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Les enjeux du «Hirak» nous conduisent de la quête de recouvrement de la
patrie usurpée, à celle de notre identité langagière. Celle-ci a connu
elle-même de multiples controverses, où l'identité originelle le dispute à
l'identité nationale. Quelques articles ont, néanmoins, fait justice à une
synthèse possible entre une arabité constitutive de notre religion, et une
amazighité constitutive de notre identité primordiale.
Dans la pratique quotidienne å l'échelle du Maghreb tout au moins, cette cause est entendue. N'importe quel dialecte ou ?darija' locale incorpore un nombre notable de termes berbères : à Tlemcen , nos parents, surtout nos mères, utilisaient dans chaque phrase au moins un mot berbère au milieu de termes arabes (encore que phonétiquement déformés), sans oublier un zeste d'Osmanli , voire-même d'espagnol : tifakrat (fond calcaire déposé dans une casserole), tadinat ( partie du mouton), tiflellas ( hirondelle) , fartattou (papillon), zerzour (étourneau) staghnis ( cérémonie de visite de la mariée au lendemain du mariage) , babaghayyou ( perroquet, dit papagayou en espagnol ), mûblis ( s'agissant de meubles constitutifs du trousseau de la mariée, terme emprunté à l'espagnol : mueblès ), fanjal ( tasse), tchenguel (crochet), termes d'origine turque etc. L'ethnographie nord-africaine de la fin du 19ème siècle et de la 1re moitié du 20ème nous a laissé une riche moisson de monographies sur nos dialectes à dominante berbère. Un fait utile à rappeler à ce titre : 90% de nos toponymes sont berbères, les 10% restants sont concentrés en milieu urbain ou sub-urbain. En revanche, en Espagne, la majorité des toponymes sont arabes (avec quelques déformations phonétiques où, par exemple, la lettre ?b' est remplacée par la lettre ?v'). Ceci étant, la prépondérance amazighe, au plan de la langue n'a pas manqué de faire prospérer l'ethnologie coloniale dans le culte du différentialisme racial : je pense au fameux docteur Porot, fondateur de l'école psychiatrique de Blida, au début du XXe siècle, qui prétendait que la «race arabe», indigente en matière de pensée rationnelle, présenterait un dicéphale atrophié, au contraire de l'anthropométrie berbère, jugée conforme aux caractères paléontologiques de l'Homo Occidentalis . Ce même courant, fidèle aux théories phrenologiques de Joseph Gall, (19ème siècle), exagère à outrance l'élément démographique arabe, quand on sait, selon la version documentée d'Ibn Khaldoun, que les migrants hilaliens ne dépassaient guère 10.000 âmes, quand l'Afrique du Nord n'en comptait pas moins de 10 millions ! Je pense en réalité que le différentialisme à connotation ethno-raciale n'est rien d'autre que la traduction pseudo-scientifique d'une vulgate historiciste suivant laquelle les Berbères précédaient, à l'évidence, l'occupation romaine de ce qu'il convenait d'appeler «l'Occident barbare». L'élite autochtone d'alors, latinisée et assimilée, donnait lieu à une configuration sociètale différente de l'époque médiévale, où l'ordre catholique d'obédience romaine est structuré par l'ordre féodal d'obédience germano-tribale. L'invention des croisades, à l'orée du 12ème siècle, est inscrite comme l'une des 3 fonctions décrites par Georges Dumezil : prédicant (ceux qui prient), pugnant (ceux qui combattent), laborant (ceux qui travaillent). La 2ème fonction dévolue aux chevaliers consiste à délivrer Jerusalem des mains des Sarrasins, à une époque où la planète-terre mettait en évidence deux entités dominantes : l'Occident chrétien et l'Orient musulman, seul «visible» au même titre que la bipolarité contemporaine qui s'est mise en place sept décennies durant, entre bloc de l'Est et bloc de l'Ouest. Avant l'avènement de l'Islam. L'ordre romano-byzantin régnait en maître dans l'Afrique septentrionale, sauf que, en dépit du donatisme qui en voulait moins au christianisme (dont il était partie prenante) qu'à ses importateurs romains, l'élite autochtone «assimilée» a donné lieu à l'émergence de figures tutélaires, d'ordre politique (entre autres Septime-Sévère) ou religieux (Saint Augustin, l'architecte incontesté du catholicisme romain). Ceci pour ce qui est de la rive-sud de la Méditerranée. Examinons succinctement la question linguistique de l'autre côté de la rive-nord, si tant est que comparaison soit raison. En effet, si nous jetons un regard rapide sur l'évolution des langues dites indo-européennes (issues des hauteurs du Pamir, entre l'Afghanistan et le Tadjikistan et s'étendant vers l'Eurasie dès le 6ème millénaire avant l'ère chrétienne), cette famille linguistique s'est différenciée entre 3 polarités, au contact des populations d'accueil : le pôle grec ( Asie Mineure) , le pôle romain (Europe du centre et de l'ouest ), et le pôle slave ( Europe de l'Est ). Chaque pôle dérivé de l'indo-européen s'est lui-même, au gré de l'histoire et des invasions sous-jacentes, subdivisé, par effet de syncrétisme, en langues régionales, puis nationales. Dans le cas de la France, qui connaissait de multiples dialectes dont les langues celtiques, les langues basques, gasconnes, picardes, etc., deux dialectes régionaux se sont polarisés: la langue d'oïl au nord de la Loire a prépondérance germanique, et la langu d'Oc, au Sud, à dominante romane (ou gallo-romaine). Bien après les «Serments de Strasbourg» ( 842) par lesquels les descendants de Charlemagne se départagèrent le territoire de l'Empire carolingien, en ratifiant deux langues : la germanique et la Romane, ce n'est qu'à partir du milieu du 17ème siècle que le royaume de France opta pour l'occitan-roman , plus proche du gallo-romain ( dit Latin vulgaire ) au plan lexical et terminologique, avec cependant des nuances phonologiques régionales gardant trace des parlers locaux. L'uniformisation linguistique se confirmera avec la Révolution de 1789, et se poursuivra jusqu'à la promulgation de l'instruction publique chère à Jules Ferry. Au total, les Européens ont assumé la loi du temps, en ce sens que pour l'Europe de l'Ouest, appelée Europe latine. (France, Italie, Espagne), le stock terminologique est le même, la prononciation différente, y compris à l'intérieur de chaque pays. Au total, il n'y pas eu, que je sache, de revendication, tout au moins à l'échelle nationale, d'un retour à la langue gauloise, poitevine, picarde, gasconne, basque etc. qui restent néanmoins usitées dans leurs localités respectives. Certes l'occitan primaire a été revendiqué par des soixante huitards dans un contexte où le droit â la différence était à la mode. Même si ces langues sont d'origine indo-européenne, elles étaient très disparates et ne prouvaient être, en quelque sorte, synthétisées. La langue qui a prévalu est la langue romane, issue du gallo-romain, héritage de la langue dominante antérieure qu'était le latin. Ce choix était dû au fait que la langue romaine était celle du pouvoir impérial lequel est implanté durant plusieurs siècles, devenu langue du droit et de la religion chrétienne. Ce qu'on appelle l'Eglise apostolique Romaine, désignant par-là la religion catholique, a joué un rôle important, non seulement à l'intérieur des prétoires, mais également dans les universités médiévales, au sein des instances judiciaires et administratives des pouvoirs monarchiques, etc. Le français, tel que nous le connaissons, est le fruit d'une longue évolution et d'une longue série de réformes, devenues depuis le 19ème siècle, le domaine réservé de l'Académie Française. Ces quelques remarques étant émises pour le commun des mortels, je m'incline devant les spécialistes des langues vernaculaires, et ils sont nombreux, même s'ils ne sont pas toujours d'accord entre eux, mais c'est là un autre problème. Mon propos est que, dans l'exemple des nations et des civilisations, une langue dite nationale est le fruit d'une histoire qu'on n'a pas choisie, mais néanmoins assumée. Elle est l'aboutissement de cette histoire, et ne saurait à ce titre revenir au temps des origines, pour autant qu'on maîtrise, scientifiquement s'entend, ce qu'est L'ORIGINE ?... En fait, ce qui précède n'est qu'un préambule à ce qui constitue pour moi la préoccupation majeure : je mesure, en effet, l'ampleur abyssale qu'il y a lieu de constater entre, d'une part, la grande prédation du siècle dont notre pays est l'objet (selon certaines sources, on apprend que des infrastructures portuaires comme Alger ou Cherchell sont données en gérance - pour ne pas dire hypothéquées - aux Émirats Arabes ou à la Chine, sans oublier certains sites gaziers, et j'en passe et des meilleures...) et d'autre part, la grande bagarre qui est livrée dans les médias sur la question de la langue. Celle-ci est déclinée soit, en termes identitaires (dont j'ai dit plus haut qu'å mon simple avis, la chose est entendue dans la pratique quotidienne du citoyen lambda), soit en termes de rationalité pédagogique et scientifique. En effet, à la partition houleuse relayée par la presse, entre amazighité et arabité, succède la partition entre tenants du français et tenants de l'anglais, dans les institutions d'enseignement. Le dernier article que j'ai lu semble limiter l'exercice au monde universitaire. Je suis sensible à l'argument d'efficacité et de performance scientifiques. Il se trouve que ce discours sur la prévalence de l'anglais, je l'ai souvent entendu chez nos collègues arabisants monolingues. Les raisons invoquées sont l'obédience coloniale, voire colonialiste, donc impie, de celle langue (comme si la Grande-Bretagne est indemne de toute domination coloniale!). Il m'est arrivé de faire remarquer que la langue est neutre quant à son fondement générique (2). La langue arabe a été maniée par des hommes patriotes et intègres, mais elle a été utilisée, et encore plus aujourd'hui, par les ennemis jurés de la cause arabe. Je ne parle pas de nos béni -oui-oui arabisés de l'époque coloniale, je parle de ceux qui ont scellé un pacte avec avec Israël contre les Palestiniens, contre le peuple d'Iran, et pourquoi pas un jour, contre le peuple algérien (les Bedouocrates des Émirats n'ont-ils pas suggéré à notre chef des Armées de ne rien lâcher ?). Par ailleurs, ceux qui entendent légitimer l'arabe, parce que langue du Coran, semblent mettre en second plan les peuples ottomans, perses, indonésiens, pakistanais , africains du Sahel etc. , qui sont 20 fois plus nombreux que les Arabes ès qualités et qui n'ont pas démérité de leur foi musulmane, en dépit d'une vulgate qui met aux premières loges ( pour le droit au paradis ) la communauté mecquoise (les fameux 77...) En revanche, la langue de Voltaire a été utilisée par des Européens anti-colonialistes. Certains d'entre eux sont morts pour la Cause nationale, et ils ne parlaient pas forcément l'arabe. Ceux-là, nous les connaissons. En fait, l'idéologisation de la langue française, dans le milieu universitaire, a une longue histoire : me contentant de livrer mon expérience personnelle, j'ai été recruté en octobre 1967 comme maître-assistant en Sciences sociales, à l'Université d'Oran. Au sein de la faculté des Lettres et Sciences humaines, il a été procédé à un bi-camérisme au titre duquel l'un était nommé doyen chargë des disciplines arabisées (Lettres, Histoire, Philosophie, au titre de langues d'enseignement dans les établissements secondaires ), l'autre ( cet autre étant votre serviteur), vice-doyen chargé des disciplines à vocation universitaire (Sociologie, Psychologie, Langues vivantes étrangères, Géographie ): ainsi, section arabophone et section francophone se côtoyaient sans interférer l'une sur l'autre : je me souviens qu'à la session de juin 1968, nous avions obtenu 40% de reçus, donc 60% de recalés pour septembre , tandis que la section arabisante obtenait, toutes disciplines confondues, 80% de candidats reçus. Ainsi une véritable politique de peuplement s'est mise en place en faveur de la section arabisée (1). Je rappelle que tous les certificats de licence étaient placés sous l'autorité d'un président de jury titulaire du rang magistral. Personne parmi les Algériens n'avait ce grade. Deux collègues coopérants français en étaient pourvus, mais il fallait faire appel à autant de professeurs missionnaires qu'il y avait de certificats à valider (4 par licence, en principe). Je me souviens du temps où je passais un temps incommensurable dans l'aéroport local, sans parler des allées et venues à l'hôtel où les missionnaires étaient installés. A suivre |