subsistance quotidienne. Un monde sans culture, sans échanges, fait de débrouille et de fausse dévotion religieuse. Le père, Morris Stroup, a un passe-temps favori, celui de toujours s'embarquer dans des histoires hasardeuses qui sont censées lui rapporter un peu de sous. Rusé mais pas suffisamment pour détourner assez longtemps l'attention de son épouse qui s'échine à faire des lessives et préparer les repas alors que son fainéant de mari s'adonne à ses aventures sans lendemain, toujours perdantes. Le fils Stroup est copain avec le «petit nègre» engagé pour aider la famille. Eux disent qu'il est veinard d'avoir trouvé un toit et une table pour vivre décemment sous la protection des Stroup. Le «petit nègre» est soucieux de toujours obéir aux ordres de la mère et du père car il pense effectivement qu'il doit être à la hauteur de la chance qui lui est donnée. Le lecteur se rendra compte qu'il en est autrement et que ce petit monde, maîtres et esclaves (même si l'esclavage fut de longue date aboli juridiquement), vit dans une insouciance de la normalité humaine et de la religion dont ils en font pourtant le socle de leur morale. Et c'est justement cela le fond de l'affaire que je voudrais faire découvrir aux jeunes lecteurs, car derrière le sordide il y a le rire. Les Stroup, particulièrement le père, sont délirants de bêtise à un niveau qui atteindra le comique le plus absurde. Sans attribuer au racisme ordinaire et brutal la moindre excuse, certainement pas, il y a dans le racisme de ces petites gens du Sud un côté burlesque presque touchant. On ne les excuse pas mais on comprend l'un des mécanismes du racisme, l'extrême dénuement intellectuel. Oui, l'ignorance et l'illettrisme, associés à une existence rude engendrent souvent le comique d'une situation pourtant intellectuellement pathétique. On savoure avec un très grand plaisir cette histoire du sud américain dans ce qu'il y a de plus surprenant, le comique allié à l'austérité de l'existence. Ces gens sont racistes tout d'abord par leur inculture et, surtout, par la bêtise absolument déconcertante des personnages décrits dans cette littérature du Sud. Pour s'être aventuré dans cette vérité insultante pour le Sud si fier de lui-même, la critique puritaine a souvent étrillé les romans de Erskine Caldwell comme elle l'a fait pour les autres, notamment pour John Steinbeck, déjà cité, ou Francis Scott Fitzgerald. Ce qui les a choqués est la description de la misère crasse et des comportements hors de l'humanité, presque bestiaux. La violence absurde, l'érotisme et l'humour macabre expliquent pourquoi Erskine Caldwell fut l'écrivain le plus censuré des États-Unis. Erskine Caldwell est né dans le Sud, en Géorgie. Il voulait, comme les autres auteurs de la même école littéraire, décrire le sordide de la situation des États du Sud qui était si caricaturale qu'elle en devenait comique. Pour ces auteurs, le comique était dans l'absurdité des racistes qui ne se rendaient même pas compte que c'étaient eux qui étaient hors des codes de la civilisation et de la religion omniprésente dont ils érigeaient les valeurs au plus haut sommet de leurs devoirs quotidiens. Ainsi, encore une fois, je recommande de laisser le plaisir de la lecture s'emparer du jeune lecteur qui trouvera désopilantes ces situations décalées, pleines d'humour. Tout le reste, c'est-à-dire le message éducatif, s'insinue à travers le plaisir de passer un bon moment. La lecture sait magistralement le faire. Oui, on peut adorer une littérature qui nous fait rire en nous sensibilisant au racisme. C'est tout le talent de ces grands romanciers du Sud. *Enseignant |