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Le professeur Abdelkader Khelil a publié dans le Quotidien d'Oran du jeudi 13
juillet 2017 un excellent article sous le titre : Que faire face à la
régression alarmante et à la médiocrité suicidaire de nos universités ?
Il a fait une analyse à la fois très pertinente et très dure de la situation de l'université algérienne ; nous adhérons pleinement à cette analyse que bien de collègues connaissent sans pouvoir la dénoncer par lassitude, par crainte de représailles ou tout simplement par le sentiment que l'on ne peut plus rien faire, le mal étant trop profond. La solution proposée pour l'instauration d'une bourse conséquente aux étudiants en remplacement des «avantages en nature» sur le logement, la restauration et le transport est tout à fait adéquate. Elle permettrait, et nous en sommes convaincus, d'accompagner nos étudiants vers une attitude et un comportement responsables en place et lieu du statut d'assisté dans lequel ils sont arrivés à se complaire dans le courant de leurs études d'abord, puis dans leur entrée dans une vie active semée d'embûches et de difficultés diverses amplifiées actuellement par les effets latents de la crise financière dont nous essayons, vaille que vaille, de reculer, voire nous masquer, les conséquences. Sous d'autres cieux, l'étudiant est confronté très tôt aux difficultés de la vie : comment se loger, comment se nourrir, comment s'assurer une vie décente à la fois de travail honnête et de loisirs saints et mérités ; il recherche ainsi un travail lui permettant d'avoir un revenu d'appoint quand il n'a pas de bourse ou de parents aisés ; il recherche un logement ; il recherche un endroit où manger correctement suivant ses revenus ; il essaie de se procurer des ouvrages de travail «au meilleur prix», ou au besoin par emprunt aux bibliothèques universitaires ou aux multiples bourses aux livres. La refonte de l'Office des œuvres universitaires, indispensable autant qu'urgente pour contribuer à former une élite responsable, active, mature et adaptée aux réalités de la vie, sera confrontée, au moment même où elle serait annoncée, à de nombreuses oppositions de la part de celles et ceux (étudiants mais aussi leurs parents) qui craignent de perdre des avantages directs ou indirects ; ces opposants avanceront les concepts d'acquis révolutionnaires, de droit à l'instruction, de la liberté d'étudier et que sais-je encore. Cependant l'université algérienne est tellement mal en point que cette mesure seule ne permettra pas de la remettre sur pied. D'autres mesures, aussi impopulaires que dures, sont à notre avis tout aussi indispensables. Il faudrait pourtant avoir avant tout confiance dans le citoyen algérien et dans sa capacité de faire ce que les autres font sous d'autres cieux. Les exemples d'Algériens diplômés de l'université algérienne et arrivant au sommet des hiérarchies de la vie sociale dans des pays technologiquement avancés sont nombreux ; il y a l'exemple des étudiants qui s'inscrivent en doctorat à l'étranger après leur ingéniorat ou leur magister obtenus en Algérie et qui soutiennent des thèses de très haut niveau demandées et citées une multitude de fois par des chercheurs ou des équipes étrangers. Je citerai également l'exemple du professeur Elias Zerhouni sortant de l'université algérienne avec un doctorat de médecine en 1975 et qui a été le 15ème directeur général des National Institutes of Health aux USA de 2002 à 2008, après avoir déjà occupé le poste de directeur de la division IRM de l'université J. Hopkins (cité par la revue de vulgarisation scientifique Sciences et Avenir n°746 d'avril 2009). Mais il y a de nombreux autres exemples pour montrer que même sortant d'une université à l'agonie nos compatriotes sont capables de prodiges pour peu qu'on leur fasse confiance et qu'on les place dans des milieux favorables : des conditions de travail correctes, un accompagnement intelligent et responsable, des exigences de résultats et de qualité, une responsabilisation dans l'action collective et l'apprentissage de la valeur du travail et de l'effort. Dans cet article nous énonçons quelques autres mesures qui nous paraissent également nécessaires pour remettre sur pied l'université algérienne. La langue arabe est-elle la faute de la baisse de niveau ? On a souvent dit que la baisse de niveau dans l'université algérienne a pour cause essentielle l'arabisation des enseignements. Il me semble que les défenseurs d'une telle thèse font une double erreur : i) la langue arabe ne peut pas être considérée comme frein au progrès scientifique ; les premières universités dans le monde sont maghrébines et leur langue d'enseignement est l'arabe ; plus tard, les connaissances, les savoirs et les savoir-faire sont développés et diffusés en langue arabe ii) l'arabisation du système éducatif en Algérie a été plus une contrainte qu'un choix délibéré ; on oublie en effet qu'à la rentrée scolaire d'octobre 1962 il n'y avait à la disposition des académies qu'un nombre très insuffisant d'enseignants ; deux options étaient alors possibles : a) laisser à la rue des milliers d'enfants ou b) recruter des enseignants parmi ceux qu'on pouvait trouver, autrement dit ceux qui sortaient des médersas, donc des arabophones ; c'est ce choix qui avait été fait ; est-ce le bon ? Des études plus appropriées pourraient nous fournir une réponse ; en tous cas c'était ce choix qui avait été fait et on ne peut pas revenir en arrière. L'arabisation des enseignements à l'université a également été une nécessité à cause des flux d'étudiants arrivant avec un cursus en langue arabe. Là aussi deux options étaient possibles : i) garder les enseignements à l'université en français mais organiser un système de formation de langue (par exemple 6 mois de français intensif pour tous) obligatoire avant d'entamer le vrai cursus universitaire ; ou ii) arabiser le système mais former les enseignants à la langue ; l'option qui a été choisi est celle d'un mixte laissant aux responsables universitaires «locaux» le choix d'adopter l'une ou l'autre solution ; c'est ce qu'on a fait avec la mise en place du LMD en laissant coexister LMD et ancien système et qui a généré tous les problèmes que chacun connaît ou a vécus. En matière de langue, l'absence d'une véritable stratégie intelligente et courageuse soutenue par des choix basés sur la volonté de bâtir une université de savoir et de rigueur a entamé le chemin vers les résultats que nous connaissons. La conclusion que l'on peut tirer est que la langue en tant qu'outil véhiculaire ne peut pas être la cause de l'échec de l'université algérienne. Actuellement la tendance est de dire que c'est la faute du système. Mais c'est quoi au juste le système ? Le système c'est peut-être avant tout un choix sociétal et un projet clair de société. Le système, c'est un peu ceux qui font et ceux qui appliquent la politique. Mais le système, c'est aussi nous tous, chacun en sa qualité de citoyen (ou de musulman) ; c'est moi, c'est vous, c'est tous les autres qui cherchent une intervention quelconque (ou qui font pression le cas échéant) pour que leur enfant passe en classe supérieure, obtienne son brevet, son baccalauréat, ses modules à l'université, un travail, un logement; c'est nous qui contribuons au mensonge, au vol, à la pression sociale sous toutes ses formes ; c'est en fin de compte nous tous qui contribuons à la faillite de notre système éducatif. De la direction universitaire L'université est dirigée actuellement par un recteur, plus exactement un «moudir» donc directeur si on se limite à traduire le terme générateur. Partant de cette traduction, le recteur (autrement dit le moudir) a pour fonction de diriger, plus intelligemment de manager dans le sens de l'entreprise. Question immédiate : l'université est-elle une entreprise ? Bien évidemment non. Car l'entreprise a un objectif de rentabilité et de profit et que l'université a un rôle de service public et de qualité. Autre question, toujours dans le cas où l'on se tient à l'hypothèse de recteur-directeur : un recteur est-il formé pour manager ? La réponse est évidemment non ; au mieux il peut être professeur dans un domaine du management ou de sciences connexes. La troisième question est évidente : s'il n'a pas eu de formation managériale, peut-il diriger (ou manager) l'université ? Vous admettrez facilement que la réponse est non. Alors, soit on se trompe sur la fonction de recteur, soit on se trompe sur la façon de le désigner ! Dans les deux cas, il y a là une des causes de la faillite du système. Dans l'université deux fonctions essentielles sont à assurer : une fonction management et une fonction stratégie scientifique. La fonction management ne peut pas être assurée par le recteur car il n'y est pas formé ; il devra donc la déléguer entièrement au SG de l'université qui devra adapter son projet de management à la stratégie de développement scientifique du recteur. La stratégie (ou le projet de développement scientifique) élaborée par le recteur doit entrer dans la stratégie scientifique nationale et le projet de société ; elle doit tenir compte par ailleurs des réalités locales et régionales de l'université : l'USTHB n'a pas les même contraintes que l'USTO ou l'université de Béchar ! La dernière question : quelles devraient donc être la fonction du recteur, ses compétences et le mode de sa désignation ? La fonction du recteur devrait, à notre sens, être éminemment scientifique et consister à élaborer et réaliser un projet de développement scientifique (avec évidemment un volet pédagogique approprié) pour son université. Ses compétences principales sont : capacité de visionnaire, meneur d'hommes, rassembleur ; il doit être vu par la population universitaire comme le sage, le guide et le père que l'on écoute, que l'on respecte, que l'on suit et qu'on prend comme modèle. Son mode de désignation (désignation ou élection) doit être basé sur deux contraintes inévitables : i) un diagnostic préalable de l'université pour laquelle on veut désigner un recteur ; ce diagnostic devrait permettre de définir des objectifs à atteindre ; et ii) une sélection de candidatures par un comité d'experts sur les capacités de chacun des candidats à atteindre les objectifs mis en évidence. Ce mode de désignation devrait permettre d'accorder au recteur la légitimité indispensable, la confiance nécessaire et les moyens de faire avancer véritablement l'université vers le progrès ; il doit également le protéger contre tout abus d'autorité ou d'aléa social ou politique ; il doit permettre par là-même à l'université de progresser vers la qualité puis vers l'excellence quelles que soient les contraintes locales, régionales ou externes. A suivre... *Ancien recteur, Ancien directeur du Centre de développement des techniques avancées - Professeur honoris causa de l'université de Bucarest, Médaillé de l'université Paris Est Créteil |