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« L'orphelin n'est
pas celui qui a perdu son père et sa mère. Le vrai orphelin est celui qui a
perdu l'espoir. » Sagesse africaine.
LA REVOLUTION DE 54: ENTRE COMBATTANTS ET «RENTIERS» Dans toute révolution, il y a deux catégories de gens: les combattants qui la font et ses rentiers qui cueillent les fruits de sa prébende. Selon Youcef Sâadi, entre 1954 et 1962, il y avait 350 000 vrais moudjahidine qui ont accompli leur devoir de « Djihad » face à un ennemi supérieur en nombre et en matériel militaires. Ils étaient forts de leur foi, de la noblesse et surtout de la justesse de leur combat. L'Algérie avait pris, alors, rendez-vous avec l'Histoire. Un rendez-vous qui avait gonflé d'espoir « les indigènes » pour recouvrer leur droit imprescriptible et naturel: celui de redevenir « des hommes » avec toute l'acception de la notion de « radjla.» Ces moudjahidine se sont donné le serment de ne reculer devant rien ni personne jusqu'à la victoire ou? la mort. «Il est, parmi les Croyants, des hommes qui étaient sincères dans leur engagement envers Allah. Certains ont atteint leur fin. D'autres attendent encore sans jamais revirer ni revenir sur leur engagement.» Ce qui explique le nombre de soulèvements qui ont ponctué la présence coloniale depuis l'Émir Abdel Kader jusqu'au 1er Novembre 1954. FLN et ALN étaient, alors, constitués d'hommes sincères dans leur engagement envers Allah et la Patrie. Ils étaient charismatiques par leur droiture. Ils avaient pour unique ambition la libération du pays et pour seule arme leur foi en Dieu et en l'Algérie Ils ont, de ce fait, gagner la confiance de leurs compatriotes et mettre en échec une des armées les plus puissantes et préserver, à la fois, l'unité du pays et du peuple : Arabes, Kabyles, Chaouis, Terguis se sont battus et morts pour la même Algérie, une Algérie commune, une Algérie de tous les Algériens. Bref : pour «une Algérie UNE et INDIVISIBLE.» La Guerre de Libération fut l'ultime soubresaut des Algériens qui sonna, définitivement, le glas à la colonisation. «De guerre lasse», le gouvernement colonial a fini par reconnaître l'indépendance de l'Algérie en ce 5 juillet 1962 après une présence coloniale 132 années. Depuis, le temps algérien a pris deux dimensions: «l'ère pré et post-Indépendance.» LES NEGOCIATIONS D'ÉVIAN Mais auparavant, les négociations des accords d'Évian furent difficiles et serrées entre Krim Belkacem, alors ministre des Affaires Étrangères du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) et Louis Joxe et Jean Broglie, négociateurs français délégués par le Général De Gaulle. Le 18 mars 1962, ces Accords furent ratifiés. Le 19, De Gaulle proclama la fin des hostilités à travers tout le territoire. Le 1er juillet eut lieu le référendum de l'autodétermination. Les Algériens ont voté massivement en faveur de l'indépendance à hauteur de 99,7% (non 43% comme le 10 mai dernier). Le Président du GPRA Benyoucef Benkhada déclara, depuis Tunis le soir même, la victoire du peuple algérien. Le 5 juillet 1962 est née officiellement la République algérienne démocratique et populaire. Ce fut le couronnement d'une lutte implacable qui a fait sortir les Algériens de leur longue nuit coloniale durant laquelle ils n'ont jamais connu le sommeil du juste jusqu'à l'aube. Alors, le soleil de la liberté s'est point à l'horizon de leur cher pays. Ils ont, de facto, oublié toutes les souffrances et sacrifices consentis pour apprécier cette liberté rêvée depuis des générations et qui, maintenant, s'est concrétisée. Oui, après cinq générations, le peuple algérien s'est vu bel et bien affranchi du joug colonial. Il s'est rué dans les rues exprimant sa liesse. Une liesse que l'Histoire nationale a «chairement» imprimée, dans la mémoire collective, en lettres de feu et de sang. Le slogan scandé en chœur et du fond des cœurs était «L'ALGÉRIE EST ALGÉRIENNE.» Cette Révolution était une véritable «Ghazoua» de 7 ans et demi. Près de 8 millions de chouhada sont morts dans les champs d'honneur de 1830 à 1962. Si la colonisation donnait un froid sibérien au dos, le vent de la Révolution de 1954, au contraire, donna très chaud au cœur vu l'élan patriotique des Algériens tous amoureux de leur pays. Un million et demi ont donné ce qu'ils avaient de plus cher: LEUR VIE - (et quoi de plus cher ?) - Ils sont morts pour que vive l'Algérie, leur amour de toujours, leur amour pour toujours. « Malgré tout et au-dessus de tout «Bladi nabghik.» La Révolution a été menée par des «Novembristes nobles, intègres et surtout résolus» de la trempe de Boudiaf, Amirouche, Ben Boulaïd, Ben Mhidi, Didouche, Abane Ramdhan, Ali la Pointe, Hassiba Ben Bouali, les sœurs Baadj, Ourida Medad et bien d'autres anonymes parce qu'ils (elles) se sentaient les fils et filles chauds de leur Algérie, les dignes héritier(e)s de l'Émir Abdelkader, El Mokrani, Ben Badis, Lalla Nsoumer, la Kahéna ... L'esprit de la Révolution algérienne s'appuyait, pour l'essentiel, sur l'esprit des « ghazaouat » menées du vivant du Prophète (QSSSL), c'est-à-dire inspirée du Coran et de la Sunna: Le choix du jour : « lundi », jour de la naissance du Prophète et de la première Révélation du Coran. La rédaction de la plate-forme entamée par la formule liminaire coranique « Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux.» La consultation comme fondement avant toute action. La direction était collégiale et non individuelle. Il n'y avait pas de « Zaïm » mais un Conseil National de la Révolution (CNR) et un Conseil Consultatif et de l'Exécutif (CCE). Le nombre de combattants était réduit : 350 000 moudjahidine selon Youcef Sâadi. Face à une armada militaire impressionnante. « Combien de troupes réduites ont vaincu des troupes nombreuses par la volonté de Dieu.» 1962: LA CHASSE AUX POSTES PAR DES ARRIVISTES BALZACIENS Au lendemain de l'Indépendance, nombre de combattants avaient déposé les armes avec une insigne déférence. Croyant avoir accompli leur sainte mission du ?'petit djihad'' et libéré le pays, ils pensaient que d'autres, plus révérencieux, se chargeront de son édification et son développement à même de faire de l'Algérie un grande pays capable de rejoindre le concert des grandes nations développées. Erreur gravissime. A peine la guerre contre l'occupant fut-elle achevée, qu'une autre plus ravageuse avait commencé : celle des luttes intestines. Le djihad pour «El Watan» (la patrie) d'hier a cédé devant la lutte pour «El batane» (le ventre). Le clanisme, le tribalisme, le «archaïsme», l'arrivisme ont fait le reste. « La paix à vivre » est devenue « une peine [cauchemardesque] à vivre » (R. Mimoun). Le sang de nos glorieux martyrs n'avait pas encore séché dans les maquis que des clans politiques mafieux constitués par des hommes délétères se sont formés pour s'emparer du pouvoir, colonisant de nouveau le peuple et mettre main basse sur l'Algérie et s'approprier ses richesses en s'asseyant superbement, et sans le moindre scrupule, sur le serment des martyrs et les sacrifices du peuple. Les intérêts claniques l'emportent sur les intérêts nationaux. Trahison des clercs. En 1962, le nombre de moudjahidine est passé «mystérieusement» de 350 000 à près de 2 millions. Les MARSiens, plus nombreux alors que les Novembristes, se sont illico presto «occupés à occuper» le devant de la scène faisant croire au peuple qu'ils sont les libérateurs du pays à dessein de s'emparer des postes de pouvoir. Du temps où les militants sincères et téméraires se faisaient jeter dans la Seine par centaines, ces opportunistes véreux de tous bords étaient hermétiquement calfeutrés chez eux. Aujourd'hui, toute honte bue, ils se sont bâti de grandes fortunes en cultivant le culte du faste alors que les vrais moudjahidine, morts et vivants, se sont battus pour seul objectif de construire une grande nation algérienne. L'INDEPENDANCE SUBORNEE Dès le 5 juillet1962, l'Indépendance avait pris un mauvais tournant. Par conséquent, le train de l'Histoire avait dangereusement déraillé. La vraie famille révolutionnaire s'est tapie dans un mutisme de mort. L'Algérie combattante a abdiqué devant l'Algérie défaillante. Des responsables véreux, tous niveaux confondus sans science ni conscience, n'ont cessé de saigner à blanc le pays parce que sans foi ni loi. Moumène Khalifa (qui ne sera ni extradé ni jugé ni en Algérie ni ailleurs) n'en est qu'un sinistre modèle du système. Il n'est, somme toute, que l'arbre qui cache la forêt impénétrable de ramassis. Ce qui a provoqué ? «et continue de provoquer» - la ruine du pays. Ces nababs n'ont de compte à rendre à personne sinon à eux-mêmes. Ils ont fait du pouvoir une chasse gardée et de l'Algérie une propriété privée. Ils s'en servent sans mesure ni modération : barons du sucre, barons du fer, barons du ciment?. Le FLN de 1954 était l'artisan de l'Indépendance algérienne. Le FLN de 1962 est l'architecte de la déliquescence nationale. Quelle amertume ! Les Algériens ont perdu confian ce en leurs dirigeants parce qu'indignes. Ce qui explique le hiatus abyssal société/pouvoir qui ne cesse de s'élargir. Les intellectuels postindépendance n'ont pas hésité à dénoncer les dérapages et les abus des Caïds qui ont trahi le serment des martyrs et conduit le pays vers la déliquescence actuelle. Dans «La Répudiation», Rachid Boudjedra démontre comment le peuple est répudié de sa Révolution. Dans «Le Fleuve détourné», Rachid Mimouni explique le détournement de l'Indépendance au seul profit des princes et leurs suppôts excluant le reste du peuple et, particulièrement, son élite intellectuelle des grandes décisions du pays. Ce qui explique la déliquescence en stade avancé d'un État inerte en voie de décomposition. C'est-à-dire l'absence d'un État de Droits faute d'hommes droits : les harraga, la fuite des cerveaux, la corruption à tous les niveaux, le pillage des deniers publics, les détournements de fonds colossaux à donner le vertige?. Le pays vit un moment pathologique de son Histoire. L'État se stabilise dans son état de dysfonctionnement. C'est le règne du chaos et de l'anarchie qui sont devenus la règle immuable. Aucun responsable ne semble apte à prendre les décisions idoines à même d'y remédier, soit par impuissance, incompétence ou démission. Une situation sans issue. La nomenklatura évince sciemment l'intelligentsia. Celle-ci ne puits, donc, s'impliquer dans le système pour représenter «objectivement» l'idéologie sociale. L'échelle des valeurs s'est renversée chez nous: le pays est dirigé par la queue au lieu et place d'être gouverné par la tête. On ne gère pas un pays et son peuple comme on gère une boutique du coin. ACCOINTANCES PASSENT COMPETENCES En dépit de l'embelli financière, soit un pécule de 200 milliards de dollars (tant que vivra M. De Pétrole), la paupérisation du peuple algérien n'a cessé de prendre des proportions inquiétantes. Preuve supplémentaire que les richesses nationales sont inéquitablement réparties. Il y a eu libération du pays, mais pas liberté du citoyen. Ce dernier n'a toujours pas la liberté de choisir lui-même les candidats à même de le représenter dans les différentes institutions (APC, APW, APN) parce que les nababs ont décidé de lui imposer leurs hommes qu'il «faux» à la place qu'il «faux» au moyen de manipulations électorales qui sont devenues, hélas, proverbiales. Le citoyen a perdu l'espoir, notamment après l'assassinat de Boudiaf. On n'a pas tué l'homme seulement, on a assassiné l'espoir des Algériens les plus désespérés, notamment la frange juvénile. L'intellectuel, doté du pouvoir de la culture, se voit rejeté, en rade de la vie sociopolitique de sa cité, à la limite de la disgrâce ou, à tout le moins, traité de «mercenaire de la plume», alors qu'il était, durant la Guerre de Libération, «le Chevalier de la plume.» D'utile, il est ravalé au rang de futile. Terrible changement de statut !!! Une «hogra» qui ne dit pas son nom. Rappelons nos princes qu'un État n'est jamais fort par sa puissance militaire, mais plutôt par la force du savoir, de son équité, de sa Droiture et? de sa Justice sociale. Seul le savoir est à même de secréter une société rénovée et moderne, d'instaurer des règles d'une nouvelle socialisation et fraternisation au sein des Algériens, de s'attaquer aux injustices qui les accablent par «leurs tyrannosaures». Enfin d'être à l'origine du bonheur de tous et de chacun. Dès 1962, l'Algérie s'est vu livrée en pâture au clanisme, à l'incompétence, aux accointances, aux sans-mérites, aux «sans-Dieu.» Il est tout à fait clair que ces indus dirigeants produisent, aujourd'hui, la médiocrité, l'inefficacité et une stérilité tératologiques que notre génération et celles à venir paieront dans leur chair. La Révolution a réussi mais l'Indépendance a failli : 50 ans de mensonge politique, 50 ans de régression, 50 ans de médiocratie. «Que quoi sera faite l'Algérie dans 50 ans ?» Au lieu de placarder le portrait du Chef de l'État aux quatre coins du pays lui donnant une dimension d'ubiquité divine, il siérait plutôt d'afficher les portraits des martyrs. Ce qui pourrait avoir un impact psychologique, voire pédagogique sur les esprits, à la fois, des dirigeants et des citoyens pour plus de scrupule, de conscience nationale et d'abnégation. Pourquoi ne pas introduire la lettre de Ahmed Zabana, écrite à partir de sa prison de Barberousse, dans le cursus scolaire à l'instar de celle Guy Môquet, morts tous les deux à peu près le même âge et pour le même idéal : défendre, de leur vie, leurs pays respectifs ? « Le soleil de l'Indépendance » ne s'est pas levé pour tous les Algériens. Il a brillé uniquement pour la nomenklatura qui a su s'accaparer «indûment» les postes de responsabilité excluant tous ceux qui sont étrangers au sérail. L'AMERTUME L'Algé-Rien semble ramasser sa vie -ou ce qui lui en reste- par petits bouts comme s'il était des morceaux de lui-même tellement qu'il a perdu ses repères notamment ceux de Novembre 1954, cette grande «Ghazoua» du XX° siècle. Politique de l'autruche. Les Algériens sont traumatisés à telle enseigne de vouloir refaire la lumière de leur jour avec un autre astre que le soleil en ce que leur avenir s'est assombri. Avant l'Indépendance, tout le peuple voyait grand. Après, on lui a « coupé la vue » pour ne pas voir plus loin que les ambitions décrétées par l'hypocrisie et le mensonge politiques afin de le mouler dans la médiocratie au lieu et place de le façonner dans le moule de «l'intellocratie.» On a fait de ce peuple une horde pour justifier le déni de droit, de justice et de démocratie érigé en système: le printemps berbère, octobre 1988, la décennie noire en sont des exemples à méditer pour éviter le printemps arabe. On est en train d'assassiner l'Algérie à coup de maladresses à répétitions sans vouloir reconnaître les erreurs pour les corriger. L'agonie du pays a-t-elle commencé ? Aux vrais libérateurs du pays, le 5 juillet vous est éternellement reconnaissant. Gloire à nos tous nos martyrs (de 1830 à 1962) qui ont arrosé, de leur sang pur, l'arbre béni de l'Indépendance de l'Algérie qu'ils ont aimée plus que leurs âmes. Puissent-ils résider en paix dans le Vaste Paradis d'El Firdaous et que les responsables politiques, à leur mémoire, œuvreront pour le bien de la nation et le bien-être de leurs compatriotes pour que tous les Algériens deviennent des Algé-Rois chez eux. Peut-être les rejoindront-ils dans ce même Paradis. * Docteur ès lettres Maître de Conférences Université de Chlef |