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« Les dictatures fomentent l'oppression, la servilité et la cruauté; mais
le plus abominable c'est qu'elles fomentent l'idiotie », Jorge Luis Borges.
Cette idiotie est inconsciemment cultivée, nourrie et auto-infligée, à telle
enseigne que ce sont, désormais, les démocraties alternantes qui fomentent,
sans mérite ni gloire, la servilité des dictatures immuables. Quand on gouverne
par la seule logique de la force, on s'incline corollairement et machinalement,
par défaitisme logique et expéditif, devant plus fort, et on subit alors
implacablement sa loi.
Face au plus fort, la faiblesse défaitiste peut s'autodétruire par peur anticipée, ou s'offrir en suppôt et s'acquitter, ainsi, sans procuration des plus sales besognes. Face au plus fort, l'allégeance et l'inféodation peuvent devenir des lois, par crainte et résignation, sinon par enthousiasme et collaborationnisme. LA LOI CIVILISEE DU PLUS FORT Les nations modernes, ne cesse-t-on d'entendre et lire, ne doivent avoir ni amis ni ennemis permanents. Que des intérêts permanents ! Cet implacable et impitoyable principe a, sans doute, été énoncé par un puissant leader, disposant de tous les moyens de sa realpolitik ; mais il est stupidement et ironiquement repris en chœur par beaucoup d'apprentis politiques sous-développés. Les despotes des régimes totalitaires et démocraties bananières en fantasment et rêvent de révolutionner la gouvernance à vie avec ce postulat magique. Et pourtant, en vertu de cette ?fetwa' sacro-sainte, autorisant le chevauchement pragmatique des principes pour une opportunité ou un intérêt quelconque, tout le monde peut, alors, légitimement, prétendre être scrupuleux et consciencieux, et très à cheval sur tous les principes ; le dilemme trivial du conflit d'intérêt ne pouvant, apparemment, être soulevé que par l'innocence enfantine ou par des insatisfaits éventuels, si jamais il en existe encore. Ne s'agit-il pas, plutôt, d'un sinistre grand bond en arrière vers la primitivité de la loi du plus fort, antérieure à l'homme lui-même ? Cette loi de la jungle n'est-elle pas la seule à élucider ce dilemme du conflit d'intérêt en l'éludant par définition, dès le départ ? Le plus fort étant aussi, dans de pareilles conditions, toujours le plus intelligent ou le moins bête, l'épouvantail du bâton brandi est studieusement agrémenté de toutes sortes de carottes asservissantes, et cultivées, dans des jardins nommés « droits de l'homme, corruption, recel, double nationalité, et cartes de séjour ». Le plus fort peut se permettre des caprices et extravagances, mais ces derniers ne deviennent, effectivement, des lois que s'ils sont acceptés par faiblesse et défaitisme. Le défaitisme est un engrenage aux conséquences affreuses et l'opportunisme rentier et la médiocrité y sont fort sujets, dès les premiers pas dans l'illégitimité politique. Une classe politique défaitiste est corollairement corruptible, et demeure misérablement non recyclable, même quand elle prétend faire de l'opposition. Quand un opportuniste mouillé et compromis est éjecté d'un pouvoir corrompu, il se prend, immédiatement, pour un opposant farouche et incorruptible, tel un voleur se croyant honnête dès qu'il n'a plus l'occasion de voler. Le carriérisme et l'aplaventrisme, ces malheurs qui n'attendrissent personne, possèdent leur propre doctrine du juste milieu ; ils sont récidivistes et tout aussi prêts à soutenir l'équité ou l'injustice, selon la direction du vent. Avec des ennemis aussi malheureux qu'utiles - ou des amis aussi supplétifs - qui peut donc avoir encore besoin de nouvelles expéditions de croisés ? Violence collatérale et stratégique La civilisation judéo-chrétienne domine le monde par sa puissance militaire et technique ! Point barre ! Pas besoin d'être défaitiste pour le reconnaître. La civilisation judéo-chrétienne est menacée par l'Islam ! Point barre ! Le défaitisme ou le collaborationnisme du milliard de musulmans n'y changeront rien ! Essayez donc de rassurer les stratèges alarmistes, tel Vincent Cooper [1] qui prédit, anxieusement, que la Grande-Bretagne deviendra une nation à majorité musulmane au cours de ce 21ème siècle. S'il était possible d'isoler cette religion dans un champ de bataille, dans n'importe quel coin de la planète ou même en dehors, les pauvres musulmans, défaitistes ou pas, ne seraient jamais inquiétés ; car, quand bien même déplaisants, ces derniers ne sont, à vrai dire, la source d'aucune inquiétude sérieuse. Les islamistes pourchassés dans leurs pays par les suppôts de l'Occident, ne sont-ils pas plus en sécurité chez ce dernier ? C'est parce qu'il est impératif de livrer une bataille face à la menace de cette religion, et c'est parce que tous les stratèges civils et militaires ne sont pas, encore, arrivés à isoler et acculer cet insaisissable ennemi, que ces faibles musulmans doivent subir continuellement les accès agressifs de cette frustration. Cela comprend le soutien des régimes totalitaires, impopulaires et félons, et la fécondation de la violence stratégique ou collatérale d'accompagnement ; en espérant que cette dernière puisse, par ricochet, atteindre, ou du moins écorcher, souiller et desservir, l'objectif principal, l'Islam. L'actuel jeu de stratégie civilisationnelle peut, certainement, endeuiller des populations, et partiellement assouvir certains fanatismes, mais restera, invariablement, contre-productif. Le malaise et l'insatisfaction auto-infligés ne se dissiperont pas, même avec la disparition des pays musulmans à travers un défaitisme général et universel, débouchant sur une nationalité unique, celle des Etats Unis du monde ! Cette angoisse auto-infligée ne sera, définitivement, évacuée et dissipée que si la cohabitation civilisationnelle multiculturelle, désormais irréversible, est pleinement acceptée et assumée, et si l'intérêt moral fait, enfin, son apparition dans le menu des intérêts permanents des nations. * Professeur, King Saud University |