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« Il était une
fois un astronaute russe et un spécialiste russe du cerveau qui discutaient à
propos de la religion. Ce dernier était chrétien, mais pas l'astronaute. «Je
suis allé plusieurs fois dans l'espace, se vanta l'astronaute, mais je n'ai
jamais rencontré Dieu ou les anges.» «Quant à moi, répondit le spécialiste du
cerveau, j'ai souvent opéré des cerveaux intelligents, mais je n'ai jamais vu
une seule pensée.»
Suite et fin Maintenant que nous savons que Dieu réside depuis des millénaires, bien calé, dans l'esprit des gens et qu'il n'est pas disposé à évacuer les lieux ; il serait tout à fait logique de cesser de perdre son temps à vouloir l'expulser du champ politique ou de le confiner dans des espaces privés , hermétiques et étanches au domaine public, social, politique. Il serait plus sensé d'aménager des conditions d'un «vivre-ensemble» basées sur la justice, l'honnêteté intellectuelle, l'intégrité morale et la tolérance. Après que tout le monde s'est mis d'accord que d'une manière ou d'une autre, Dieu ne pourra pas disparaître tant qu'il y aura de la pensée, du désir, du rêve, de l'aspiration ; pourquoi donc n'essayons-nous pas d'éviter ces heurts épistémiques et réduire ces divergences à quelque chose de plus tangible. N'est-il pas insensé de vouloir dissoudre la religion en essayant de la diaboliser, faisant d'elle une menace au progrès et à nos droits et libertés individuelles infinies, une difformité que nous proclamons contraire aux lois de l'évolution qui sont les ressorts du progrès et de la préservation de l'espèce humaine alors que les assertions récentes faites en Anthropologie cognitive tendent à confirmer que le phénomène religieux est un exemple fascinant d'une constante humaine qui a résisté à toutes les épurations induites par le processus de la sélection naturelle. N'est-il pas insensé de vouloir apprivoiser la religion en la reléguant au domaine privé ou en essayant de nationaliser Dieu par la fonctionnarisation du clerc, sans pour autant, prendre les autres mesures susceptibles de garantir l'ordre, la justice et la paix sociale. L'anthropologue Scott Atran estime que : " Les croyances et pratiques religieuses impliquent exactement les mêmes structures cognitives et affectives que les croyances et pratiques non religieuses. " (1) Il serait donc fort malhonnête d'attribuer exclusivement à la croyance, à la foi ou à la religion cette propension à succomber à des phénomènes psychologiques relevant de l'ordre de «l'illusion» ou de la «névrose collective» comme le prétendent certains penseurs, et d'immuniser, de facto, contre ces mêmes «délires», l'ensemble des autres convictions avec lesquelles les humains fabriquent tous les jours leur civilisation. Dans un article, paru en 2012, dans la revue américaine «Science», L'anthropologue Scott Atran révélera que " que seuls 7 % des guerres, soit 123 des 1.763 guerres majeures ayant eu lieu depuis 3.500 ans dans le monde, ont été amorcées par des thèmes religieux explicites. Il attribue les 93 % restants à des désaccords en lien d'abord avec les ressources et le territoire. " L'auteur précisera que "Lorsqu'une guerre s'éternise et n'aboutit pas à un processus de paix, la religion commence alors à jouer un rôle très important? Elle «sacralise» les disputes matérielles". (2) N'est-ce pas une manière de reconnaître que l'exacerbation du religieux sur la scène politique et sociale est un réflexe d'autodéfense, l'instrument ultime lorsque d'autres voies de recours sont épuisées. Il y aura toujours ces résurgences violentes ou insidieuses du religieux sur la scène politique soit pour contester un pouvoir en place, jugé injuste ou en-deçà des aspirations d'une certaine majorité (même hétéroclite), soit pour se démarquer par apport à une représentativité religieuse inféodée au système et jugée trop timorée ou tout simplement pour tenter désespérément de s'insurger contre des iniquités et désordres multiformes. Dieu a toujours été une cible de choix pour les uns et les autres. La majorité persistera à le chercher, le convoiter ou l'instrumentaliser, les autres lui tourneront superbement le dos, tous avec la même violence et les mêmes intransigeances. Pour les uns, il s'agira au mieux de tolérer sa présence à condition qu'il se fasse tout petit, virtuel et apolitique ou au pire procéder à son recyclage. Pour les autres, les termes du pacte d'Alliance ne changeront pas d'un iota, éternellement immuables et terriblement écrasants. «Cogito ergo sum !» - Cet âge de la maturité raisonnante fera prendre conscience à l'homme qu'il pouvait, enfin, s'en sortir tout seul, il a donc décrété qu'il n'avait plus besoin de ce Dieu si encombrant, ce Dieu qui prenait trop de place, ce Dieu voyeur et censeur qui surveillait nos moindres faits et gestes, ce Dieu qui lisait nos pensées les plus intimes, prévoyait nos actions les plus insoupçonnées, ce Dieu qui nous avait piégés, condamnés puis bannis, ce Dieu face auquel nos farces les plus élaborées demeurent pathétiquement inopérantes. Ainsi, contre ce Dieu qui avait dit un jour « Que la lumière fut», l'homme dira « Que mes désirs soient !» Mais pour cela il devait, forcément, utiliser le seul moyen «humainement possible» qui donnait accès au pouvoir : L'Assassinat : «Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ?La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement ? ne fût-ce que pour paraître dignes d'eux ?»(3) On a donc commencé à échafauder ce procès mémorable et unique pour dissoudre «légalement» une époque et entamer, enfin, une nouvelle ère où l'homme sera le maître de son destin, n'ayant de limites à ses volontés que sa propre volonté. Néanmoins, liquider Dieu était insuffisant, il fallait aussi dénicher des substituts moraux, une nouvelle intelligence pour continuer son chemin et distraire son intellect. L'homme devait immédiatement fourbir les alibis à son déicide en pré-fabriquant sa propre morale, une morale plus encline à changer au gré des circonstances, une morale plus souple, plus flexible et moins rigide que celle de ce Dieu égal à lui-même qui n'acceptait aucun compromis et qui demeurait majestueusement insensible à tous les prurits intellectuels de l'homme. L'homme pensera un certain temps qu'il n'avait sûrement pas besoin de trouver de substituts à ses anciens «jeux illusoires», à ses «totems», l'essentiel était d'avoir, enfin, immergé vers la lumière éclatante. L'aventure, le défi, étaient d'envisager tous les possibles, n'importe quoi, sauf d'y retourner vers cette cuve obscure de l'interdit et de la coercition. Mais tout cela c'était sans compter sur la ténacité du Divin. Chassé par la porte, il reviendra par la fenêtre. On a essayé de l'assassiner plusieurs fois, en vain. «Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? demandera Nietzsche en guise d'avertissement, «Si l'on en soustrait un concept fondamental, la foi en Dieu, on brise également le tout du même coup : il ne vous reste plus rien qui ait de la nécessité.» Lorsque Marx est parti en guerre contre la religion, celle-ci n'était plus que l'ombre d'elle-même. En effet, lorsqu'elle était active et détentrice de tous les pouvoirs, réduire la misère humaine ne figurait certes pas parmi ses priorités. Son zèle consistait plutôt à affermir sa puissance impériale, fructifier ses avoirs et systématiser le bûcher et les persécutions. Il était donc plus que nécessaire pour qu'à la première occasion on lui réglerait son compte. La révolution française se chargera de lui mettre la tête sur le billot. Néanmoins, si la Religion fût et continue d'être «le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur», ce n'est forcement pas pour produire et faire perdurer en lui et tout autour, les conditions qui favorisent son aliénation. Le monde n'attendait pas Marx pour réaliser que «L'homme, ce n'est pas un être abstrait blotti quelque par,t hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, la société, l'Etat.» Toutes les religions se sont introduites dans les sociétés avec la ferme prétention et l'inébranlable détermination, davantage pour mettre fin à un chaos qui avilissait le genre humain que pour stariser un Dieu jaloux de quelques morceaux de pierre devant lesquels se prosternaient des crétins. "Le royaume de Dieu est en toi et tout autour de toi, pas dans les palais de bois et de pierre ..." dira Jésus. Deux millénaires plus tard et après moult tribulations effroyables de l'Eglise, le Concile Vatican 2 essayera de mettre en pratique l'esprit de cette plate-forme révolutionnaire. Vivre en accord et en harmonie avec son temps, mais cela ne peut se faire que si notre démarche consiste à aller vers les autres avec l'esprit d'une disponibilité permanente et réflexive, sans pour autant renier l'essentiel du message divin. Hélas, cela s'avérera être un pari extrêmement difficile et périlleux. Les extrémismes finiront inéluctablement par surgir afin de contester des réformes jugées blasphématoires ou de réagir face à un «statu quo» scandaleux. On verra, de part et d'autres, et pour des motifs différents, ces dissidences s'incarner autour de la «Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X», de la «Théologie de la Libération», La désobéissance des «Prêtres autrichiens»? C'en est fini de l'esprit des concordats et des compromis. Les fidèles veulent d'une «Eglise qui soit à l'écoute des besoins et des attentes des hommes d'aujourd'hui, une Eglise solidaire des pauvres et des exclus» Jésus était venu détruire le temple et sa symbolique : Le statu quo et la soumission face aux pesanteurs du temps. Aucun prophète n'est venu pour collaborer, se soumettre ou consentir à des compromis. Face aux usuriers et aux arnaqueurs, Dieu est intraitable. Il est à prendre intégralement ou à rejeter. Les notables de La Mecque, pour préserver un style de vie tourné vers la licence et les dérégulations de toutes sortes, avaient proposé au Prophète, pouvoir, richesses, femmes et gloire s'il consentirait à abandonner ses égarements. Aucun individu sensé n'aurait décliné cette offre. Les gens se vendent pour moins que ça. Le Prophète (PBSL) répondit à l'offre généreuse des notables mecquois: « Même si vous mettiez le soleil dans ma main droite et la lune dans ma main gauche, je n'abandonnerais jamais ma mission». Jésus se plaisait aussi à ressasser, «Mon royaume n'est pas de ce monde», peut-être pour signifier, lui aussi, aux négociateurs qu'aucun dialogue n'était possible. Jésus était venu pour communiquer un message révolutionnaire, fondamentalement contestataire et dissident. Il aspirait à dérober au pouvoir du temple et de ses fanfreluches la question de l'humanité et de son sort, constamment menacé. La parole de Dieu devait, selon lui, émigrer hors des rituels hypocrites et conciliants du temple pour aller vagabonder parmi les prostituées et les voleurs, parmi les mendiants, les lépreux et les damnés. Aller vers le monde, vers l'humanité avec un esprit de tolérance et de pardon. Pendant que le Vatican s'affairait à multiplier ses gains, quelque part en Amérique latine, une autre église (La Théologie de la Libération) cherchera à faire l'essentiel : la multiplication des pains. Exactement ce qu'avait accompli Jésus, autre révolutionnaire à son heure qui considérait que la Religion ne devait pas rester à sa place, béate et contemplative face à la misère humaine. «Ô Roi, nous étions un peuple vivant dans l'ignorance et l'immoralité, adorant des idoles et mangeant la chair des cadavres d'animaux, commettant toutes sortes d'atrocités et de pratiques honteuses, brisant les liens de parenté, manquant aux règles de l'hospitalité, le plus fort d'entre nous exploitant le plus faible...». Tels furent admirablement exposés les arguments de Ja?far ibn Ab? T?lib, pour expliquer au Négus les mobiles de cette folie qui deviendra l'une des plus grandes civilisations au monde. «Mettre fin au vol, au meurtre, à l'adultère, au faux témoignage, à la spoliation des biens d'autrui?», Ces injonctions constituent l'essentiel du Décalogue. Dieu n'a pas envoyé Moïse pour faire une campagne médiatique de la déité mais comme un révolutionnaire, au sens propre du terme, pareil aussi bien à ces révolutionnaires qui étoffent nos livres d'histoire, fondateurs de nations ainsi qu'aux autres prestidigitateurs matérialistes qui essayent de dérober le monde à un créateur qu'ils estiment chimérique pour en user et en abuser à leur guise, sans aucune forme de contre-pouvoir. Lorsqu'on se donne la peine de méditer ces tables de la Loi, on constatera que la moitié des injonctions relèvent d'un cadre juridique usité depuis des millénaires dans notre droit civil et pénal. (Du Code d'Ur-Nammu - 2100-2050 av. J.-C, de celui de Hammourabi daté d'environ 1750 av. J.-C - jusqu'au Code civil napoléonien de 1800) «Pour que le fort n'opprime pas le faible, pour faire justice à l'orphelin et à la veuve...pour faire justice à l'opprimé, j'ai écrit mes paroles précieuses sur ma stèle et je l'ai dressée devant ma statue de «Roi de justice» , Telles furent les aspirations de Hammourabi. Et c'est ainsi que, inexorablement récalcitrantes et irréductibles, les trois religions monothéistes, avec des revendications qui ne cesseront pas de hanter l'humanité, bousculeront le monde. Probablement fasciné devant ce qu'il appellera «La Revanche De Dieu.» (4), le politologue Gilles Keppel dira : «Ces mouvements religieux ne sont pas le produit d'un dérèglement de la raison ou d'une manipulation par des forces obscures .Ils sont le témoignage d'un malaise social profond qu'il nous faut décrypter et auquel il faut absolument répondre.» Beaucoup plus tard, ils feront, lui et son confrère Olivier Roy, au sujet des mouvements islamistes, certaines prédictions qui comporteront quelques lacunes et beaucoup de vérité. Face à un islamisme condamné à tourner en rond et à se cogner la tête contre les murs, Gilles Keppel décrira ce chaos comme étant « l'échec éthique d'un modèle devenu, désormais, un moment historique daté, dépassé et rejeté, et non plus une utopie porteuse d'avenir» (5). Beaucoup plus attentif aux forces insondables qui travaillent ces mouvements de l'intérieur, le politologue Olivier Roy aura des remarques beaucoup plus nuancées : «Le sens de la révolte n'est pas la réalisation de l'utopie mais de faire tomber l'illusion et les illusions du pouvoir. Le soulèvement ne prend pas place dans la temporalité de l'histoire, mais dans celle du rituel, donc de la répétition ; le rituel renvoie à une transcendance qui n'est pas réductible au pouvoir mais qui remet le pouvoir à sa place, c'est-à-dire à sa limite, à sa finitude. Le soulèvement rend libre parce qu'il est, à tout moment, possible.» (6) Si les spécialistes en anthropologie cognitive (Boyer-Atran) attribuent au phénomène religieux ou plus précisément à ce désir de croire cette prodigieuse force, carrément consubstantielle à l'humanité, avec en prime cette prédisposition à la «Récurrence» et à secréter cette «Dynamique des Coalitions» qui caractérisent, à juste titre, la pérennité du fait religieux, il me semble que les politologues ne feront que corroborer avec des outils empiriques probants et récents les thèses anthropologiques. Il serait, peut-être, utile de mettre en parallèle cette notion évoquée par le politologue Olivier Roy à propos de cette permanence dans le fait religieux : «rituel? répétition qui renvoient à une transcendance qui n'est pas réductible au pouvoir.» et la notion de « Récurrence» abordée par l'anthropologue Pascal Boyer ainsi qu'à cette notion inhérente à ce confus «Sentiment océanique» évoqué en métapsychologie. On pourra, de ce fait, cesser de se focaliser sur l'islamisme pour être davantage réceptif au fait religieux dans sa globalité et ses référents originels. On doit s'attendre, en permanence, à la résurgence du religieux dans la sphère politique et sociale - Peu importe la forme qu'il sera tenté de revêtir ou la structure sociale et politique au sein de laquelle il cherchera à se fondre pour apparaître plus fréquentable. La «Récurrence» et la «Virulence» (termes employés par Pascal Boyer) seront, à chaque fois, attisées par l'incapacité récurrente des pouvoirs en place à créer un progrès social porteur de valeurs pacificatrices (Justice- Ordre social ? Egalité ? Morale ? Bien-être?) Le politologue Gille Keppel fera une virée dans le monde arabe, à la suite d'un printemps qui n'a hélas pas été à la mesure des espérances, immergé, cette fois-ci, dans cette humanité arabe effervescente, il aura cette lucidité de porter un regard réajusté sur des événements qu'il avait, auparavant, étudiés depuis plusieurs décennies. Le politologue dira : «Ce combat passe, à mon avis, par le fait de retrouver dans l'observation de la société et de ces changements, les humanités. "C'est par les humanités qu'on va retrouver l'humanité». C'est une façon de lutter contre une approche, si j'ose dire scientiste, des sciences sociales, qui a complètement oublié les êtres humains. Et qui va vers le monde à partir d'équations pseudo mathématiques et du primat de l'économie, et qui donc rate toute la dimension culturelle qui se joue, aujourd'hui, avec énormément de force.» Gilles Keppel réservera à ses réflexions un titre fort judicieux : «Passion arabe». Assez bizarrement et bien avant lui, les anthropologues ne manqueront pas, eux aussi, de déceler dans le phénomène religieux ce qu'ils nommeront : « Les Ondes de la Passion». «Le sacré est une réalité non discursive. Il renvoie à une expérience subjective, incommensurable dont les arguties philosophiques ne peuvent rendre compte» (7) En 1978, un autre philosophe aux idées terriblement subversives et à la marge du politiquement correct, fera, lui aussi, une virée de reconnaissance en Iran. C'était le baptême de feu d'un islamisme sur lequel tous les regards seront braqués, dubitatifs et passionnés. Enthousiasmé, Michel Foucault formulera cette réflexion : «Quel sens, pour les hommes qui habitent l'Iran, à rechercher au prix même de leur vie cette chose dont nous avons, nous autres, oublié la possibilité depuis la Renaissance et les grandes crises du Christianisme : une spiritualité politique. J'entends déjà des Français qui rient, mais je sais qu'ils ont tort. (8) Bien évidement, plus tard, la suite des événements donnera, peut être, tort aux sympathisants du règne des Mollahs, néanmoins et encore une fois, l'autre versant de l'humanité offrira également des spectacles faits d'aberrations de toutes sortes. L'ordre nouveau qui s'est douloureusement bâti sur les décombres de l'obscurantisme religieux demeure hélas, en dépit de ses multiples perfections, bizarrement aussi anxiogène et criminogène. (L'incommensurable déprédation des Multinationales - La religion du profit avant l'homme - Les crises financières cycliques dues à une cupidité meurtrière -La fomentation de crises et de conflits armés, au sein de pays détenteurs de ressources naturelles en pérennisant le sous-développement et le règne de régimes absolutistes?) La psychanalyste Julia Kristeva aboutira aux mêmes conclusions que tous ces spécialistes dont le temps a fini par faire mûrir les réflexions :« L'intelligence pressée s'est efforcée de limiter la raison à la seule conscience calculante : la conséquence en fut que le savoir s'est désintéressé de l'expérience intérieure jusqu'à ignorer son autorité intrinsèque? Je sui persuadée qu'en prenant au sérieux ce besoin de croire pré-religieux, nous pourrions mieux affronter, non seulement les dérives intégristes des religions, dans le passé et jusqu'à aujourd'hui, mais aussi bien des impasses des sociétés sécularisées.» (9) L'anthropologue Scott Atran reproche aux athées américains la fermeture à la compréhension, il déplore ainsi que le religieux soit peu abordé par les chercheurs : «L'Académie des sciences des Etats-Unis compte plus de 90 % d'athées parmi ses membres.» C'est vous dire le peu de chances que nos religions convulsives puissent aisément susciter, un jour, des jugements apaisés, tolérants et dépourvus de parti-pris, de haine et de bellicisme. L'anthropologue ajoutera que : «Le 11 septembre a incité les ?nouveaux athées? à attaquer la religion, avec l'argument qu'elle serait néfaste pour la vie humaine. Mais nous devons, au contraire, essayer de saisir la complexité des religions et ne pas tirer de conclusion hâtive.» (10) Rongée et affaiblie de l'intérieur, par des pédophiles qu'elle s'est complu à dissimuler, ce n'est plus l'Eglise qui essayera de reformuler fièrement ad vitam aeternam un «No pasarán!» face à des gays et des lesbiennes qui voulaient avoir, eux aussi, leur sacrement, ce sera des laïcs, pas forcément des pratiquants mais seulement des personnes ordinaires, en qui perdurent encore les chuchotements de ce Dieu expulsé de nos agoras, des vicaires civils qui envahiront les rues pour crier leur indignation. Le Dieu de cette Eglise qui avait dit un jour : « J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis manifesté à ceux qui ne m'interrogeaient pas ». On aurait pu l'entendre dire, aujourd'hui, si on avait prêté l'oreille attentivement : « Je serais souvent défendu par ceux qui ne portent ni soutane ni qamis.» Et voilà comment d'une croyance, d'une morale, va surgir un mouvement de masse porté par des citoyens, dans une société fortement sécularisée, laïcisée depuis deux siècles. Cette foule qui, d'ordinaire, ne semblait pas présenter ces symptômes archaïques qui poussent vers ce genre d'«agrégation», réagira avec ferveur, profonde conviction et une intensité que l'on ne retrouve que chez ces communautés décrites plus haut et supposées plus enclines à succomber presque, sans raison, à cet irrésistible appel de la solidarité neuronale. On retrouve ici bien entendu dans ces milieux laïcs, ces «affects», la réactivation de ce «système d'inférence» cité par l'anthropologue Pascal Boyer et ses pairs, lorsqu'ils évoquent l'effet du phénomène religieux sur le système neuronal par le truchement de la «Contagion des idées» ou de la «Récurrence». L'un des plus zélés détracteurs de Dieu aura eu l'extrême sagacité de reconnaître, à sa manière, que le positivisme ressemble parfois à ce serpent qui se mord la queue : « Si l'on vient à apprendre aux hommes qu'il n'y a pas de Dieu très juste et tout-puissant, pas d'ordre divin de l'univers et pas de vie future, alors ils se sentiront exempts de toute obligation de suivre les lois de la civilisation. Sans inhibitions, libéré de toute crainte, chacun s'abandonnera à ses instincts asociaux, égoïstes, et cherchera à établir son pouvoir. Le chaos, que nous avons banni par un travail civilisateur millénaire, recommencera. » (11) * Universitaire Notes de Renvoi (1) Scott Atran, "In Gods We Trust. The Evolutionary Landscape of Religion", Oxford University Press, 2002, - p.9 (2) Scott Atran and Jeremy Ginges "Religious and Sacred Imperatives in Human Conflict", Science 336, May 2012 (3) Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, Livre troisième, 125. (4) Gilles Keppel, La Revanche de Dieu. Chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde, Paris, Le Seuil, «Points», 1991 (5) Gilles Keppel, Jihad, Expansion et déclin de l'Islamisme. Ed. Gallimard, 2000. p.355 (6) Olivier Roy, " L'Enigme du soulèvement ", Revue Vacarmes, Automne 2004, N°29 (7) Benoit Virole, "La complexité de soi", Charielleditions, 2011. (8) Michel Foucault, «Dits et écrits», III 1976-1979, Gallimard, Paris, 1994, p.694 (9) Julia Kristeva, «Cet incroyable besoin de croire», Paris, Bayard, 2007.p, 26-39 (10) (2) Scott Atran and Jeremy Ginges "Religious and Sacred Imperatives in Human Conflict", Science 336, May 2012 11 Sigmund Freud, "L'avenir d'une illusion", 1927, p.36. |