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Les écrits des professeurs
Farid Chaoui et Mohamed Regabi
dans les journaux Le Quotidien d'Oran et Le Soir d'Algérie, les 30, 23 et 15 juin,
nous éloignent des billevesées ou inanités des thuriféraires et pamphlétaires,
car ils abordent des questions cruciales et leurs auteurs présentent des
lettres de créance à travers deux arguments irréfutables.
Le premier se trouve être dans leur haut degré de compétence et leur professionnalisme selon les normes universelles qui se prolongent par une humilité qui se retrouve chez ceux soucieux de servir les autres. Il nous suffit de souligner que Farid Chaoui reste une référence internationale dans le domaine de l'exploration intestinale et la reconnaissance de ses pairs l'a rendu récipiendaire du prix prestigieux du Président Bourguiba sans qu'il ait fait la moindre allusion à cela, car il n'est pas convenable de parler de soi-même ! Son style d'écriture revêt d'ailleurs cette discrétion doublée d'une rigueur, certes indicible mais bien présente qui se traduit par le souci de s'effacer devant ses éminents collègues en précisant qu'il n'était que jeune professeur à Aïn Taya en ajoutant qu'il ne l'est plus après sa démission en juin 1993, alors que d'autres s'évertuent à s'attribuer des titres qui n'existent que dans leur imaginaire. Le second argument se matérialise par la capacité de renonciation et cette éthique qui recommande ou cette esthétique du dedans pour faire ce qui doit être fait sans contrepartie. L'éthique n'est pas pensée mais se pratique et demeure invisible, car il s'agit de ne pas faire des choses car cela ne se fait pas sans plus. Il m'appartient de rappeler que le professeur Mohamed Regabi n'a pas transigé et a remis son mandat de doyen de la faculté de médecine lorsqu'il a estimé que les conditions pour une formation de qualité n'étaient pas réunies et l'ensemble de ses assesseurs l'avaient imité et corroboré sa démarche. Auparavant, le professeur Farid Chaoui avait renoncé à son poste de chef de service, en septembre 1993, après avoir défendu ce qu'il croyait juste alors que certains de ses brillants camarades du lycée El Idrissi avaient choisi d'autres voies comme Abdenour Nabid qui a inscrit ses lettres de noblesse dans la radiothérapie mondiale sans bruit et fidèle à ses convictions humanistes. Ces talents n'étaient pas le fruit du hasard car des éducateurs comme le regretté proviseur Bensalem, au cours des années soixante, qui ne considérait pas sa mission inférieure à ses capacités bien qu'il ait occupé de hautes fonctions, ensuite comme celles d'ambassadeur d'Algérie ou de recteur de la grande université d'Alger. L'environnement est ainsi marqué par l'éthique qui guide les comportements de manière spontanée sans donner les raisons contrairement à la morale qui commande. Sans jamais juger pour essayer de comprendre, Farid Chaoui cite des personnalités capables de faire partager leur vision sans jamais se compromettre. A titre d'exemple, le professeur Grangaud symbolisait l'éthique à travers sa participation à la mise en œuvre de la politique de santé publique sans contrepartie au cours de plusieurs décennies. Le regretté professeur Bachir Mentouri a incarné l'intransigeance et le refus de tout compromis avec les amateurs. Il a marqué par son professionnalisme ses collègues, ses assistants, ses étudiants et ses patients qui admiraient son refus de céder à toute intrusion de l'administration dans son domaine bien qu'il bénéficiât d'une considération particulière des hauts responsables. D'autres vieux maîtres comme les professeurs Mansouri, Benallegue, Illoul, Slimane Taleb, Moulay et Khaled Benmiloud, Zidane, Abdelmoumene, Mostefaï? étaient sollicités pour des avis par leurs collègues d'outre-mer. L'état de délabrement constaté aujourd'hui se trouve être tributaire de l'instabilité institutionnelle pour une consolidation des acquis en se référant toujours à l'éthique. La mesure des progrès accomplis dans le domaine médical pourrait-elle s'effectuer sur la base de l'évolution des écarts par rapport aux standards internationaux au cours des dernières décennies ? Seuls des spécialistes peuvent élaborer des éléments de réponse sur la base d'analyses fiables. Le commun des mortels ou le profane s'interrogent d'avoir six professeurs et plus dans des services des grands hôpitaux et d'ouvrir des établissements qui fonctionnent avec quelques spécialistes nouvellement promus ? Ce genre de situation a amené certains comme le professeur Abdelkader Boudjema à renoncer à son poste de chef de service sans se soucier de sa carrière pour être en harmonie avec lui-même. Le haut degré de compétence de cet orthopédiste se prolongeait par cette éthique au niveau de son action quotidienne dans la discrétion. D'ailleurs, de nombreux maîtres-assistants depuis plus de vingt-cinq années aux compétences avérées refusent de préparer des thèses car ils ne reconnaissent pas d'autorité morale à leurs chefs tout en acceptant leur pouvoir hiérarchique. (Le cas du grand chirurgien Hamid Aït Benamar aux performances exceptionnelles et reconnues par tous en plus de son humilité montre bien l'absence de consensus sur ces titres et ce médecin de haut rang qui pourrait donner son nom à cette clinique qu'il a tant servie n'a pas présenté de thèse). Toute la problématique tourne autour de cette reconnaissance par les pairs perdue et remplacée par une caution administrative éphémère. Le retour à une autorité basée sur la vision partagée mais il serait illusoire de croire que ces questions puissent être élucidées en dehors de leur contexte social. Le professeur Khaled Benmiloud avait été un observateur averti de ces résistances multiples à la diffusion du progrès dans la société et au passage des compétences individuelles à la compétence collective qui demeure l'enjeu majeur surtout avec la consécration du numérique et l'élargissement de la concertation pour une correction des erreurs en temps réel. Sur ce plan, nous disposions d'hommes sans institutions aux traditions bien établies pour capitaliser ces acquis, or, comme le rappelait Jean Monnet, l'un des architectes de l'Europe : «Rien ne peut être entrepris sans les hommes mais rien n'est durable sans les institutions». Les germes de la destruction se trouvent être dans l'édifice lui-même. Le suivi du quotidien confirme bien que l'institutionnel se trouve supplanté par l'informel : - l'inflation de textes renforce la place de l'informel où se tissent des liens de solidarité et le refus de toute ingérence externe pour la régulation; - une opacité relationnelle devenue la règle apparaît comme un frein efficace à toute transparence. Le rejet de la compétence collective et ce processus d'érosion méritent d'être analysés en intégrant les dimensions historiques, sociologiques et culturelles pour une compréhension des causes du blocage du progrès. Ce passage des compétences individuelles à la compétence collective nécessite une écoute attentive des pulsations de la société car les écarts décrits par les deux distingués professeurs traduisent cet échec à convertir ce potentiel des individus en apport pour la société. Pour ma part, j'éviterais l'irrémissible d'une conclusion mais j'exprime ma conviction de l'utilité des échanges dans un monde où les intangibles et les biens non fongibles confèrent aux réflexions en vase clos un caractère inénarrable. La disponibilité de ces professeurs pourrait marquer l'inflexion pour une approche collective et globale en associant ceux qui ont affirmé leurs compétences à l'étranger, ceux qui ont décidé de démissionner en respectant leurs valeurs, ceux qui ont servi sans bruit en renonçant aux titres car le respect des valeurs et l'intégrité ont conduit leurs comportements. |