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Ici la Métropole s'est contentée de payer
quelques féodau; là, divisant pour régner, elle a fabriqué de toutes pièces une
bourgeoisie de colonisés [?] Ainsi l'Europe a-t-elle multiplié les divisions,
les oppositions, forgé des classes et parfois des racismes, tenté par tous les
expédients de provoquer et d'accroître la stratification des sociétés
colonisées ».
C'est par ces propos que Jean-Paul Sartre, dans sa préface à l'ouvrage de Frantz Fanon, Les damnés de la terre (1961), définit les divisions nées de l'histoire coloniale et, partant, l'exacerbation du sentiment de supériorité chez la fange européenne civilisationniste. Après la formule nauséabonde prononcée par Nicolas Sarkozy lors du célèbre discours de Dakar, le jeudi 26 juillet 2007: «Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire». Après l'assertion infâme du président français François Hollande lors du discours au 70e anniversaire du Crif, le lundi 16 décembre 2013, «Il [Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur] en revient [de l'Algérie], sain et sauf, c'est déjà beaucoup» (rires), l'ancien président français s'emploie avec une indécente assurance à renouer avec la tendance néo-coloniale dans un discours prononcé à Tunis le lundi 20 juillet 2015. En effet, Nicolas Sarkozy tente avec l'orgueil «néo-latin»1 de renouer avec la période triomphale de la République coloniale: «La Tunisie est frontalière avec l'Algérie et avec la Libye, c'est pas nouveau, vous n'avez pas choisi votre emplacement». A la lecture de ces vitupérations sordides, il y aurait à saisir la nature de ces propos orduriers et lestes d'un doctrinaire exalté, blessant la décence du peuple algérien lequel a payé un lourd tribut d'occupation coloniale. Aussi convient-il de caractériser le climat et les ambitions géopolitiques et géostratégiques de la France en Méditerranée poussée par son zèle civilisateur et destructeur. Par réaction contre ces excès frénétiques et pathétiques, désormais récurrents, il importe de faire grand cas de ce nouvel affront qui n'est même plus masqué. Affront Cette faconde n'est pas inédite. L'opinion publique algérienne est à nouveau consternée. Les Algériens anciennement colonisés condamnent de tels procédés à visées géostratégique et électoralistes. Plus encore, le peuple algérien s'opposera toujours aux discours racistes et à l'imposture néocolonialiste. Il sait que le refus de tout diktat de l'ancienne puissance coloniale et de toute aliénation coloniale passe par une extirpation de «la dialectique du maître et de l'esclave»2, d'une part, et par un fort sentiment patriotique, d'autre part. L'exemple le plus lancinant est offert par l'équipe nationale de football, comme l'atteste, le clip «1,2,3 Viva Algérie» de Jonah Kessel, représentant la rue algérienne lors de la Coupe du monde de football de 2010. Ce nouvel affront a provoqué finalement une réaction patriotique incarnée par le peuple algérien et son attachement au triptyque d'Abdelhamid Ben Badis, prononcé en avril 1936: «La nation algérienne n'est pas la France, ne peut pas être la France et ne veut pas être la France». Dans ces conditions, l'indignation laisse place à la réactualisation de l'histoire coloniale en Algérie et à la réactivation du nationalisme algérien face aux discours essentialistes et nauséeux. L'ancien président français aurait-il sous-estimé l'aspiration du peuple algérien à la liberté et la force des masses déshéritées dans la lutte contre tout impérialisme contemporain au nom du principe de la non-ingérence ? Ce que monsieur Sarkozy et ses thuriféraires semblent oublier, c'est que l'Algérie est libre et indépendante une fois pour toutes, sur le double plan idéologique et politique. Or, cet aspect-là échappe, à l'évidence, à ceux dont le goût pour l'injure et la caricature méprisantes se traduit par une l'hostilité ouvertement agressive à l'égard d'un pays souverain. Assurément, le discours de l'ancien président français laisse deviner à travers ses réflexes moraux nocifs une ligne de partage entre la barbarité et la francité. Ainsi, pour Nicolas Sarkozy: «L'indigène est déclaré imperméable à l'éthique, absence de valeurs, mais aussi négation de valeurs. Il est, osons l'avouer, l'ennemi des valeurs. En ce sens, il est le mal absolu. Elément corrosif, détruisant tout ce qui l'approche, élément déformant, défigurant tout ce qui a trait à l'esthétique ou à la morale, dépositaire des forces maléfiques, instrument inconscient et irrécupérable de forces aveugles3». Butor Le discours de Nicolas Sarkozy s'adresse essentiellement aux Tunisiens, radicalisant le ton sur la violence prétendument inhérente à leurs voisins. Surtout, il tente de justifier «la violence légitime»4 comme régénératrice des sociétés libyenne et, à mots couverts, algérienne. C'est avec une perfidie sans nuances que ce butor feint de s'étonner de l'exacerbation de la violence dans cette région au coeur des nouvelles dynamiques de la mondialisation prédatrice. Pour les Algériens, la France est responsable de l'insécurité dans la région sahélo-saharienne et des effets dévastateurs en Libye, notamment sur le plan géopolitique. La dissymétrie des forces dans la région exclut les possibilités de réconciliation ou à tout le moins de médiation tant les intérêts en jeu sont divergents. En outre, sa vue de la situation géopolitique et géostratégique en Méditerranée méridionale à tout de chauvin. Les vomissures de l'ancien président français n'ont rien de fortuit. De par ses relations et ses références idéologiques5, il tente de présenter un monde manichéiste. C'est dans cette perspective médiocre et immorale qu'il convient de comprendre la démarche d'un butor pris dans une compétition électorale. Au-delà des idées simplistes d'un babtou fanfaron et provocateur, ces propos, à l'évidence, polémogènes illustrent une volonté de faire pièce à toute entreprise visant à l'unité des pays du Sud de la Méditerranée. En dépit de la sympathie paternaliste affichée pour les alliés féodaux de la France, l'insulteur Nicolas Sarkozy semble donner un coup de grâce à la tentative de construction d'une unité africaine sinon maghrébine. Cette tentative de désunion dans le Maghreb renforce finalement une forme de méfiance vis-à-vis de l'Occident et de la France particulièrement. Caudataires Dans cette convergence idéologique, sont présents les caudataires de Nicolas Sarkozy, à l'exemple d'Eric Ciotti, président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes. La présence de ce Républicain nationaliste s'inscrit, à plus d'un titre, dans la tradition du programme national du candidat antijuif, Henry Coston, aux élections législatives à Alger en 1936 dont la profession de foi publiée dans le quotidien La Dépêche Algérienne le 19 avril 1936 évoque le «rapprochement franco-italien» de même que l'«action latine» dans la continuité de l'Action Française d'Edouard Drumont: « Le Comité républicain antijuif d'action latine et un grand nombre d'électeurs indépendants ont demandé à Henry Coston d'entrer dans la lutte électorale, dans la circonscription d'Edouard Drumont, estimant que nul n'était mieux qualifié pour reprendre la tâche du fondateur de «La Libre Parole» que le directeur actuel de ce journal de combat contre la ploutocratie juive». C'est là un exemple entre mille, mais qui permet, à bien des égards, de contrebalancer les viles manœuvres ainsi que les rodomontades nauséabondes de nostalgiques de l'Algérie française. Quant à la présence de Rachida Dati, elle est le résultat de l'indigence intellectuelle et de la servilité de la «beurgeoisie», produit et/ou échec de l'assimilation à la française. Frantz Fanon a défini, à ce titre, cette impulsivité dévote à l'égard du babtou comme suit: «Le jour où le Blanc a dit son amour à la mulâtresse, quelque chose d'extraordinaire a dû se passer. Il y eut reconnaissance, intégration dans une collectivité qui semblait hermétique. La moins-value psychologique, ce sentiment de diminution et son corollaire, l'impossibilité d'accéder à la limpidité, disparaissaient totalement. Du jour au lendemain, la mulâtresse passait du rang des esclaves à celui des maîtres?».6 Dans ce contexte de politique nationale et mondiale, la seule perspective pour l'Algérien est l'émancipation politique, économique et culturelle qui ne cesse cependant de rétrécir à mesure des attaques ordurières et fécondes face à des représentants algériens s'inféodant au diktat de Paris et faisant chorus avec leurs anciens maîtres. Note 1. Mostefa LACHERAF, L'Algérie, nation et société, Paris, Maspero, 1965. 2. Au sens de Karl Max. 3. Frantz Fanon, Les damnés de la terre, chapitre I De la violence, Paris, Maspero, 1961. 4. «La violence légitime», qui procède d'une entité étatique selon Max Weber puis Pierre Bourdieu, se traduit depuis ces dernières années par des interventions militaires unilatérales menées par les Occidentaux. 5. La thèse des aires de civilisation exposée notamment par Samuel Huntington dans un article «The Clash of Civilizations», publié dans la revue «Foreign Affairs» en 1993. 6. Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, chapitre II, La femme de couleur et le Blanc, Paris, Seuil, 1952. |