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Le festival
panafricain de la culture, c'est bel et bien fini. De très nombreux artistes
africains (plus de 4000) ont été de la partie dans cette rencontre controversée
qui a vu des chanteurs comme Mory Kanté, Youssou Ndour, Alpha Blondy ou Manu
Dibango faire vibrer des milliers d'Algériens.
Alger a redécouvert les espaces africains à l'occasion d'une manifestation, trop chère à organiser, qu'aucun pays de l'Union africaine n'a daigné héberger, estimant le coût trop élevé et les bénéfices symboliques et matériels moindres. Des milliers de personnes venant de divers coins d'Afrique transportées et hébergées aux frais de l'Algérie, sans l'apport de sponsors étrangers, ont animé Alger pendant une quinzaine de jours dans cette deuxième édition, nous dit-on, alors que celle de 1969 date de quatre décennies déjà. Coût du FESPAC 2009: un peu moins de 100 millions d'euros. Pour, essentiellement, une question d'argent, le festival des arts nègres de Dakar, prévu en 2009, bénéficiant de soutiens financiers extérieurs, est appelé à être annulé ou à être reporté. Cette rencontre serait beaucoup plus une sorte d'espace promotionnel à des produits européens, sachant que livres, films, musique sont souvent produits à Paris, Londres, Bruxelles et dans d'autres contrées européennes. La grande partie des lieux culturels africains est marquée par l'obsédante présence des anciennes puissances coloniales, au niveau du financement et de la production. Ainsi, à titre d'exemple, la grande majorité des livres africains sont édités en Europe, le ministère de la culture est donc obligé d'acheter les droits ; le théâtre, le cinéma et la musique sont souvent produits par des structures européennes. Alger a paradoxalement organisé une rencontre européenne de l'Afrique sans aucune contribution financière européenne. La première question à laquelle devrait répondre tout organisateur d'une manifestation de ce type mobilisant de grands moyens financiers est relative aux motivations et aux objectifs qui semblent flous. Parler de « renaissance africaine » n'est nullement un objectif, mais une utopie qui relèverait de constructions trop peu opératoires. D'ailleurs, avant d'évoquer la « renaissance africaine », ne faut-il pas commencer ici en Algérie où, en dehors des activités ponctuelles, n'existe aucune vie culturelle permanente. Que gagneraient les Algériens sur le plan symbolique ? Aucune réponse concrète n'est apportée à cette interrogation. Certes, il y a eu beaucoup d'agitation, de bruit et quelques choses intéressantes durant une quinzaine de jours et c'est la fin d'une manifestation dont l'argent aurait pu servir à construire et à garnir nos bibliothèques, nos théâtres, notre cinéma... On dit très maladroitement que le budget de ce fespac est beaucoup moins important que celui du film Batman ou du contrat de Ronaldo. Absurde comparaison quand on sait que ces deux entreprises sont privées et d'ailleurs appelées à être rentables, c'est-à-dire à engranger des bénéfices sur le court et le moyen terme alors que le FESPAC puise ses fonds dans l'argent public, avec très peu de possibilités d'investissement symbolique. Ce fespac, c'est comme si le mouloudia d'Alger ou un autre club algérien avait engagé Ronaldo pour la somme de 100 millions d'euros. Maamar Farah, dans sa chronique au Soir d'Algérie, parle carrément de « dilapidation des deniers publics » alors que le peintre Hamza Bounoua qui devait réaliser le projet « Les légendes noires » avait annoncé son retrait, s'attaquant violemment, dans un entretien accordé au quotidien « Echorouk » à un des responsables de l'organisation, directeur de l'agence nationale de rayonnement culturel, déjà cible d'attaques de cadres du ministère de la culture, lors de la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe» l'accusant de « malversations», dans un document qui a largement circulé sur Internet. L'opacité de l'organisation de ce Fespac et son inutilité médiate rendent toutes les rumeurs vraisemblables. C'est là que devrait commencer, en principe, le travail d'investigation de journalistes sérieux qui, malheureusement, faute d'un background intéressant, tombent dans le discours de célébration. C'est vrai que certains d'entre eux sont rémunérés par le festival, comme quelques autres qui seraient concernés par des contrats juteux. Beaucoup de monde était à Alger alors qu'au même moment, des Algériens sont excommuniés. Ce qui n'est pas nouveau. Déjà, le dernier festival du théâtre professionnel a préféré recourir à des invités du Machreq, marginalisant les Algériens à tel point que lors du colloque sur la question palestinienne au théâtre, les contributions théâtrales les plus sérieuses et les plus accomplies de Kateb Yacine et de Nourredine Aba n'ont même pas été citées ni traitées. Volonté délibérée ? A Alger, a été organisée dernièrement une rencontre appelée « Okadia » de la poésie arabe, comme si l'Algérie devait être un appendice du Machreq et du Golfe. Déni d'algérianité ? Il y a aussi un festival du cinéma à Oran, dans un pays sans cinéma, présidé par celui qui a dissout les trois entreprises publiques de cinéma, avec plus de 300 invités et nombre de journalistes, programmé dans l'unique salle de cinéma, opérationnelle et, accessoirement, la cinémathèque. Tout a l'air d'une rencontre privée. L'université est absente de ce rendez-vous, boudée ou ne serait-ce que le résultat d'une méconnaissance du terrain culturel national. Aucune information ni appel à communications n'est affiché dans les espaces universitaires et publics algériens. Tout se fait en vase-clos comme si c'était une entreprise trop privée. Les quelques spécialistes du théâtre, de la littérature et de la culture africaine, dont quelques-uns uns enseignent en Algérie et dans des universités européennes sont censurés. Ce qui pose encore une fois, la question du destinataire de cette manifestation. Comment peut-on ignorer des noms aussi connus dans le travail sur les littératures africaines comme Maoui, Bensemane, Rich, Arab et bien d'autres ? Ainsi, le « deuxième festival international de littérature et du livre de jeunesse » a souffert de l'absence de spécialistes nationaux sérieux de la littérature africaine, à l'exception d'Amina Bekkat, professeure à l'université de Blida. Autre point faible : l'absence de spécialistes de la littérature, du théâtre et du cinéma d'expression lusophone, anglophone et de langues locales, réduisant l'Afrique à l'espace francophone et à la France. La rencontre sur la littérature africaine a eu lieu sans écrivains et éditeurs de l'intérieur de l'Afrique, il faut le faire. Le jeu est trouble, malgré l'enthou-siasme de la ministre de la culture qui n'arrête pas de déclarer que cette manifestation réveillerait une Afrique sérieusement embastillée, marquée par les profondes blessures d'un passé réfractaire aux mythes passéistes, vivant une grave dépendance, de sérieux conflits militaires et de profonds différends ethniques. C'est une rencontre médiatisée par la présence essentiellement française, même si l'Afrique est plus complexe et reste travaillée par la présence de traces portugaises, britanniques, hollandaises, allemandes. Aucune couverture sérieuse d'un événement qui ne parait pas attirer les faveurs des médias internationaux. TV5 s'est limité à quelques passages. Il faudrait dire qu'un «papier» dans le «New York Times», «Le Monde» ou CBS a plus d'impact en matière d'image que les écrits de nombreux journalistes regroupés, surtout si l'hébergement et le transport sont pris en charge par le pays organisateur. Les grands média interdisent souvent à leurs journalistes toute prise en charge la considérant comme contrevenant à l'éthique journalistique. Il n'y a pas eu, non plus, de grands articles, dans les grands titres africains. De nombreux journalistes algériens sont partie prenante de la manifestation, rémunérés par le festival et concernés par des contrats, ce qui, sur le plan déontologique, est une grave faute, ce qui décrédibilise leur propos et rend caduques leurs interventions. Ce n'est pas le nombre de participants qui devrait importer, mais la qualité des intervenants et leur apport symbolique à la mise en branle d'un discours culturel porteur. On a eu l'impression qu'on cherche, quarante ans après, à singer le FESPAC de 1969, organisé dans des conditions singulières. Le Fespac, dépouillé de sa dimension historique, devient une sorte de fait mythique, sclérosant et interdisant toute réflexion sur le présent, un espace anomique. Le mythe est un non-lieu, une illumination illusoire, le reflet d'une absence. Le souvenir est le cachot anomal d'un regard virtuel. Le regard essentialiste, anhistorique, déjà perçu dans l'organisation du défilé comme réfractaire à l'évolution historique, est en contradiction totale avec la vision historique défendue en 1969 par Mohamed Seddik Benyahia et contenue dans les textes-phares de Lacheraf et de Fanon. Aujourd'hui, se pose avec moins d'acuité la question de l'africanité qui, avec les temps qui changent, semble peu opératoire, d'autant plus qu'avec les indépendances et les déceptions qui s'en étaient suivi, de nombreux artistes et intellectuels avaient pris la décision de s'installer chez l'ancien colonisateur et de produire là-bas, fuyant les dictatures et la censure. On ne peut être reconnu dans son pays que si on est édité à Paris, à Londres ou à Bruxelles. Une fois consacré, l'auteur peut rentrer sans trop de risque. Mais parfois, la réputation et la consécration internationale ne semblent pas décourager les pressions et la persécution. C'est le cas de l'auteur nigérian Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature, qui fut condamné à mort par le pouvoir en place. Un autre écrivain connu, Ken Saro-Wiwa fut exécuté après une parodie de procès par le président Abacha, mort dans les bras d'une prostituée en 1998. La question de la réception est fondamentale et extrêmement complexe. Ecrivant dans une langue étrangère, du moins pour les pays d'Afrique Noire et du Maghreb, empruntant une forme extérieure (roman, cinéma ou théâtre), produisant dans des espaces étrangers, ils vivent gravement l'exil et l'altérité et ont parfois tendance à reproduire le discours de l'autre en tentant de répondre aux attentes de l'éditeur et du lecteur européen, obéissant ainsi au primat de l'appareil du discours européen. C'est dans ce contexte particulier et grave qu'est organisé le « festival panafricain de la culture », qui n'a pas trop séduit les Algériens, intéressés par des opérations concrètes, comme la mise en _uvre de bibliothèques bien fournies, des éditions de qualité, une production théâtrale et cinématographique sérieuse, des musées et des galeries d'art. De fortes suspicions marquent le territoire de ce festival panafricain où les folles rumeurs de «dilapidation» le disputent aux situations de rente. L'opacité du choix des invités et de la mise en œuvres du programme, en l'absence d'appels d'offres précis compliquent encore plus les choses. Tout acte, toute invitation, tout geste et toute absence non justifiés incitent aux questionnements. L'improvisation est le lieu le mieux partagé. Le programme de la manifestation n'a été confectionné qu'à la dernière minute, comme d'ailleurs les colloques sur le théâtre, le cinéma, les entreprises coloniales, l'anthropologie et Fanon, excluant souvent les grands spécialistes africains ou ceux qui ont travaillé sur ces questions. Reste l'énigme Lucie qui a finalement engendré sa copie, sa réplique. C'est devant des salles clairsemées que se sont organisées ces rencontres (expositions, colloques). Il faudrait ajouter que le festival du théâtre n'a finalement concerné qu'une partie de l'Afrique, celle francophone, excluant les autres aires africaines. Est-ce une position politique et idéologique ? La distribution de la rente se fait désormais ouvertement bruyante dans les espaces culturels publics. Ce qui fait partie de la programmation ordinaire d'un théâtre se métamorphose en festival avec invitation de pièces de troupes inconnues et de membres de jury de l'étranger, avec en sus, un commissaire du festival grassement rémunéré alors qu'il est le directeur du théâtre public. Jamais la vie culturelle n'a connu une telle pauvreté, mais paradoxalement, l'argent coule à flots à tel point que des théâtres viennent de créer un nouveau métier, celui de directeur de production (une autre rémunération pour le « patron » du théâtre) et des espaces de rente accessoires. Un débat sérieux, contradictoire et sans complaisance, sur le FESPAC est nécessaire. Le syndicat des éditeurs vient de connaitre une crise juste après la clôture de la manifestation. Le FESPAC, version 2009, est vécu comme une pâle copie de 1969. Le mythe, indépassable et insaisissable, ne peut refaire surface. Un regard sur le programme de 2009, l'équipe en charge de cette manifestation et une analyse du discours de la ministre de la culture fournissent une certaine idée d'une rencontre trop peu intéressée par les débats de fond secouant les sociétés et la culture africaine. |