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Longtemps nous avons cru que
rien ne changerait en Algérie. Que le Régime se maintiendrait, ad vitam
aeternam, autant qu'il continuerait à satisfaire les caprices et les appétits
déréglés d'une caste, dont le cinquième mandat a été la goutte de trop, la
goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Dire que ce comportement n'est pas ce qui définit un Etat, c'est annoncer un truisme. Parce que le peuple s'est trouvé exclu de cette organisation, de cette construction censée constituer l'Etat, comme ensemble de ressources, qui a le sens des institutions fondées sur la croyance et la confiance organisées1. Disons que le peuple a cessé de croire au «mystère de l'Etat», à cause même de ces dépassements; parce que l'Etat n'a pas su voir la misère sociale, culturelle, dans laquelle le peuple patauge. L'ordre symbolique encore existant dans le monde social, qui a même donné son trait définitoire à cette révolution pacifique, dite «silmiya», tient plutôt des valeurs nationales et nationalistes. Comme fondement ontologique de la société, cette révolution dans la révolution, que l'on observe clairement dans la forme qu'elle a prise, ne sera pas sans conséquence sur le développement des événements à venir, mais également sur l'ensemble des pratiques sociales et politiques. Cette action collective, pacifique et démocratique, acquiert de plus en plus d'efficacité, semaine après semaine, comme le montrent les (fragiles) acquis obtenus. Elle est même en passe de changer les stratégies nécessaires à la transformation des rapports de domination, d'une manière générale, mais surtout avec des instances politiques comme l'Etat et autres. Cependant, elle doit demeurer le précepte fondamental de cette révolution, avec l'unité, pour espérer se sortir définitivement de ce cercle infernal de la violence sociale (physique et symbolique) et entrer dans un nouveau cercle vertueux (qui est déjà dessiné). Il ne faudrait donc pas céder à la provocation, d'où qu'elle vienne, ni changer de précepte ou encore fléchir dans ses objectifs à cause de l'action du temps qui passe et la peur du changement qu'elle génère. Lorsque les problèmes à résoudre sont bien posés, collectivement, la peur du changement est un sentiment naturel dont il faudrait se départir ; ses signes sont facilement décelables dans les discours officiels hésitants, dans les slogans rassurants et les nombreuses interventions publiques. Quant à l'unification sociale (et non l'uniformisation), qui ne nie pas les contradictions existantes, bien au contraire, elle doit se maintenir par le dépassement des différences. Ce mouvement social apparaît donc comme un moment qui révèle au grand jour l'abîme qui sépare le peuple de ses dirigeants, la grande cassure que le système de domination en place a provoquée. Cette situation consternante doit cependant sensibiliser tous les partis qui demeurent encore des observateurs extérieurs à ce mouvement, afin de rompre ce cercle qui maintient le peuple dans la pesante tutelle dans laquelle il se trouve, et fonder enfin une nouvelle éthique sociale (de nouvelles règles de conduite). Si les analyses politiques ne travaillent pas les évidences, celles-ci doivent cependant être interrogées et retournées comme un gant pour les débarrasser de tout ce qu'elles comportent comme préjugés, permanences, qui font que la domination et les exactions persistent. Ainsi, en posant les vrais problèmes et en accompagnant leur résolution, en élaborant un nouveau projet de changement, objectif principal de ce mouvement populaire, autour d'un nouveau groupe doté d'un fort capital politique, dont la délégation sera soumise à la volonté du peuple, on aura une chance d'incliner ce mouvement vers ce qui l'a inspiré, vers ce qui a fait sa force révolutionnaire. Dans le cas contraire, cette révolution deviendra une action collective perdue, qui emportera avec elle l'optimisme, l'enthousiasme et tous les espoirs qu'elle a suscités. *Docteur en Sciences du langage, de l'EHESS, Paris - Chercheur au Laboratoire 3L.AM-ANGERS | UPRES EA 4335. Langues. Littérature. Linguistique des universités d'Angers et du Mans Notes : 1- J'emprunte ces notions et le principe même de ces analyses au sociologue français Pierre Bourdieu, notamment ses Cours au Collège de France «Sur l'Etat». |