|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Questionnez
un jeune lycéen francophone sur une liste d'auteurs américains en littérature,
il associera spontanément Hemingway et Steinbeck, seuls ou parmi d'autres. Le
même constat est relevé si vous demandez l'énumération de grands écrivains
français, l'association de Balzac avec Zola sera immédiate. Et même si les deux
écrivains, tout autant que leurs œuvres, sont très distants, ils sont confondus
par la mémoire collective dans le cercle fermé des grands auteurs américains,
tous les deux d'ailleurs ayant obtenu le prix Nobel de littérature.
Mais questionnez de nouveau ce même lycéen, cette fois-ci sur les titres de John Steinbeck, il n'y a aucun doute que le premier de la liste sera inévitablement «Les Raisins de la colère». Un écrit bouleversant sur les années vingt dans le milieu des pauvres paysans chassés de leurs terres et de leurs emplois durant la grande crise américaine. Ce roman a eu l'appui considérable du cinéma qui a produit un film inoubliable tout autant que le livre «A l'est d'Eden» qui bénéficia de l'interprétation magistrale du mythique James Dean. Mais vous remarquerez que dans la liste de ce lycéen, figurent dans les premières places deux autres titres majeurs de l'auteur, «La perle» et «Des souris et des hommes», qui auront une place de cœur mais pas autant de notoriété comme l'eurent les deux ouvrages cités précédemment grâce au cinéma. Et c'est justement de «La perle» dont je voudrais vous entretenir aujourd'hui. Comme à mon habitude, à qualité égale, je privilégie le plus court pour permettre un plaisir de lecture intense sans la crainte d'une longueur, toujours redoutée par les jeunes lecteurs. Dans un village de l'extrême sud de la péninsule californienne hispanique, un indien dénommé Kino vivait en compagnie de son épouse. Le couple avait un unique petit enfant, Coyotito. Celui-ci fut piqué par un scorpion et sa vie était menacée si des soins urgents ne lui étaient pas prodigués. La mère de l'enfant comprit que ses soins traditionnels ne pouvaient suffire vu l'état du pauvre garçon. Le couple de villageois était d'une grande pauvreté et lorsqu'ils se présentèrent au domicile du seul docteur «blanc» présent dans le village, lieu de ses consultations, ce dernier les renvoya sans détour car ils n'avaient aucun argent pour le payer. Pour nourrir la famille, Kino retourna à la pêche en ne se doutant pas que le destin allait frapper à sa porte. Celui-ci se manifesta par la découverte d'une énorme perle. Kino comprit la valeur de la fortune qu'il avait entre ses mains. Vous devinez certainement la suite car cela ne fut pas exactement le bonheur dont on peut attendre d'une richesse aussi soudaine. Tout le village fut immédiatement au courant et, de bouche à oreille, le secret voulu par Kino ne fut plus possible. Même le docteur s'empressa de proposer ses services à une famille considérée dorénavant comme richissime. Je vous laisse découvrir la suite de cet haletant roman dont l'intensité est accentuée, tout autant par le rythme que par la relative brièveté de l'histoire. Le roman de John Steinbeck est une allégorie de l'argent qui démontre bien combien celui-ci peut faire autant de bien que de malheur à l'humanité. John Steinbeck est un auteur du «roman social» comme on l'avait défini, par exemple, pour Emile Zola. Toute son œuvre est dédiée aux souffrances et combats des êtres humains confrontés à la misère et à l'injustice sociale. Mais John Steinbeck s'intéresse également aux personnages très particuliers touchés par cette misère, décrits par leur inculture, leur humeur et leur comportement décalés, celui des gens simples, souvent rustres, mal habillés, mal soignés et même parfois atteints d'une légère débilité mentale. C'est eux qui intéressent l'auteur américain car ils dégagent une humanité forte et touchante malgré leur aspect hors du commun jusqu'aux limites du ridicule pour certains. Ces personnages sont le fondement de son œuvre majeure «Les Raisins de la colère» mais à mon avis, le sublime est à son paroxysme avec «Des souris et des hommes». Nous avons commencé par «La perle», après votre lecture qui sera certainement d'un grand plaisir, jetez-vous sur les deux autres, dans l'ordre de simplicité pour de jeunes lecteurs, «Des souris et des hommes» puis «Les Raisins de la colère» qui est le livre inévitable. Pour ce dernier, mon métier m'amène à connaître la réaction des jeunes face à un «pavé» qui les rebute et les fait passer, la plupart du temps, à côté d'un chef-d'œuvre car ils l'évitent. Je ne suis pas professeur de lettres mais il me semble que la majorité des collégiens francophones ont eu dans leur programme à lire l'un des deux dont je recommande la lecture en premier. «Les Raisins de la colère» étant abordé dans le cycle des classes supérieures du lycée. Je ne sais pas si c'est le cas pour la jeune génération algérienne mais la nôtre ne pouvait éviter l'éternelle rediffusion à la télévision du film «Les Raisins de la colère», dont nous nous sommes jamais lassés et qui reste un souvenir inoubliable. Ce n'est pas toujours le cas mais lorsqu'une adaptation au cinéma d'un grand roman est réussie, nous sommes en présence d'un plaisir complet dans toutes ses facettes. Lorsque vous regardez le film, c'est le roman qui défile dans votre esprit et lorsque vous lisez le roman, ce sont les images du film qui s'impriment sur les pages du livre. L'enseignant que je suis ne peut éviter de vous rappeler que la lecture façonne des compétences bien plus profondes que la filmographie que vous avez appréciée. C'est incontestablement elle qui nourrit l'apprentissage de la découverte de la culture, dans tous ses aspects, et surtout qui modèle l'esprit critique, petit à petit. Le conseil hebdomadaire toujours répété, n'entrez pas dans la lecture avec ce qui vient d'être dit car ce n'est pas une cause de lecture mais une conséquence. Il faut entrer dans la lecture avec un seul objectif, le plaisir de lire une histoire magnifique et touchante. Le reste viendra, inévitablement, celui qui construira votre éducation et, plus que tout, votre libre-arbitre. Vous l'avez compris, aujourd'hui je vous ai conseillé trois livres, dans un ordre qui permet de rentrer progressivement dans l'œuvre de John Steinbeck, une œuvre remarquable de plaisir de la lecture, le seul objectif de cette rubrique hebdomadaire d'été destinée aux jeunes Algériens. John Steinbeck est devenu, comme Ernest Hemingway, un classique de la littérature américaine et mondiale. «La perle» restera pour vous un des points forts de son œuvre, une allégorie parfaitement réussie. Au passage, je rappelle aux jeunes lecteurs qu'une allégorie met en scène des éléments réalistes (au cinéma, en littérature, en culture?) afin de mettre en avant des idées, parfois complexes. Nous l'avons déjà dit, il s'agit ici du rapport de la fortune soudaine face à une communauté qui peut être envieuse, hostile et menaçante. Né en 1902 et décédé en 1968, John Steinbeck est donc un écrivain américain du milieu du XXe siècle. Contrairement à Hemingway que l'on peut qualifier de citoyen du monde, John Steinbeck est le narrateur de sa Californie natale. Ce fut le cas de Mahfouz Naguib, écrivain de sa ville du Caire, dont nous avons déjà parlé dans une autre note de cette chronique d'été. Vous trouverez le même lien entre un écrivain et sa région avec bien d'autres auteurs, comme Giono ou Pagnol avec la Provence ou Camus dont j'avais titré dans cette rubrique «L'enfant de Belcourt». Ce grand auteur américain s'en est allé dans une période trouble dans le monde, la fin des années soixante, moment particulier de la guerre au Vietnam. Durant cette fin de vie, la jeunesse américaine l'avait un peu boudé, prise par d'autres combats. Ce n'est que quelques années plus tard que la notoriété de l'écrivain revint pour s'installer dans les hauteurs de la littérature américaine et mondiale. Précipitez-vous pour lire l'extraordinaire aventure de Kino, le pêcheur de perles. Une magnifique entrée dans l'œuvre de John Steinbeck dont vous ne vous lasserez jamais. Et, ce n'est pas anodin lorsqu'on s'adresse aux jeunes du grand public, le prix du livre est très abordable. Mais comme toujours, ne jamais être obligé, ni d'aimer ni de poursuivre. Faites au moins un effort car la lecture est toujours, dans les débuts d'un jeune lecteur, un don de soi. C'est sa persévérance qui apporte cette grande jouissance qui, sans se rendre compte, forge petit à petit vos références culturelles et, au final, votre liberté intellectuelle. Pour «La perle», franchement, l'effort est mince pour un plaisir en retour immense. *Enseignant |