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«Nous avons découvert 30 à 40% de triche dans les demandes de logement enregistrées sur l'ensemble du pays, nous avons apuré le fichier national et tout a été mis à jour», dit le ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme dans cette interview. Il estime ainsi que le règlement de la crise du logement est pratiquement entamé. Reste aujourd'hui à combler un niveau de déficit «extrêmement acceptable». Le Quotidien d'Oran: Votre secteur vient de lancer une nouvelle formule, le LPP (Logement public participatif). La souscription a débuté dans un grand cafouillage. Pourquoi n'avoir pensé au retrait du formulaire par Internet que plusieurs jours après le début de l'opération ? Abdelmadjid Tebboune: Le LPP est le dernier maillon d'une chaîne dont on a recherché la cohérence pour la segmentation de la demande à travers le logement rural simple, le groupé, le social, LSP, LPA, AADL, mais il s'est avéré qu'il y avait toute une frange de cadres de l'Etat, les cadres moyens supérieurs, si j'ose m'exprimer ainsi, qui étaient exclus pratiquement du logement parce que leurs revenus dépassaient 6 fois le SNMG. Il fallait donc avoir ce segment qui vient prendre en charge tous ceux dont les revenus se situent entre 6 et 12 fois le SNMG. Q.O.: Pourquoi cette limitation des revenus à chaque fois qu'une formule est lancée ? A. Tebboune: C'est pour une raison de justice sociale. Ceux dont les revenus dépassent ce niveau ont la possibilité d'accéder à la promotion privée. Je ne pense pas que dans le cadre du logement social et semi-social, l'Etat soit obligé de s'occuper de personnes dont les revenus sont très élevés par rapport aux revenus de base par lesquels on démarre la segmentation. Q.O.: Cette catégorie de «riches» a-t-elle des formules pour acheter son logement ? A. Tebboune: L'Etat ne peut pas être seul constructeur. Nous traversons une période où nous sommes en train de résorber le déficit du logement mais tôt ou tard il faudrait s'organiser pour qu'il y ait 30 ou 40 acteurs dans les programmes de construction de logements et dont l'Etat continuera de faire partie. Q.O.: Votre secteur a-t-il déjà ciblé ces acteurs ? A. Tebboune: La masse de ces acteurs, c'est le privé. Seulement, il faut canaliser et discipliner la profession. Je ne dis pas qu'il faut moraliser pour ne pas blesser, parce que la plupart des promoteurs sont des personnes correctes que je connais et qui ont fait leurs preuves. D'autres, par contre, quand ils fixent le m² à 35 millions de centimes par exemple, font dans la spéculation. Ce n'est plus de la promotion immobilière dans un pays où les revenus ne sont pas plus élevés que cela. Q.O.: Ne voudraient-ils pas cibler cette catégorie «hors segmentation», de riches que vous, vous excluez de toutes vos formules ? A. Tebboune: Même quand on est super riche, on ne peut aller vers des prix aussi prohibitifs. Si nous reprenons notre réglementation, notre stratégie avec une autre façon de voir en facilitant, au point de vue fiscalité et accession au foncier du domaine public ou privé de l'Etat, peut-être qu'on pourra arriver à des prix péréquatés abordables. On n'invente rien, ça se passe comme ça dans beaucoup de pays. Les pays occidentaux ne construisent pas de social, ce sont les promoteurs privés qui doivent céder aux municipalités un pourcentage de logements qu'ils construisent pour qu'elles les affectent aux catégories des bas revenus. Il faut préciser que tout le monde ne peut pas être propriétaire d'un logement, ça n'existe dans aucun pays. Il faudrait aller vers la création d'un marché immobilier, correct, moral, où certains doivent payer plus d'impôts que d'autres? Il faut aussi aller vers la création d'un marché locatif. Q.O.: C'est une idée qui a été lancée depuis très longtemps mais non encore concrétisée. Quelles en sont les raisons ? A. Tebboune: Leur concrétisation ne peut se faire que par un état d'esprit et une réglementation. Q.O.: Les deux n'existent-ils pas ? A. Tebboune: Actuellement, la réglementation est semi muette sur ça. Tandis que l'état d'esprit, une bonne partie est à la spéculation. Q.O.: Ce ne serait pas votre secteur qui devrait inclure cette réglementation dans la stratégie dont vous avait fait part ? A. Tebboune: Nous sommes peut-être l'un des acteurs principaux mais ce n'est pas notre secteur seul qui doit s'en charger. C'est le ministère des Finances, de l'Intérieur? Ce sont beaucoup de départements ministériels qui doivent rentrer dans cette réflexion sur la création d'un marché locatif, y compris celui de la Justice qui détient l'autorité sur les notaires, les huissiers, les magistrats. Lorsque la loi va cadrer ce secteur, on pourra le faire. Aujourd'hui, le marché locatif est là, mais il est caché et très spéculatif. Il ne s'agit pas de fixer un montant pour réglementer les transactions dans ce domaine. Beaucoup feront semblant de le respecter mais, en dessous de table, ils vont vous obliger à payer quatre fois et plus le prix et vous ne pourrez pas déclarer. D'abord, il faut créer l'abondance, parce que dans tous les pays du monde, le déficit en logements ou toute forme de pénurie n'est pas gérable. Q.O.: Plusieurs formules ont été lancées par le secteur et pour chaque formule, il y a le rush des demandeurs. La problématique du logement est-elle aussi compliquée et difficile à résoudre ? A. Tebboune: C'est clair qu'il y a un déficit qui s'est accumulé. On commence, certes, à sortir la tête de l'eau depuis le lancement des deux programmes quinquennaux. Mais il faut noter que la crise du logement n'est pas née ces dix dernières années mais elle est née d'accumulations depuis 85-86. La crise a commencé avec la restriction des moyens de l'Etat qui lançait de moins en moins de logements à cette époque. Nous sommes arrivés à la cessation de paiement en 91. Nous sommes rentrés tout de suite après dans un tourbillon sanguinaire. Tout s'était arrêté. A la reprise, nous n'étions pas plus riches. Ce n'est que vers 2006-2007, que les fonds étaient là et que l'ambition de réaliser pouvait enfin être en adéquation avec nos moyens. On s'est attelé alors à résorber ce déficit. Une fois le gap rattrapé ou plus ou moins atténué, on pourra raisonner de manière un peu plus calme et aller peut-être vers d'autres stratégies, d'autres orientations pour atténuer cette crise. Il faut reconnaître que le manque de logements est universel. Il ne faut pas que nous, Algériens, on soit universaliste pour certaines choses qui nous arrangent et lorsqu'on voit que l'Etat a des problèmes, on s'enferme dans des raisonnements subjectifs. Q.O.: La distribution a toujours posé problème. On dit qu'elle se fait avec des dessous de table, par clientélisme? Ne serait-elle pas à l'origine de beaucoup de problèmes dans le logement ? Et ne contrecarrerait-elle pas la volonté de l'Etat de vouloir faire mieux et plus ? A. Tebboune: Ce n'est pas systématique. Je pense que c'est un épiphénomène. Lorsque vous comparez les 56.000 logements déjà répartis avec quelques troubles à l'ordre public par-ci, par-là, ce n'est pas très expressif. En principe, sur une liste de plusieurs noms, la contestation se fait sur un, deux ou trois noms, pas plus, le reste est accepté par tout le monde. Quand il y a une crise de logement, chacun veut être logé en premier. Il faut donc ramener la sérénité, la confiance, aussi bien pour la distribution que pour le rythme de la réalisation. Plus on en réalise, plus les citoyens s'assurent qu'ils auront leur logement. C'est ce à quoi nous nous sommes attelés et continuons de faire. Pour la première fois depuis l'indépendance, on a entamé tout un cycle d'enquêtes, commune par commune, daïra par daïra, sur les demandes réelles de logements restants à satisfaire pour voir où on se situe. Finalement, nous sommes arrivés à un chiffre extrêmement acceptable. Un chiffre qui nous place parmi les pays du bassin méditerranéen qui auront dans ce domaine, le moins de problèmes dans les années à venir. Q.O.: Je ne vais pas vous demander de chiffres parce que dans la rue, on réfléchit en termes d'acquis, on a ou on n'a pas de logement. Comment pensez-vous résorber un déficit qui augmente annuellement avec les nombreux mariages et enfantements ? A. Tebboune: Il faut d'abord garder le rythme. Beaucoup d'éléments doivent s'enchaîner pour satisfaire une demande. La politique globale de l'Etat en matière sociale, la programmation, les moyens qu'il faut pour construire, les délais de réalisation, la qualité de travail des promoteurs? Q.O.: L'Etat continuera-t-il la construction des logements sociaux et leur distribution gratuite ? A. Tebboune: On ne donne pas de logements gratuitement. Il y a une caution à déposer et il y a un loyer à payer. Malheureusement, beaucoup de personnes ne le paient pas. Il viendra le jour où l'Etat reprendra toutes ses billes. Mais le social doit continuer parce que dans tous les pays, il existe une frange de population qui n'a aucun moyen ni de construire, ni d'acheter. Le marché locatif ne lui ouvre pas beaucoup de perspectives si ce n'est dans des caves? Frange dont le nombre est cependant de moins en moins important grâce à une meilleure distribution de revenus telle qu'elle se fait actuellement. Il y a des signes de richesse dans le pays qui ne trompent pas. La flambée de l'achat des voitures le montre bien. En plus, les banques affirment que jamais l'Algérie n'est arrivée à un taux d'épargne aussi élevé comme celui enregistré en 2012 et début 2013. Il y a de l'argent. D'ailleurs, je précise que nous avons laissé le LPP en dernier parce qu'il était censé encadrer une minorité mais avec le rush qu'il y a eu, on voit qu'il y a de l'argent. A Alger, on était ces jours-ci à 18.000 demandes. A Annaba, à peine à 700 et à Oran, on était à 5.000 alors que c'est une ville de 1,5 million d'habitants. D'ailleurs Oran fait partie des villes où le déficit en logements est pratiquement résorbé. Q.O.: Il y a des personnes qui se sont présentées à 5h du matin, d'autres ont préféré passer la nuit devant les guichets pour pouvoir retirer les imprimés du LPP. Vos services n'ont-ils pas anticipé sur cette importance de la demande ? A. Tebboune: On s'attendait à une demande moyenne qui serait étalée sur le temps en sachant à qui s'adresse la formule. Mais il y a des choses qui marquent. Les citoyens ont dû se rappeler que ceux qui se sont inscrits en premier dans les programmes AADL ont eu leur logement les premiers, et les autres sont restés en rade. Q.O.: Allez-vous satisfaire toutes ces demandes inattendues ? A. Tebboune: Logiquement oui parce que la formule LPP est purement commerciale. C'est une promotion publique. La promotion privée étant ce qu'el-le est, celle publique vient en appoint pour régler le problème à ce niveau. Mais je ne pense pas que la demande dans ces segments soit éternellement élevée. Il viendra le moment où elle va baisser, surtout si le marché locatif devient une réalité. Q.O.: La remise des clés se fera en principe dans combien de temps ? A. Tebboune: La durée de réalisation d'un logement est en moyenne 24 mois, c'est-à-dire dans près de deux ans. Sorti de ces délais contractuels pour la construction, il y a toutes les pénalités que prévoient les clauses contractuelles qui vont être appliquées aux entreprises. Q.O.: Y aurait-il d'autres formules en gestation ? A. Tebboune: Il y a une opération qui me tient à cœur pour boucler la boucle. Il faut aller vers nos enfants qui sont nés outre mer, dont les parents sont immigrés et qui restent attachés à leur pays. Je pense qu'il leur faut trouver un point d'ancrage ici. Q.O.: Même s'ils ont choisi de partir ? A. Tebboune: Ils l'ont fait malgré eux. Tout le monde ne l'a pas fait par amour du pays où ils ont émigré. Vous savez par quelles phases économiques sommes-nous passés. L'Algérie ne peut pas différencier entre ses enfants. En tout cas, cette approche ne se fera pas tout de suite et pas du tout de la manière avec laquelle elle se fait ici. Si un jour, il y a un programme pour notre émigration, ce sera avec un paiement en devises. Il n'y aura pas d'aides de l'Etat. Ils auront l'occasion de se réinsérer dans leur pays en payant leur logement. Comme pour tous les Algériens, le privé est prohibitif et le secteur public ne leur est pas ouvert parce qu'à la base il y a une dotation de revenus qui doit être nationale et un certificat de résidence qui doit l'être aussi. Autre précision pour les émigrés, on ne va pas tous les amener sur Alger ou sur Oran, ils choisiront les régions eux-mêmes. C'est une opération bien plus complexe et compliquée. Il s'agit de ramasser toutes les demandes et de leur assurer une réponse appropriée. Q.O.: L'opération serait-elle rentable pour l'Etat ? A. Tebboune: Elle n'aura aucune rentabilité pour l'Etat. La seule rentabilité, c'est peut-être un peu de transferts de devises qui ne se fait presque pas. Q.O.: Pourquoi la formule AADL a-t-elle été suspendue pour un temps et relancée dés votre retour ? A. Tebboune: Aux dires de certains ministres de pays nordiques qui l'ont affirmé chez nous, c'est la formule idéale pour résorber le déficit. Ils en ont été subjugués, surtout par les délais de remboursement. Le ministre finlandais de l'Economie a déclaré que c'était le meilleur système et s'est même demandé pourquoi n'y ont-ils pas pensé eux-mêmes. C'est une formule qui permet d'être propriétaire mais de manière très étalée. C'est très gradué. Il y a de la promotion en Europe, mais le remboursement se fait à très court terme, d'une manière bancaire et très onéreuse parce que les intérêts ne pardonnent pas. A l'origine, la conviction du président de la République et du gouvernement était de reprendre et de reformater notre classe moyenne. C'est la base stabilisatrice de tous les pays. Quand un pays perd sa classe moyenne, il est déstabilisé. Nous avions une des plus grandes et des meilleures classes moyennes de tout le Maghreb, de toute l'Afrique et des pays arabes. La crise économique et le terrorisme aidant, elle a été laminée, dispersée, humiliée. On est en train de la reconstituer avec l'aide de l'Etat, en lui donnant sa dignité, en la rattachant à son pays. La formule AADL, qui a convaincu le président - il l'a adoptée et c'est devenu sa formule à lui -, s'adresse à cette classe moyenne. Elle n'aurait jamais dû être arrêtée. C'est le président qui a instruit le 1er ministre pour qu'elle le soit. A la nomination du gouvernement Sellal, le président a tout de suite demandé à ce qu'elle soit reprise avec 150.000 logements. Q.O.: Le problème du foncier est-il aussi grave pour qu'on construise des immeubles à Ouargla et à Béchar ? N'est-ce pas aberrant ? A. Tebboune: C'est aberrant. Il y a une tension sur le foncier à Alger et dans les wilayas montagneuses (Jijel, Tizi Ouzou, Béjaïa) réputées ne pas avoir beaucoup de terrains disponibles. Ailleurs, il ne devrait pas y avoir de tension et il n'y en a pas en réalité. A Alger, le problème du foncier est parfois réel, parfois non. Quand vous survolez Alger, vous remarquerez que tous les environs sont vides. Je ne vois pas non plus, comment peut-on labourer, semer et moissonner à un km d'Alger ? Q.O.: Mais l'agriculture ne doit-elle pas défendre son existence et ses territoires ? A. Tebboune: Certes. Les orientations du président de la République nous instruisent que c'est le pire des péchés que de toucher les forêts, des terres irriguées et l'arboriculture fruitière. Il se trouve que ces espaces agricoles autour d'Alger, ce sont des terres céréalières. Nous les prenons pour la construction de logements parce qu'elles ne sont pas rentables. Elles sont d'un très faible niveau de rendement. Lorsque vous avez besoin de 200 hectares pour construire une cité qui doit accueillir 5.000 ou 15.000 et plus d'habitants, des terres à 15 quintaux à l'hectare, c'est dérisoire par rapport à l'utilité du logement et à l'investissement humain qu'il génère. Le logement pour moi, ce n'est pas statistique, c'est un moyen par lequel on peut projeter la population algérienne vers l'avenir, entre autres, en la logeant de manière digne. La tension sur le foncier à Alger est en train de se régler. Nous avons par contre, un autre problème à Alger. Bien que le nombre de ses habitants est très élevé, Alger est en train d'occuper trois fois plus de surface que nécessaire, par le fait de laisser construire des bicoques, des logements individuels n'importe où et n'importe comment. C'est l'effet de l'élargissement des familles qui a exigé que dans beaucoup de quartiers populaires, nous constatons ce genre de constructions qui s'étalent alors qu'on peut prendre tout un quartier sur trois ou quatre tours en aménageant, en créant un cadre de convivialité, en projetant Alger vers la modernité. Alger occupe des espaces qui ne sont pas utilisés correctement. Viendra un moment où on ne touchera plus aux terres agricoles et il faudra se retourner sur le tissu existant pour le remodeler, le redessiner, le reconstruire. Q.O.: Seriez-vous obligé de détruire ou de remplacer des habitations par d'autres nouvelles ? A. Tebboune: Bien sûr. Mais quand on dit détruire, tout de suite les gens voient la coercition. Tous les actes seront volontaires et payés au prix coûtant. Alger a besoin d'être réorganisée au plan urbanistique et architectural. Q.O.: En attendant, les constructions illicites défigurent la capitale et les bidonvilles repoussent tout de suite après avoir été éradiqués ? A. Tebboune: Là aussi, il y a la réalité et il y a la spéculation. Nous avons recensé 370.000 habitats précaires, qu'ils soient traditionnels ou de type bidonville. Il y a une population nomade qui saute du bidonville au logement et revient au bidonville. Il y en a qui sont devenus experts dans ce trafic. Ils sont devenus de véritables agences immobilières des bidonvilles. J'ai demandé aux walis de ne plus éradiquer les bidonvilles sans passer devant le fichier national. Ceci permettra de contrôler, de cibler et de lister les personnes qui s'adonnent à ce genre de pratiques. Elles ne pourront plus continuer ainsi à tricher. Q.O.: Comment régler aussi le problème des nombreuses constructions inachevées à travers l'ensemble du pays ? A. Tebboune: On doit le faire avec le ministère de l'Intérieur, les services d'urbanisme et même les domaines. La loi 15-08, qui permet la régularisation de tout le monde (permis, titre de propriété...), a exigé l'achèvement de toutes ces bâtisses. La loi a été bloquée en 2011 mais on l'a reprise. Dans certains quartiers, c'est de la spéculation, on termine le rez-de-chaussée pour ouvrir des commerces. C'est la police d'urbanisme qui est au niveau de l'autorité locale qui doit faire attention et veiller à ce que ça ne soit pas ainsi. Q.O.: Pourquoi le discours politique promettant le recasement à une date précise des familles logées dans les chalets n'a-t-il pas été suivi d'effet aux dates annoncées ? A. Tebboune: C'est tout le retard qu'il y a dans la réalisation, l'un tient de l'autre. Il faut avouer quand même que ces familles n'ont pas été laissées dehors. Le chalet dont elles ont bénéficié tout de suite après le séisme, coûte énormément d'argent et ça sécurise en cas de secousses telluriques. Il faut surtout dénoncer ce qui s'est passé dans deux quartiers d'Alger et à Boumerdès. Il y a eu transfert de familles vers des logements en dur, les chalets n'ont pas été retirés et ont été réoccupés par d'autres. On a aujourd'hui, un problème d'indu-occupants. C'est à l'autorité locale de le régler. Toutes les promesses ont été faites pour reloger les habitants des chalets d'ici à la fin 2013. J'ai donné au wali de Boumerdès un programme de 12.000 logements pour qu'il règle le problème de tous les chalets. Il faut compter avec les moyens et délais de réalisation. Nous avons d'ailleurs décidé pour les programmes d'habitat de pré-affecter, c'est-à-dire que le logement est affecté avant même sa réalisation. Oran en a été le précurseur. Le 1er ministre avait remis des clés de logements pré-affectés, dont la construction est déjà lancée et non sur la base d'un programme qui n'est même pas démarré. C'est une formule qui sécurise, qui rassure et qui met en confiance. Q.O.: Le 1er ministre a évoqué l'installation d'une commission nationale pour réglementer la distribution des logements. Quelles seraient ses prérogatives ? A. Tebboune: Lorsque nous avons mené un travail d'épuration en profondeur de toutes les listes de demandeurs de logements à travers l'ensemble du pays, commune par commune, nous avons établi un fichier national des demandeurs et nous sommes arrivés pour la première fois depuis l'indépendance à cerner le nombre de demandeurs toutes catégories confondues, comme je l'ai dit plus haut. Dans certaines communes, on a découvert des doubles, triples et même des demandes quadruples. Il y a un minimum de 30 à 40% de triche. On a donc épuré tout cela, ensuite, on a passé les demandes retenues au fichier national des bénéficiaires, on en a éliminé encore et nous sommes arrivés à un chiffre réel, commune par commune. Il y a par exemple des communes où les besoins s'expriment en 400 logements, et si elles ont un programme de 300, on leur en rajoute 100 et le problème est réglé. Même si vous ne me demandez pas de chiffres, je tiens à vous les donner quand même. La demande globale de logements à travers l'ensemble du pays était avant ce contrôle, de 1.871.945 dont 216.877 sont des demandes multiples parmi lesquelles 84.982 ont été considérées positives par le fichier des bénéficiaires. Le total des demandes annulées est de 301.859. La demande finale après épuration des listes est alors de 1.570.086. Les programmes LPL à février 2013 (en cours, non lancés, achevés et non distribués) sont de 807.940. Le déficit est ainsi de 672.146. Cette consolidation concerne les fichiers de 46 wilayas (restent Tlemcen et Bordj Bou Arreridj qui sont en phase de consolidation). Il va donc falloir combler le déficit dans les futurs programmes, le quinquennal et autres. La commission nationale, si elle arrive à être installée - et le mieux est qu'elle le soit auprès du 1er ministère ou du ministère de l'Intérieur parce que l'Habitat réalise et donne à l'Intérieur pour la distribution -, permettrait peut-être de faire des recours nationaux. Mais avec la pré-affectation, les listes exhaustives des demandes et des bénéficiaires après leur épuration, on peut travailler aisément de manière transparente et rapide. Q.O.: Sellal a aussi demandé à ce que les façades des cités soient arabo-berbéro-musulmanes. Cela donnerait quoi en matière de construction ? A. Tebboune: Vous avez des villas très mauresques, très algériennes, d'autres, on dirait des pagodes japonaises, ce qui casse complètement le schéma architectural de nos villes. Q.O.: Le décret portant typologie du logement dans le Sud est-il entré en vigueur ? A. Tebboune: Il y a eu un projet de décret qui a été envoyé à toutes les wilayas du Sud pour le critiquer, l'enrichir ou l'amender avec les élus locaux et la société civile. On a tenu compte de tout ce qui a été apporté, on l'a repris et il a été signé. Le décret définit les surfaces, le mode de construction, l'homme du Sud voulant l'espace, la terrasse accessible, le reste, il l'ajoutera selon son choix. Q.O.: Ceux qui ont construit des immeubles à Ouargla ont-ils alors manqué d'imagination ou d'intelligence ? A. Tebboune: Le décret précise qu'on peut construire en hauteur à titre dérogatoire. La dérogation doit être demandée à la wilaya. Il se pourrait que des administrations demandent à le faire, ce serait possible mais pas pour l'habitat. Q.O.: L'Etat n'a-t-il pas failli à sa mission de contrôler pour faire respecter les plans et modèles urbanistiques, s'ils existent ? A. Tebboune: On ne peut pas obliger les privés à construire leurs villas comme on veut, nous, mais il y a quand même un minimum de règles architecturales de notre patrimoine à sauvegarder dans le domaine. On remarque que même au temps de la colonisation, la construction des grandes bâtisses a répondu au style arabo-musulman exigé aujourd'hui par le 1er ministre (les arcades des grands boulevards de la capitale, par exemple). Q.O.: N'est-il pas trop tard pour l'exiger après que tous les programmes de logements réalisés par l'Etat ont copié le modèle des horribles cités-dortoirs de la banlieue française ? A. Tebboune: Il y a eu carence, il faut le reconnaître. Même le modèle AADL qui était beaucoup plus espacé a été dévié. Il était en effet censé produire des cités qui devaient tirer l'architecture et l'urbanisme vers le haut. Finalement, la formule s'est accommodée à l'environnement et s'est incluse dans le modèle des cités-dortoirs. Aujourd'hui, on a changé totalement d'approche. Il y a des instructions fermes du président de la République que le 1er ministre a annoncé lors de la remise du prix de l'architecture, en priorité rejeter totalement toute idée de cité-dortoir. Nous traitons avec nos partenaires la construction de citées intégrées. On est aussi en train de faire du rattrapage dans ce qui a été fait. Le massacre de la ville de Ali Mendjli (wilaya de Constantine), une cité de 250.000 habitants, ne se fera plus. On rattrape sur le plan des infrastructures culturelles, sportives, des activités des jeunes, des espaces verts... Nous réalisons aujourd'hui des cités de minimum 1.500 jusqu'à 5.000 logements avec tous les équipements et commodités nécessaires (écoles, poste, commissariat, crèche, clinique, CEM, espaces de convivialité, restaurants, cafés?) Q.O.: Il était question d'installer la fibre optique dans toutes les cités ? Ca viendra avec la 3G ? A. Tebboune: Toutes les nouvelles cités auront la fibre optique. Q.O.: Est-ce que vous associez architectes, sociologues et autres psychologues dans la réalisation de vos schémas urbanistiques ? A. Tebboune: Pas obligatoirement. On recherche l'équilibre de la cité, de loisir, culturel, économique, sécuritaire, prestations de services, on n'invente rien. Q.O.: Si vous ne les associez pas, à quelles fins alors, aviez-vous encadré les élections du collège national des architectes ? A. Tebboune: Leur scission dure depuis trois ans. Elle a porté atteinte même à leur crédibilité. Les architectes se sont retrouvés dans l'illégalité la plus totale. Ils avaient deux ordres, ce qui est contraire à la loi. Ils s'attaquaient mutuellement par voie de justice. J'avais mis en place un comité de sages, composé de 15 personnes, femmes et hommes, mais la conciliation a été impossible. Les positions étaient irréconciliables, je ne sais pas pourquoi. J'ai alors reconverti ce comité en commission de préparation du congrès. Chaque wilaya a eu son comité local qui a choisi les congressistes. Le congrès s'est tenu la semaine dernière avec près de 500 personnes. Nous sommes sortis après trois ans, avec un ordre des architectes que la justice reconnaît et avec lequel nous allons collaborer étroitement. Il faut reconnaître certes, que l'ordre était le grand absent de toute cette réflexion sur l'urbanisme. Il faut savoir que l'ordre fait partie de la hiérarchie de l'Etat, il ne peut en exister qu'un et la loi est claire. Par contre, s'ils veulent créer deux ou trois associations, ils n'ont qu'à le faire, ça ne pose aucun problème. L'essentiel est que les architectes se hissent au niveau de tout le travail qui se fait pour reprendre en main l'architecture et l'urbanisme du pays. Il faut qu'ils rattrapent le temps perdu en association avec le public et le privé national et étranger. A partir de la semaine prochaine, on aura pour les officialiser encore plus et leur donner encore plus de poids dans ce secteur. On leur a déjà donné quatre bureaux au niveau du ministère, ils s'installeront à côté du directeur général de l'Urbanisme. On va reprendre toute la réflexion, tous les textes à amender pour atteindre l'objectif d'une meilleure gestion humaine, des espaces, de personnalisation du bâti? Q.O.: Votre coaching du processus de cette reconstitution de la profession ne serait-il pas pour encadrer un ordre qui d'essence devrait être indépendant ? A. Tebboune: Il l'est. Mais le décret dit qu'en cas de blocage, le ministère organise un congrès, on l'a fait. A aucun moment, je n'ai assisté à ce qui s'est fait. Une fois qu'ils ont réglé leurs problèmes, j'ai eu plaisir à les inviter pour les féliciter. L'éthique doit être à la base de tout. Q.O.: Le décret relatif à la cession des biens OPGI vient d'être relancé. Pourquoi a-t-il été gelé ? A. Tebboune: Parce qu'il fixait une date limite à l'opération. J'ai rouvert le dossier après avoir constaté que la première opération n'avait pas donné de résultats probants. Il y a à peine 5% de locataires qui ont acheté leur logement parce que l'estimation au m² était pour moi prohibitive. C'était 18.000 DA pour un logement social qui a été réalisé dans les années 80 avec entre 9.000 et 12.000 DA le m². Je ne peux pas, moi Etat, revendre à 18.000 DA. L'Etat ne spécule pas. Il ne peut donc revendre plus cher des logements qui sont forcément vétustes aujourd'hui. L'opération de cession concerne aujourd'hui les logements OPGI construits entre 1983 et 2004 (il y a donc même des logements construits récemment). Après des négociations avec le ministère des Finances, on est tombés d'accord sur des prix corrects de cession. Le prix de base qu'on a retenu est 12.000 DA, avec des correctifs de zones, de sous zones, de régions? A Alger, le logement le plus cher ne coûterait pas plus de 90 millions de centimes, ceci quand il n'y a aucun abattement. Avec tous les abattements que prévoient le décret, le prix sera bien plus bas. Q.O.: Ces nouvelles estimations sont-elles appliquées aux locataires dont les dossiers sont restés en instance depuis 2010 ? A. Tebboune: La logique veut que ce soit le nouveau prix qui leur soit appliqué. Pour faciliter aux citoyens l'acquisition de leur logement, il vaut mieux que la cession se fasse sur la base des nouvelles estimations. |