|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Je ne voulais pas
m'attarder à Lima, j'étais plutôt intéressé par l'arrière-pays et surtout par
le Machu Picchu et le
chemin des Incas. Je m'informe sur les moyens de transport pour atteindre la
Cordillère des Andes. Pour mon cas (marqué d'un triple pontage, il ne fallait
pas brusquer de s'élever si vite (passer de 100 m à 4000 mètres d'altitude),
subir le mal du (Sorroche), ce mal qui indispose la
respiration pour le manque d'oxygène. Pour peu ou en forçant la dose, passer de
vie à trépas comme dirait l'autre.
Première étape : Lima-Ayacucho En après-midi je me dirige vers la gare routière après avoir visité le musée de l'archéologie, de l'anthropologie. Une débauche muséale qui me trempe dans une béatitude sans borne. Cet état de grâce va m'alimenter et m'aider à l'escalade de l'altitude. Aux abords de la station c'est tout un tumulte provoqué par les marchands ambulants, que par une nuée de gamins circulant à vive allure. La gare routière est nichée dans une sorte de grand hangar où sont aménagés plusieurs guichets représentant les diverses compagnies qui desservent l'intérieur du pays. Derrière une immense baie vitrée sont alignés une série d'autobus aux couleurs flamboyants. Sur les quais, une autre ambiance vous saisit, à commencer par une forte sonorité musicale, entrecoupée de messages, des bandes de fillettes vous proposent toutes sortes de victuailles, des cireurs, des mendiants, ce n'est plus l'Amérique, c'est l'Afrique mouches et moucherons compris. Bien calé dans mon fauteuil, je m'apprête à affronter mes treize heures de voyage. J'ajuste les écouteurs de ma boîte à musique pour me déconnecter avec une nouba andalouse ou un «Raï» d'une «chaba» Zahwania. Les haut-parleurs annoncent les départs et nous voici selon l'ordre numéroté, bien niché auprès de la fenêtre, qui aura un grand avantage en altitude, celui de nous dispenser un peu d'oxygène. Péniblement, klaxon à plein tube, le bus s'arrache à une ville bruyante et trop animée. Le calme revient lorsque les paysages fabuleux commencent à défiler. D'abord plages idylliques à perte de vue, désert côtier, falaises, montagnes aux sommets enneigés, tout un paysage surprenant. C'est la côte du Pacifique, jalonnée de bidonvilles, espacée par de larges panneaux publicitaires, style américain, bariolée de costumes folkloriques aux couleurs criardes. Lima, ancienne capitale de l'empire espagnol d'Amérique du Sud, n'a plus l'allure aristocratique qu'était la sienne au début du siècle. Des millions de migrants, descendus des hauts plateaux andins, ont envahi ce qui fut une cité de charme colonial, transformant la ville-jardin en une nébuleuse plébéienne. Les « pueblos jovenes » construits sur le désert de la côte du Pacifique prolongeant la populeuse métropole sur des dizaines de kilomètres. Actuellement, un tiers des 23 millions de Péruviens vit dans la capitale et un autre tiers dans les villes de province. La nation inca n'est plus un pays rural mais une jungle urbaine où les pauvres côtoient chaque jour les élites occidentaux et leur style ostentatoire. Une provocation quotidienne de surconsommation sur un peuple pacifique. Pour les moins pauvres, ce sont des habitations en briques apparentes surmontées de tiges de fer qui attendent que l'on veille bien ajouter un étage. (A peu près la même allure de la plupart de nos habitations rurales surchargées de six garages qui attendent? Godot?). Des enfants jouent pieds nus avec un ballon composé de vieux chiffons. Une femme, un seau dans chaque main, part à la recherche de l'eau. Dans certains bidonvilles, elle est vendue par des chauffeurs de camions-citernes, qui méritent bien le nom de «requins d'eau» que leur collent les habitants. Partout, des tas d'immondices et de gravats entre lesquels zigzaguent de vieilles Volkswagen, «coccinelles», rouillées et trouées, la Rolls des bidonvilles. A la sortie des usines, les échoppes offrent aux ouvriers le «tamal», semoule de maïs enveloppée dans une feuille de maïs. «L'expresso Orméno» figure parmi les bus d'une compagnie les plus en vue au Pérou. La durée du trajet est à titre indicatif car la route qui suit un escarpement accentué perd complètement son bitume pour se confondre par un revêtement en terre battue. La saison des pluies cause des dévalements importants pour laisser latitude aux services des routes à opter en épousant les nouveaux tracés que la nature impose. La route grimpe et avec elle le curseur du manque d'oxygène. On sent la fatigue. La ville d'Ayacucho est atteinte vers 4h du matin. Lessivé et malmené déjà par le « sorroche », je saisis le premier taxi qui m'amène à un hôtel le plus près, mais sur le haut de la colline à 3000 m d'altitude. Tant bien que mal je m'installe et il m'est difficile de courtiser le sommeil. Le manque d'oxygène en cette altitude est flagrant. Je suis emparé d'un mal de tête et d'une lourdeur dans tous mes gestes. Sans trop tarder je me renseigne auprès d'un semblant de réceptionniste pour envisager le changement avec un hôtel au bas de la ville espérant grignoter quelques grammes d'oxygène. Oui il fallait attendre la demi-journée pour qu'un taxi puisse répondre à notre demande. Je plie mes bagages et courageusement je dégringole à pied les ruelles de cette nouvelle casbah. On me recommande de boire la coca. Qu'à cela ne tienne ! Après deux jours sans trop bouger et m'abreuvant du «mate coca» l'acclimatisation aidant, je sors explore la ville et me préparer à aborder la dernière étape celle de Cuzco à 3200 m. Pauvre de moi, à 3000 je suis aux petits soins, que va être plus haut ? Allons y jusqu'au bout puisqu'on y est. Autobus local qui ne manque pas d'exotisme. La couleur des «ponchos» domine avec la couleur rouge. La musique fuse de partout, d'abord du bus d'une tonalité abasourdissante. L'amarrage du bus prend tout son temps avec un grand retard, s'ébranle délicatement. De l'air ! De l'air un peu plus par le mouvement. L'air conditionné est absent. On s'y fait, économisant les mouvements. L'escalade est de mise, ça grimpe faisant défiler montagnes sur montagnes. Je ne bouge plus. Je pense à la mer. Quelques heures après un arrêt sur une terrasse d'un café nous offrant en plus d'une belle vue, un mate coca. L'étape décisive de Cuzco est une des plus belles villes d'Amérique du Sud. Un style avec ses étroites ruelles dont les pans des murs du sol à hauteur des épaules sont de facture inca, c'est-à-dire en pierres grises taillées d'un ajustement précis au point qu'une aiguille trouverait difficilement son point de chute. Par la légende «Quéchua» Cuzco est considérée comme le «nombril du monde». Les villes d'Amérique du Sud sont centrées sur la grande place : la Plazza des Armas (place des Armées). C'est le cœur commercial où se jouxtent restaurants, agences de voyages, etc. Les monuments historiques (temples et églises) y sont du lot. La pluie est de la partie, mon cœur bat assez vite, je suis obligé de procéder à des haltes (pause-café plutôt mate coca). Je me traîne, me sentant lourd, le mal de tête est quasi permanent et la finalité est toujours projetée : parcourir le chemin des Incas sur une quarantaine de kilomètres, c'est le but recherché. Je me mets en contact avec une agence. Un guide me serait fourni et me laissera le choix des altitudes. Pour arriver au chemin il faudrait emprunter le train qui part de Cuzco vers le Machu Picchu. Les touristes empruntent la classe supérieure. Des wagons soignés aux couleurs bleues azur, avec un décor recherché, des tables garnies de carafes d'eau pure. Un palais royal, une féérie au milieu d'une jungle. Les « gringos » (pas besoin d'être américain pour être gringos, tout ce qui est blanc est gringos). Nous devons la découverte du Machu Picchu et du chemin y afférent (chemin des Incas qui a gardé ses caractéristiques) à Hiram Bingham en 1911. Mis en relief, le sentier draine des centaines de marcheurs, sacs au dos à longueur de journée. Le sentier qui a gardé ses points de repère d'antan, nous donne une idée des coureurs incas rapportant le courrier sur ses quarante kilomètres. Les traces de ruine relatent les vestiges de relais, avec tout autour des terrasses impeccablement cultivées et bien entretenues. La hauteur des lieux vous donne la sensation d'un décor paradisiaque où se côtoient une multitude de nuages. Des mares de nuages de couleurs et de grandeurs différentes se juxtaposent, s'interfèrent, se surnagent l'un sur l'autre, nous éraflent, flattent nos pieds et inondent le sentir d'une blancheur mirifique. La présence de ces nuages à nos côtés ajoute un charme hors du commun en ce jumelage hauturier. «El camino inca» est très sécuritaire, vous devriez arrêter au km 104, vous verrez, demandez à l'hôtesse. Le guide vous attendra à cet endroit» me déclare l'agent de voyage qui me vend le forfait de la marche sur le chemin des Incas. Le kilomètre 104 est en pleine jungle où il n'y a même pas un quai. C'est la grande aventure. Et si le guide fait défaut ? On est livré au zoo. Enfin à prendre ou à laisser? l'aventure c'est l'aventure. Qui vivra verra? Au 104, l'arrêt est accompli. Je suis seul dans une immense forêt. Juste près des rails je m'installe avec mon petit sac de viatique d'une journée accompagné d'une gourde d'eau. Je tente de découvrir ce qu'il y a autour. Pas de sentier, de cabane, de Mac Donald, de mosquée, de flexy? que du vert ! Enfer ou Paradis ? On le saura toute à l'heure. Le bruit du cliquetis de mon appareil photo résonne singulièrement parmi les chants de toutes sortes que la forêt émet. Le temps passe, je m'énerve. J'ouvre mon sac et me venge sur la bouffe. Après une bonne heure mon guide surgit de nulle part avec une pancarte portant mon nom. C'est le comble du ridicule ! Comme s'il y avait foule? Il me sourit, s'excuse du retard et m'explique le trajet. Je luis fis grâce des grandes escalades et lui propose des raccourcis de façon à ne pas monter gratuitement pour redescendre ensuite. On suit les rails un moment puis on bifurque sur un sentier pour amorcer une légère escalade. On contourne un monticule et l'on s'engage sur le grand sentier du chemin des Incas sur une largeur de trois mètres. Un pont suspendu en lianes nous fait traverser une profonde rivière, on aboutit sur une vaste clairière où tout un monde campait. C'est une mini-base où se mêlent agent de parc, guides, touristes, etc. Un service d'ordre régule le flot des marcheurs. Les montagnes se succèdent nous laissant dans une contemplation extatique, les Andes s'offrent à nous. Les porteurs nous dépassent rapidement. Ils courent avec leurs minuscules sandales. Ils nous devancent pour aller préparer le campement. Les Andes se profilent à perte de vue, le paysage est à couper le souffle, qui est déjà assez court, merci ! Nous entamons une descente ardue et raide. Elle fonce directement sur le rio Papcamayo, dernière étape. La végétation tropicale nous baigne de son humidité. Les insectes bourdonnent autour de nos visages, les futés se protègent par des moustiquaires. Le sentier, entrecoupé des fois par des escaliers taillés dans le roc, longe des précipices où toujours les nuages s'entrecroisent et foulent notre sol. Dans cette nappe écumeuse, l'envie de carder ou de pelleter du nuage vous tente. Les ondulations de la rêverie se faufilent dans la gamme. Il est temps de questionner les incertitudes, de fixer le vertige, de frôler l'éthéré ! Attention précipice et quitter le sillon de la vie par inadvertance? et voltiger auprès des arcs-en-ciel? Il vaut mieux rester nimbé dans le brouillard, souquer la mélancolie et caresser la beauté du silence ! C'est un horizon émancipateur où l'on peut dégrafer les préjugés. Dans cette prime écume, s'offrir un balcon pour se saouler d'horizons éthérés. L'activité corporelle chasse les mauvaises tensions. Elle s'alimente de pensées agréables. Un homme n'est-il pas le produit de sa pensée intérieure ? La marche n'efface-t-elle pas les rides intérieures ? et remet le curseur sur un marchepied d'une gloire à venir ? Le confrère d'un brouillard, presque fantomatique enveloppe le sentier que les orchidées jalonnent en bordure. C'est l'entrée du bivouac, un hostal rudimentaire. Une douche salvatrice avec l'éternel coca pour s'adonner à une soirée pleine de communication fraternelle. A l'aube le Machu Picchu apparaît dans toute sa splendeur. Le guide nous réunit pour nous distiller quelques explications. Le soleil continue de miroiter sur les éternelles cimes enneigées et sa réfraction fait fondre nos rêves et nous projette vers les autobus alignés sur le parking. La civilisation reprend ses droits et au bout de ligne Lima, son aéroport et la fin du voyage. |