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«On s'obstine à
relancer sur le marché politique les vieilles élites corrompues, usées et
discréditées» (Mostefa LACHERAF)
A un moment où la succession à la présidence de la République s'annonce trouble et où l'économie du pays risque d'être minée par le « financement non conventionnel », force est de s'interroger sur notre système politique miné par les contradictions. Une autre République est possible. Un autre système également par le changement pacifique, la démocratie étant le moyen pour y parvenir. Quel projet politique pour le prochain cinquantenaire ? Opter pour un nouveau système politique Cinquante ans après l'indépendance, est-il encore concevable de vivre sous la férule d'une oligarchie aux allures autocratiques ? Non. Pour y parvenir, outre les propositions sus-évoquées, d'autres mesures seraient les bienvenues afin d'élaborer un projet politique pour le prochain cinquantenaire. Ainsi, le président de la République doit être responsable de sa politique en sa qualité de chef suprême de toutes les forces armées de la République et de chef réel du gouvernement qui pourvoit à tous les postes civils et militaires ... Outre que la réforme à envisager doit concerner la limitation des mandats limités à deux quinquennats, elle doit pouvoir mettre fin au pouvoir personnel par la concentration de pouvoirs exorbitants entre les mains d'une seule et même personne. De même, il y a lieu de déléguer suffisamment de pouvoirs aux membres du gouvernement qui seront directement responsables devant les élus du peuple siégeant au Parlement. Ainsi, sera réalisé un contrôle de la politique de l'Exécutif, donc celle du chef de l'Etat ès qualité de premier responsable de la vie politique du pays. L'opposition, même insuffisamment structurée, ne sera plus aphasique ; davantage encore la société civile muselée depuis l'indépendance «confisquée». Mettre donc fin au déséquilibre institutionnel établi au profit du seul président de la République qui apparaît comme un véritable monarque présidentiel coopté par un cercle restreint de décideurs. Il y a là une forme d'autocratie présidentielle opérée par les bailleurs de pouvoir se disputant la décision. Pourquoi donc ne pas opter franchement pour un régime politique où le chef de l'Etat est la seule tête de l'Exécutif (le cas échéant, secondé par un vice-président élu) ? Dans ce contexte institutionnel et politique, le Parlement doit être un contrepoids à l'arbitraire de l'Exécutif. De même, il est à regretter que l'Algérie n'ait pas cru devoir explorer la donne de la régionalisation en tant que forme organisationnelle intermédiaire entre l'Etat et les collectivités locales. Enfin, remercier dans tous les sens de ce vocable la gérontocratie au pouvoir qui fait de son passé un fonds de commerce laissé royalement en héritage à sa progéniture ; ce, avec l'appui d'une technocratie au service d'une structure gouvernante (en l'espèce, de hauts fonctionnaires délégués à des fonctions politiques) et en instrumentalisant l'armée pour renflouer sa légitimité et son maintien au pouvoir. Tant d'affaires de corruption ont été révélées au public sans qu'il ait été possible à la Justice d'agir de façon efficiente afin de pouvoir condamner ceux qui mettent en danger et le pays et son économie, notamment parmi eux ceux qui ont exercé une responsabilité politique importante. Avec une magistrature réellement indépendante de l'exécutif, il est possible d'exercer sans entraves la justice au quotidien (y compris à l'égard des puissants par l'argent et/ou par l'influence politique). Et l'urgence également d'avoir une presse libre à même de permettre le pluralisme des opinions, les investigations journalistiques et l'esprit critique avec des médias affranchis de toute tutelle. L'audiovisuel doit être structuré en authentique service public. Ainsi, pourra avoir lieu un débat politique contradictoire du binôme pouvoir-opposition à travers les médias publics et privés en bénéficiant d'une liberté d'expression non soumise aux desiderata du chef du moment. Il y va de notre développement politique qui reposera alors sur l'exercice de la démocratie choisie comme moyen et cadre à même de promouvoir la légitimité et l'exercice du pouvoir. Dans ce contexte également, l'armée doit pouvoir se réformer par sa professionnalisation et en se modernisant. Historiquement, elle s'est constituée en structure gouvernante en s'attribuant les principaux postes-clés dans l'ensemble des rouages de l'Etat. Elle est devenue mutatis mutandis une caste à part en détenant le pouvoir à la fois politique et économique (le cas de l'Egypte est patent). Après les coups d'Etat opérés tant au Maghreb (Algérie) qu'au Machreq (Syrie), les directions militaires étendent en effet leurs privilèges corporatifs (budget, traitements et équipement). Ayant ainsi acquis un statut social élevé et une part importante du revenu national, elles deviennent une structure gouvernante. Aussi pendant longtemps, il n'a pas été question d'une armée apolitique. C'est là une réforme à envisager pour faire de l'armée une « grande muette » comme l'un des principes majeurs des démocraties modernes. Principale pourvoyeuse de présidents de la République depuis l'indépendance, la direction de l'armée s'est révélée un acteur principal de la vie politique algérienne. Dans cette perspective, elle s'est attribuée des postes-clés dans l'ensemble des rouages du pouvoir d'Etat ; elle doit pouvoir elle-même refuser d'intervenir dans la sphère politique afin d'éviter de cautionner toute politique minée par la corruption. Concevoir une nouvelle politique économique Les hydrocarbures constituent toujours la presque totalité des exportations de l'Algérie, le budget de l'Etat dépendant pratiquement du pétrole et du gaz. Marqué par un économisme technocratique, le projet de développement basé sur la théorie des industries industrialisantes demeure caractérisé par le volontarisme politique du régime issu du 19 juin 1965. La plus grande partie des projets à caractère industriel a été concrétisée en étroite collaboration avec le marché financier international et les sociétés multinationales. Aux lieu et place du « socialisme spécifique », l'Algérie a abouti à une forme de capitalisme d'Etat périphérique et accentua cette tendance avec un nouveau discours centré sur le libéralisme, débridé au demeurant. Au « gigantisme industriel », on préféra la «restructuration», c'est-à-dire le morcellement des grandes entreprises d'Etat ; ce, dans un contexte caractérisé par la faiblesse du marché pétrolier et la baisse des prix mondiaux du brut. Nous sommes de nouveau confrontés à cette situation avec une austérité sévère et une inflation à l'horizon (avec la «planche à billets») dont les principales victimes seront les Algériens d'en bas qui constituent à l'évidence la majorité de notre pays. Depuis 1979, discipline et austérité reviennent en effet comme un leitmotiv. Contre mauvaise fortune, le régime fait le diagnostic de ses propres turpitudes. C'est la banqueroute de l'économie rentière ? Les «pétrodollars» algériens vont finir par couvrir juste la facture alimentaire. Triste réalité économique. Le secteur de l'agriculture demeure encore un parent pauvre alors que le pays s'enlise davantage chaque année dans la dépendance alimentaire. Désormais, le bilan du pouvoir algérien fait ressortir les incohérences d'une stratégie et son coût social, la croissance des dépenses improductives, la non-maîtrise de l'appareil productif, la formation de féodalités économiques et politiques (techno-bureaucratie civile et militaire), les dangers de l'extraversion et la hogra des masses en prime par les princes du moment. Ainsi, la Sonatrach continue d'être la vache à lait de la nation dominée par les barons du régime adeptes du «gré à gré» et éclaboussés par moult scandales politico-financiers, institutionnalisant de facto la corruption et l'affairisme d'Etat comme moyens de gouvernance. Désormais, s'étalent au grand jour les différenciations sociales jusqu'ici inégalées, y compris chez les couches moyennes. Vaille que vaille, aux lieu et place d'une politique sociale claire et efficiente, l'Etat continue à acheter la paix sociale par une distribution tous azimuts d'une partie des « pétrodollars » et, bientôt sans doute, à gérer l'endettement futur qui aboutira au rééchelonnement et à l'application derechef de l'ajustement structurel qu'imposera le FMI avec pour effets des mesures draconiennes : davantage encore de privatisation des entreprises du secteur public avec son cortège insoutenable de licenciements collectifs et leurs inévitables drames personnels et familiaux (divorces et suicides notamment), libéralisation du commerce intérieur et extérieur avec pour corollaire la libéralisation des prix qui aboutit à leur flambée et à l'importation comme solution de facilité aux lieu et place d'une audacieuse politique économique favorisant la production nationale... Les gouvernements successifs de Benbitour, Benflis, Ouyahia et Belkhadem (y compris l'intermède Tebboune) deviennent davantage des gestionnaires que des concepteurs d'une nouvelle politique économique. Face à ces difficultés d'ordre socio-économique ayant durablement affecté les citoyens, l'« après-pétrole » apparaît ainsi telle une chimère de gouvernants au service de rois fainéants. En l'absence d'une politique économique crédible, la question se pose de savoir si l'option mise sur les hydrocarbures, les rééchelonnements et l'opération de privatisation constitue un atout certain en vue d'aboutir à une situation assainie de l'économie algérienne. La question se pose avec d'autant plus d'acuité que d'autres pays ayant tenté l'aventure du «tout privatisable» ont seulement permis à des «professionnels de l'économie de l'ombre» de prospérer et de mettre leurs pays en coupe réglée. Ainsi, dans le cas de la Russie, «Ils sont sept prédateurs à s'être partagé la Russie. Sept barons dont on murmure qu'ils font et défont les lois, nomment les ministres, quand ce n'est pas le président lui-même (...) ; ces nouveaux magnats russes qui contrôlent plus de 250 sociétés et ont construit en un temps record des fortunes colossales, à la limite de la légalité. Pétrole, médias, télécoms, métaux, mines, automobile, en cinq ans, les secteurs les plus juteux ont été soigneusement quadrillés, le gâteau méthodiquement partagé avec la complicité de vieilles amitiés, quant ce n'est pas celle d'intérêts mafieux » (Le nouvel Economiste» du 27/02/98 ). L'Algérie n'a-t-elle pas déjà subi le même sort ? Contribuer à l'émergence de la société civile Depuis octobre 88, il y a un recul notable de la peur des Algériens cantonnés pour beaucoup jusqu'alors à la défensive. Ils refusent désormais la résolution d'une fraction du pouvoir qui cherche à s'y maintenir au prix de n'importe quelle compromission, sous couvert d'une apparente liberté d'expression savamment distillée et contrôlée. A cet égard, il est manifeste, en Algérie, que la société réelle (ou société civile) vit sous le joug de la société légale (la société au pouvoir), cette dernière continuant de gouverner sous le signe de l'illégitimité et le sceau du monopole de la violence. Ce, alors que la société civile doit pouvoir devenir le principal pourvoyeur du personnel politique appelé à gouverner l'Algérie. Tel doit être l'objectif prioritaire, en vue d'éliminer tout esprit extrémiste ayant pour credo la violence ou la torture comme mode d'orientation de la conscience nationale. La société civile doit conquérir ses lettres de noblesse en supplantant toute velléité de dictature militaire ou spirituelle. Dire non à la gérontocratie gouvernante en négociant avec la société légale (celle-là même qui légifère en son nom) pour lui signifier son congédiement et la société partisane (les différentes formations politiques toutes tendances confondues) qui sollicite ses voix et les obtient par truquage des urnes. C'est à ce prix que la société civile aura procédé à la rupture d'avec la stratégie défensive qui l'a jusqu'ici caractérisée. Cette solution, qui ne saurait être l'œuvre ni d'un homme providentiel ni d'une gérontocratie gouvernante, peut permettre la naissance d'une pensée politique expurgée de toutes les scories du passé. Surtout que la société civile ne s'oppose ni à la société militaire (sauf en ce qu'elle a de répressif et lorsqu'elle est instrumentalisée par des politiciens véreux à leur corps défendant), ni à la société spirituelle (excepté lorsque celle-ci cherche à lui imposer un mode de pensée et de comportement dont elle n'a nullement besoin). Et cette société civile est dominée par la jeunesse algérienne qui constitue la véritable majorité en Algérie et le premier politique en Algérie (Hizb Echabab). A cet égard, il est naturel de bénéficier de l'expérience d'hommes politiques sages et assagis par l'âge, mais vouloir instaurer un système politique où les principaux rouages de l'Etat (gouvernement, assemblée, armée, partis ?) sont exclusivement aux mains de la gérontocratie est suicidaire eu égard à cette donnée. Réfléchir à une synthèse entre tradition et modernité Du point de vue de l'anthropologie politique, l'Islam peut être observé comme une révolution dès lors qu'il est apparu pour mettre fin à une époque où les rivalités tribales transformaient la société en une arène de combat où l'emportait la morale de l'intérêt sur l'éthique de la justice. Et force est d'observer que les conflits dominent l'histoire islamique, la grande discorde (el-fitna el-kobra) en est la plus tristement célèbre. Ainsi, dès l'origine, le pouvoir fut au centre des préoccupations des tribus intéressées par ces conflits, délaissant le champ de la pensée, notamment en matière de droit public pouvant servir de fondement à une théorie politique (voire à une théorie générale du pouvoir), voire à une pensée politique avec une volonté réelle d'émancipation moderne de la cité. Dans l'historiographie musulmane, le califat fut le mode de gouvernement adopté : à l'Imam le leadership religieux et politique. En réalité, au regard même du Fiqh, le Coran et la Sunna laissent le libre choix aux musulmans du système politique au sens d'organisation sociale («amroukoum choura baynakoum»). Le Coran ne dit-il pas en effet : «Dieu ne modifie rien en un pays avant que celui-ci ne change ce qui est en lui» (XIII, 11). Aussi, plutôt que de se perdre dans les aspects formels de l'Islam, il serait sans doute profitable de se référer à El-Ijtihad (l'effort intellectuel) appliqué au politique en faisant appel à El-Aql (la raison) et El-Qyas (la logique). Ainsi, si le pouvoir religieux émane de Dieu, le pouvoir politique relève de la volonté de l'homme dans sa tentative d'organiser la cité; donc de la société civile. Au-delà de l'aspect spirituel, l'islam politique tente de mettre en oeuvre un projet politique en se référant au texte coranique. En ce sens, l'islamisme rejette la rupture d'avec le sacré et la modernité conçue comme un facteur exogène à l'Islam. Sans doute que le ressentiment des Musulmans est historiquement justifié ; toutefois, l'attitude de rejet permet-elle un dialogue fécond ? A en croire Laroui, ce néo-Islam est « le reflet de la crise historique que vit la société arabe sans en être à aucun moment la solution». Comment donc réfléchir à une synthèse entre tradition et modernité par le moyen d'une pensée à base d'analyse critique ? Comment faire l'économie de la violence comme tentative de résolution de la question du pouvoir ? Comment analyser le substrat intellectuel et spirituel de l'Islam, notamment au Maghreb ? C'est sans doute l'Ijtihad, l'effort intellectuel, qui devrait permettre de nouveau l'accès à la Civilisation par l'appropriation de l'esprit scientifique. Pourrions-nous, en effet, nous affranchir de l'analyse critique de l'apport des pays les plus développés en la matière, ces derniers étant conçus comme un vaste laboratoire qui s'étend sur plusieurs continents (y compris en Chine et, de plus en plus, la Chine) ? Assumer l'Algérianité et l'Algérianophonie Officiellement, il y a des «constantes nationales» (amazighité, arabité, islamité). N'est-il pas plus judicieux d'évoquer son algérianité avec son pendant, l'algérianophonie ? En effet, entre autres réflexions de nos prestigieux auteurs, celle de Malek Haddad pour qui la langue française est un «exil» et celle de Kateb Yacine pour qui elle constitue un «butin de guerre». La tentation est grande de rejeter le français, car langue de l'ex-colonisateur comme celle de l'adopter en tant que langue littéraire, technique et scientifique. D'évidence, si le choix est aisé pour l'arabophone, il l'est moins pour le francophone. Peut-être d'ailleurs devrait-on parler d'algérianophones ? Certes, le problème concerne l'ensemble des Algériens - et au-delà, des Maghrébins -, mais surtout l'élite qui s'exprime, dont notamment les écrivains, universitaires, journalistes, politiques... Le peuple, quant à lui, a tranché la question au quotidien : l'arabe (littéraire et dialectal) et le berbère (le kabyle, le chaoui, le m'zabi et le targui), compte tenu des brassages séculaires, sont de rigueur depuis plusieurs siècles. Pour le reste, la langue française qu'une partie de l'élite utilise pour des raisons d'ordre scientifique et/ou culturel, que faire ? Admettre celle-ci comme un moyen d'expression (notamment en matière de recherches universitaires par exemple) et comme un moyen permettant un apport quant au développement scientifique, technique et technologique ? En tout état de cause, la réponse à cette question dépend de notre capacité d'algérianophones, d'une manière générale, et du pouvoir des arabophones et berbérophones, d'une façon particulière, à produire scientifiquement et culturellement des oeuvres suffisantes tant en quantité qu'en qualité. A cet égard, le bilinguisme (arabe/français) apparaît circonstanciel ; le bilanguisme (arabe et amazighe) se révèle plutôt structurel et constant. Aussi, il nous faut forger un appareil conceptuel à vocation culturelle et scientifique permettant l'affranchissement du moi national à l'égard de toute allégeance linguistique. A cet effet, la «bilinguisation» de la vie sociale et culturelle - au vu de notre volonté nationale et des résultats indigents fournis - ne saurait être regardée que comme palliatif nécessaire, mais dont l'échéance est inscrite dans le temps. Il est vrai que les nations puissantes agissant de plain-pied dans les décisions importantes de la communauté internationale (les Etats-Unis et l'Europe occidentale) ont leurs langues propres - parlées et écrites. Ces langues pouvant charrier d'ailleurs une idéologie de domination à divers titres: culturel, politique, diplomatique, économique, militaire et technologique? Au demeurant, les grandes nations ont une langue (voire des langues nationales), même lorsqu'elles veulent unir leur destin. Le cas de la CEE est plus que probant à cet égard. Il est vrai que les citoyens des pays modernes sont suffisamment alphabétisés et lettrés en grand nombre. Ils est constant également que ceux-ci parlent, écrivent et produisent dans le domaine littéraire (et, au-delà, dans les secteurs de la science et de la technologie) d'abord et essentiellement dans leur langue maternelle même quand ils ont deux ou plusieurs langues nationales. Beaucoup de nations civilisées ont deux ou plusieurs langues : Canada, Suisse et Belgique par exemple. A mon sens, l'Algérie est d'abord et avant tout algérianophone, c'est-à-dire arabophone et berbérophone. Que l'algérianité soit donc notre lieu d'expression où tous les auteurs peuvent se retrouver pour conjuguer leurs efforts en vue d'une culture nationale admettant le pluralisme linguistique et culturel à même de permettre à l'Algérie de s'intégrer dans le concert des nations dites civilisées. Changer la condition de nos mères, sœurs, épouses et filles Cette insoutenable condition a été imposée par le code de la famille de 1984. L'économie du texte est la suivante : la polygamie sous réserve, la tutelle matrimoniale à l'égard de la fille (même majeure), la prohibition du mariage avec un non musulman pour la femme, le divorce comme faculté exclusive du mari (la répudiation), l'interdiction de l'adoption (tempérée toutefois par le système de la kafala ou recueil légal), l'absence de statut pour la mère célibataire et le droit à la moitié des parts en matière successorale. A titre comparatif, le Tunisie s'est dotée d'un code dès 1956. Certes, empreint de mimétisme dans ses principales dispositions et en avance bien évidemment sur les pratiques sociales, la modernité en fut le levain. Au plan juridique, le statut de la femme tunisienne apparaît nettement valorisant et valorisé. Reste que l'écart entre la théorie et la pratique doit être mesuré. L'exemple le plus éloquent, à cet égard, est relatif à la polygamie. Or, la sourate 4, verset 3 est claire : «Epousez donc celles qui vous seront plaisantes par deux, par trois ou par quatre; mais si vous craignez de ne pas être équitables, prenez-en une seule». La sourate 129 est tout aussi explicite : «Vous ne pourrez traiter équitablement toutes vos femmes, quand bien même vous le désireriez». Autre question d'importance: la filiation qui est établie par le mariage valide (article 40); quid alors des enfants extraconjugaux, ceux dits naturels (voire plus rarement adultérins ou incestueux) ? Quel est le statut et quels sont les droits de ces enfants ? Enfin, l'adoption est interdite par la chari'â et la loi (article 46); toutefois, le chapitre VII sur la kafala (recueil légal) règle autrement cette question en 10 articles. Ainsi, l'article 116 dispose que : «Le recueil légal (kafala) est l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur au même titre que le ferait un père pour son fils. Il est établi par acte légal». En matière de successions, le législateur algérien révèle sa capacité à adopter une législation compliquée alors qu'il lui est demandé de la simplifier. Pierre d'achoppement avec la société civile, le code de la famille datant de 1984 a été timidement réformé courant février 2005. Ainsi, parmi les nouvelles dispositions, le maintien de la polygamie assortie il est vrai du consentement de la première épouse (consentement vérifié par le juge). Cependant, il faut toujours à la femme un tuteur matrimonial pour le mariage même lorsqu'elle est majeure. Le cas échéant, ce rôle est assumé par le juge. S'agissant du mariage, la principale innovation concerne la suppression de la procuration à un tiers pour représenter l'époux et l'alignement de l'âge du mariage à 19 ans révolus pour l'homme et la femme. Concernant le divorce, l'époux est désormais tenu légalement d'assurer le logement à ses enfants mineurs avec la précision que l'épouse ne peut demander le divorce que dans des situations particulières, notamment pour infirmité sexuelle de l'époux, absence de plus d'une année sans motif valable, «pour toute faute morale gravement répréhensible établie»? De même, l'épouse peut se séparer de son conjoint, sans l'accord de celui-ci, moyennant le versement d'une somme? En matière de succession, il n'y a pas de changement. A titre comparatif, nos voisins ont pensé également à réformer cette situation. Ainsi, le Maroc a également modifié sa Mudawana (code du statut personnel) de façon plus substantielle ; ainsi, il y a consécration de l'égalité des droits, suppression du tutorat, coresponsabilité parentale? Cependant, il semblerait que le nouveau texte souffre d'application eu égard notamment aux mentalités empreintes de traditionalisme, encore tenaces chez les juges et une partie des citoyennes marocaines. Ainsi, à titre illustratif, sur les 2 186 demandes de mariage précoce déposées, 2 140 ont été acceptées ! (Jeune Afrique du 29/06/05). Et récemment, la Tunisie a annoncé l'égalité des deux sexes en matière de succession). Toujours est-il que l'Algérie doit s'engager résolument dans la voie de la réforme en vue d'aboutir à une deuxième République; ce, notamment en mettant fin au mythe de la « légitimité révolutionnaire », au populisme et au culte de la personnalité comme elle a semblé se départir de l'état d'urgence. Ce faisant, dépasser le système politique que l'on peut qualifier à la fois de stratocratie et d'oligarchie et congédier le «cercle des décideurs», réformer l'Etat et les institutions, permettre l'émergence d'une société civile autonome, revoir la place de l'Islam dans la société algérienne, assumer notre algérianité et l'algérianophonie et briser l'insoutenable condition de nos mères, sœurs, épouses et filles. *Avocat-Auteur Algérien |