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Les déçus ou les frustrés des festivités du cinquantenaire de l'indépendance peuvent se consoler avec «Tout va bian», le dernier feu d'artifices de notre Slim national. Dans ce bouquin de 50 planches (+quelques autres, précise l'auteur), préfacé par Ghania Mouffok et postfacé par Tewfik Hakem, le bédéiste revisite à sa façon un demi-siècle d'histoire récente au cours de laquelle le pays a commis de belles choses mais aussi des tonnes de jolies conneries. Pour toute une génération, c'est en tout cas visible et plutôt que d'en pleurer, il vaut mieux s'en marrer. Histoire d'apprendre aux jeunes que, pour résister, il n'y a pas mieux que l'humour. Et qu'un anniversaire, ça se fête en se foulant la rate. A gorge déployée ! Entretien. Le Quotidien d'Oran.: Vous venez de publier à compte d'auteur un nouvel album de «50 planches» de bande dessinée pour fêter les 50 années d'indépendance nationale. Pourquoi avoir opté pour l'autoédition ? Slim: J'ai attendu longtemps avant de me rendre compte que l'auteur d'un livre, en général, est le dindon de la farce -le diffuseur, le libraire et l'éditeur sont nettement mieux rémunérés que l'auteur du livre. Il n'y a qu'à se procurer un contrat-type d'un éditeur pour comprendre. Bien sûr que pour arriver à éditer un livre ici en Algérie il aura fallu du temps. N'oublions pas que c'est un pays où il était interdit de publier quoi que ce soit because le monopole de l'Etat. Vers 1981, la SNED, via M. Abrous Outoudert, commence à lâcher un peu du lest, les premiers albums de BD commencent à sortir à la grande joie des amateurs mais, surtout des auteurs. La SNED les éditent, l'ENAG les imprime et tout le monde est content, on nous reverse des clopinettes. Mieux, l'ENAG (éditeur et imprimeur de l'Etat) publie vos livres mais ne vous donne aucun état des ventes, vous n'existez pratiquement plus en tant qu'auteur, vos droits d'auteur (encore des clopinettes) ne vous seront versés que si vous vous manifestez en faisant un long déplacement, sinon c'est le silence radio. Pour les Salons à l'étranger, n'y comptez pas, vous ne serez jamais invités à être du voyage pour signer dans le stand Algérie. Merci aux représentations étrangères qui ont fait connaître la BD algérienne de par le monde en invitant les créateurs à aller rencontrer leurs collègues étrangers. J'allais oublier de remercier Mme la ministre Khalida Toumi de m'avoir fait inviter au Salon du livre de Genève en 2007. L'édition à l'étranger, c'est la même farce : j'ai publié quelques titres et c'est kif-kif, à moins de sortir un best-seller, vous attendrez longtemps les clopinettes, à la différence d'ici, c'est que la loi exige des éditeurs qu'ils vous fassent parvenir un état précis de vos ventes chaque année. Ici, le «Socialisme» a nivelé tout le monde vers le bas. J'ai fait exactement ce qu'a fait l'écrivain Marc Edouard Nabe pour ces livres. Lui aussi s'est rendu compte de l'esbroufe et a stoppé net avec les «éditeurs», ses livres sont en vente en ligne sur son site et chez un cercle d»'amis commerçants» où ils sont en dépôt/vente. La plupart de mes livres aussi sont en vente en ligne via une interface américaine qui livre dans le monde entier (www.lulu.com), malheureusement pour mes lecteurs résidant en Algérie, ils ne pourront pas commander sans disposer d'une carte de paiement électronique valable (donc inutile d'essayer de payer avec la carte «Chifa», ça ne marchera pas). Q.O.: On se rend compte que pour l'instant vous êtes le seul artiste de BD à avoir publié un livre pour l'anniversaire du cinquantenaire de l'indépendance. Comment se fait-il donc que cet art que vous pratiquez, qui est si populaire et si utile notamment pour la diffusion des thèmes relatifs à l'histoire et à la mémoire nationale, soit, cette année, absent des commémorations et des hommages ? S.: C'est bien tombé, j'avais le quota de planches nécessaires pour sortir ce recueil dont les pages ont été publiées dans «Le Soir d'Algérie» (70 pages environs). Comme ça coïncidait avec la commémoration du cinquantième anniversaire de l'indépendance, j'ai pensé que ce serait une manière de voir que dans notre pays, nous abordons la plupart des sujets sans censure aucune, la preuve est là : y a qu'à lire mon album pour évaluer. Il est prévu aussi d'autres publications de BD à venir, n'oublions pas que cette grande commémoration dure un an. Q.O.: Dans les «50 planches» publiées, des thèmes nouveaux apparaissent comme celui de l'émeute, de l'expérience démocratique en Tunisie, des bars qui disparaissent du paysage urbain, de la panne de courant à échelle industrielle? L'impression qui s'en dégage est celle d'un monde et d'un pays sens dessus dessous. Est-ce la lecture que vous faites des cinquante années de l'indépendance ? S.: Ce que je raconte dans ce recueil, c'est une vision un peu apocalyptique, c'est l'humour qui le veut mais en même temps, je raconte les choses que vivent les gens de ma génération et ceux, plus nombreux, qui arrivent. A cause de la tragédie que nous avons vécue, j'ai dû quitter la scène pour me mettre à l'abri. Cette absence m'a coupé d'une génération, presque de nouveaux jeunes lecteurs. Je me suis rendu compte lors de signatures de livres, les jeunes venaient acheter des livres en me disant : «Je viens de la part de mon père qui n'a pas pu venir et il vous demande une petite dédicace». Mais j'ai vu aussi que des jeunes s'intéressent de nouveau à mes personnages dont je rappelle qu'ils existent depuis plus de quarante ans, car je rappelle que mon personnage principal «Zina» a été créé à Ben Aknoun en décembre 1964 (attention aux contrefaçons !). «Bouzid» a été créé en 1966, «Amzian» a été créé par le dessinateur Maz à ma demande en 1967. Cinquante ans d'indépendance, c'est finalement pas très long, je me souviens comme hier, de tous les rêves que nous avons faits pour notre pays. Nous avions foi en nos dirigeants de l'époque et à leurs choix malheureux pour nous. Aujourd'hui, il n'y a qu'à voir l'état du pays pour se rendre compte que ce n'est pas ça du tout qu'on attendait, et de la grosse déception qui s'en est suivie (je parle surtout pour moi et de ceux de ma génération qui me ressemblent). Mais que peut-on y faire ? C'est bien un beau pays mais c'est pas facile de faire un bon pays, ça va être la tâche ardue de ceux qui viennent après nous, il leur faudra se retrousser les manches et se préparer à vivre encore plus mal. Q.O.: La tonalité générale du livre, au-delà de l'humour, est quelque peu pessimiste. Il n'y a pas comme dans vos précédentes réalisations «un désir d'époque», quelque chose qui montre qu'on est heureux malgré la difficulté du temps vécu. Est-ce une sensation vraie ou fausse ? S.: C'est vrai, mais en même temps ce «pessimisme», c'est l'essence qui m'alimente en matière brute. C'est mon gasoil qui me permet la distance pour obtenir des lectures de biais. Quand j'ai commencé à faire de la BD, fin des années 60, c'était pas évident, il fallait raconter des histoires positives avec un brin de légèreté et partager avec les lecteurs les maigres écarts que le régime d'alors nous permettait. Aujourd'hui, il ne faut pas oublier que si nous sommes arrivés à ce point, il a fallu des sacrifices, des erreurs monumentales et pour certains, jouer avec la République. Aujourd'hui, l'histoire nous donne l'occasion de regarder en arrière vers 1962. Ah, comme c'était mieux avant ! Aujourd'hui, 2012, vite, allons prendre un l'ben bien frais avant qu'un wali ne fasse fermer la boutique. Q.O.: La meilleure lecture que l'on puisse faire du politique en général et de l'expérience démocratique en Algérie se trouve, selon moi, dans la planche intitulée «déclaration universelle des droits de l'Homme en Algérie». Tous les droits sont garantis mais avec restriction? N'est-ce pas ? S.: Cette planche prouve quand même que dans notre pays, en 2012, même si la mal-vie nous côtoie, on a le droit de s'exprimer librement et j'en ai profité moi qui me suis autocensuré des années durant. L'occasion m'est donnée ici pour faire une petite mise au point nécessaire: j'ai entendu et lu çà et là que la première caricature d'un chef d'Etat algérien avait était réalisée par un dessinateur algérien dont je tairais le nom. La première caricature d'un chef d'Etat réalisée et publiée en Algérie (en l'occurence M. Chadli Bendjedid) a été faite par votre serviteur pour la «Une» de l'hebdomadaire «Algérie Actualité» à la fin de l'année 1983 et début d'année 1984. Malheureusement, le premier tirage de 80.000 exemplaires a été stoppé net puis saisi et passé au pilon dans l'imprimerie d'El-Moudjahid sur ordre d'un type venu d'ailleurs. Heureusement, des exemplaires ont échappé et peuvent authentifier mes dires. Pour en revenir sur cette page intitulée «Déclaration universelle des droits de l'Homme en Algérie», j'en ai fait un joli poster à la demande de nombreux amateurs. Ce poster a déjà un grand succès mais, encore une fois, il n'y en aura pas pour tout le monde pour cause de tirage limité. Q.O.: Bouzid n'est pas en couverture de l'album où n'apparaissent que Zina et le «gatt» qui donne l'impression de se noyer même si on le voit nettement après, en deuxième de couverture du livre. Pour Bouzid, il n'y a, également, qu'une planche qui lui est consacrée. Est-ce l'heure de la retraite qui sonne pour le héros fétiche de Slim ? S.: Bouzid et Zina n'ont rien à voir avec cet album «Tout va Bian», qui est un peu spécial, ce n'est pas un album de BD proprement dit, c'est plutôt un agenda d'évènements qui se sont passés en RADP entre 2011 et 2012. Les possibilités offertes par les nouveaux instruments de travail dédiés m'ont permis de me venger sur ces nombreuses années à ne travailler qu'en noir et blanc. Merci à Photoshop, Illustrator et surtout à Fawri de me permettre de faire des choses agréables à feuilleter. Les lecteurs ne seront pas déçus. Bouzid reviendra en album, in cha' Allah, début 2013 -son titre DZ2 Le Mur-. Mes héros ne sont pas fatigués, ils continuent de sillonner la RADP pour le plaisir des Bouzidistes nombreux que je continue à croiser sur mon site www. zidyabouzid. com Q. O.: Un mot pour terminer cet entretien ? S.: Bonne fête de l'indépendance à tous ! |