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Suite et fin Lors de différents Conseils de gouvernement tenus durant toute l’année 2007, une nouvelle organisation est proposée par le ministère de la Promotion de l’Investissement (les deux grandes sociétés d’hydrocarbures Sonatrach et Sonelgaz, régies par des lois spécifiques n’étant pas concernées), articulée autour de quatre grands segments : des sociétés de développement économique qui relèvent de la gestion exclusive de l’Etat gestionnaire ; des sociétés de promotion et de développement en favorisant le partenariat avec le secteur privé international et national ; des sociétés de participation de l’Etat appelées à être privatisées à terme ; et enfin, une société chargée de la liquidation des entreprises structurellement déficitaires. Courant février 2008, cette proposition d’organisation, qui n’a pas fait l’unanimité au sein du gouvernement et certainement au niveau de différentes sphères du pouvoir, est abandonnée et une commission, dont les résultats ne sont pas connus à ce jour, est créée pour déterminer la future organisation du secteur public économique, la ventilation des différentes sociétés de participation de l’Etat (SGP), qui relèveraient soit de la tutelle de chaque ministère, soit du ministère de l’investissement, ce qui suppose de revoir sa dénomination puisqu’un décret gouvernemental ne peut remplacer un décret présidentiel. Ces changements d’organisation périodiques démobilisent les cadres du secteur économique public, et même les investisseurs locaux et étrangers montrant clairement la dominance de la démarche bureaucratique au détriment de la démarche opérationnelle économique, assistant à un gaspillage des ressources financières et à un renforcement de la dynamique rentière. TERRORISME BUREAUCRATIQUE ET ECONOMIE RENTIERE - Le blocage essentiel de l’investissement local et étranger n’est-il pas le terrorisme bureaucratique qui se nourrit du manque de visibilité et de cohérence dans la réforme globale ? Et ce nouveau juridisme est-il suffisant, sans objectifs politiques précis et sans cohérence et visibilité dans la démarche ? - A-t-on mis en place d’autres mécanismes pour éviter que les investisseurs soient pénalisés par les différentes tracasseries administratives (registre de commerce : plusieurs mois alors que dans des pays normaux cela met quelques heures), banques qui sont des guichets administratifs, fiscalité fonctionnant sur les méthodes du XIXe siècle, douane, terrain au niveau des collectivités locales (le cadastre n’étant pas à ce jour réactualisé et le problème du foncier non résolu malgré certains discours). Car le parcours du combattant, lorsqu’on n’a pas fait faillite dans les méandres bureaucratiques, dure plus de 3 années entre le moment de la maturation du projet et sa réalisation, alors que dans tous les pays du monde, l’écart ne dépasse pas quelque mois, pour ne pas dire quelques semaines. - A-t-on analysé les impacts des différents assainissements des entreprises publiques sans résultat ? Plus de 40 milliards de dollars entre 1991 et 2008, de quoi créer tout le tissu industriel existant mais cette fois compétitif ; le développement écologique, fondement du développement durable avec ces unités polluantes, ces constructions dans la majorité des secteurs selon les normes dépassées et ce taux d’urbanisation effréné (des éco-pôles mais en réalité de vulgaires hangars, comme l’a souligné le Président Bouteflika lui-même), avec les risques de ghettos qui enfanteront inéluctablement la violence. - A-t-on analysé objectivement l’importance de la sphère informelle drainant plus de 40% de la masse monétaire en circulation, employant plus du quart de la population occupée, fonctionnant dans un espace social de non-droit, dont la croissance est proportionnelle au poids de la bureaucratie et de la corruption et les moyens de l’intégrer loin des mesures administratives autoritaires ? - S’est-on soucié de la connaissance du bouleversement mondial où les capitaux iront s’investir là où les obstacles politiques sont mineurs, d’un grand espace socio-économique, d’où l’importance de l’intégration maghrébine au sein de l’espace euro-méditerranéen, et des impacts réels de notre adhésion à la zone de libre-échange avec l’Europe (applicable depuis le 1er septembre 2005) et du futur accord avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les moyens de s’y adapter ? Et qu’en sera-t-il du rôle effectif de l’Algérie au sein de l’Union pour la Méditerranée, avalisée à Paris le 13 juillet 2008 ? Et donc est-il réaliste de vouloir opposer des Etats, alors qu’il n’existe pas de divergences fondamentales en termes géostratégiques entre les Etats-Unis et l’Europe mais, pour paraphraser les militaires, seulement des tactiques divergentes à court terme ? Et notre diplomatie ne devrait-elle pas s’adapter à cette nouvelle donnée différente fondamentalement des années 1970, période de la guerre des blocs avec l’implication plus importante des organisations non gouvernementales crédibles et non créées artificiellement ? POUR UN DISCOURS DE VERITE - En fait, l’Algérien ne vit-il pas un drame shakespearien, en pensant à ce monde imaginé par le célèbre écrivain Kafka, dominé par l’absurde et l’irrationnel ? L’intelligence ne suppose-t-elle pas l’adaptation aux situations, où la débrouillardise, les passe-droits sont devenus la règle, expliquant fondamentalement cette corruption, cette maladie du corps social qui tend à se généraliser et à se socialiser ? Et c’est là que nous retrouvons les fondements des oeuvres à la fois du grand philosophe allemand Kant et des anthropologues sur la rationalité qui est relative car historiquement datée, et du psychiatre Freud. Cette situation a été amplifiée par la période tragique de l’histoire de l’Algérie de 1990 à 2000, où la jeune fille ou le jeune garçon de 10 ans en 1990, qui ont maintenant 27 ans, ont vécu dans un cadre de violence, de haine, dont les effets psychologiques dévastateurs sur une large fraction de notre population sont immenses. Combien de milliers d’exemples peuvent être cités qui peuvent être généralisés dans maints segments de la sphère sociale, loin des schémas théoriques des bureaux climatisés des bureaucrates algériens. Ce divorce Etat-citoyens est favorisé d’ailleurs par l’effritement du système d’information, où nous assistons à un dialogue de sourds. Et comment ne pas se rappeler cette image de la télévision algérienne où, à une question sur le taux de chômage, un ministre affirmera que les enquêtes donnent 11%, et qu’un journaliste lui répliqua : êtes-vous sûr de vos données ? Oui, répond le ministre. C’est à quoi le journaliste répliqua, sous l’oeil amusé de la présentatrice, non convaincue d’ailleurs, qu’il irait faire un tour dans les quartiers d’Algérie et qu’il dirait aux chômeurs que dorénavant leur appellation n’est plus chômeur mais travailleur. Car, comment avec un taux de croissance avoisinant 2/3% entre 2006 et 2008, peut-on afficher un accroissement de l’emploi utile supérieur aux années précédentes, inférieur au taux de croissance de la population active, où le taux était 5% ? Cela contredit les règles élémentaires de l’abc de l’économie. Cela ne fait-il pas rappeler, vers la fin des années 1980 et après la grande pénurie que connaissait le pays après la crise de 1986, l’ENTV, où un ministre algérien avançait avec assurance que le marché était saturé selon les données en sa possession, la présentatrice lui rétorquant en lui demandant s’il a fait un jour le marché et que la population algérienne ne mangeait pas les chiffres... Pourtant, l’Algérie reste un pays dynamique et plein de vitalité. A l’instar de tous les pays du monde qui fêtent la victoire de leur équipe de football, comment et sans chauvinisme ne pas se réjouir de la victoire brillante de l’équipe algérienne à la fois sur l’Egypte et sur la Zambie. Et ce, sans chauvinisme ou xénophobie car les équipes zambienne et égyptienne n’ont pas démérité. Comment ne pas constater l’enthousiasme de cette jeunesse qui a déferlé de joie à travers toutes les rues de l’Algérie, loin de toute manipulation politique et brandissant avec joie et fierté l’étendard, le drapeau Algérie. Et comment donc ne pas penser un seul instant qu’elle constitue une force dynamique de développement, beaucoup plus importante et pérenne que toutes les ressources en hydrocarbures. Comment enfin ne pas penser à son devenir car l’Algérie dans trente (30) ans, c’est-à dire demain, avec une population qui approchera les 50 millions d’habitants, avec l’épuisement des ressources en hydrocarbures. L’âge moyen de nos filles et garçons d’environ 20 ans en 2009, sera dans 30 ans de 50 ans et, entre-temps, ayant une exigence comme tout Algérien d’avoir un emploi, un logement, se marier et donc avoir des enfants, donc une demande sociale croissante. Aussi, il faut à tout prix éviter d’avoir du mépris pour ce grand peuple et le considérer comme un peuple mineur, car la jeunesse algérienne est capable de miracles, pour peu que les gouvernants lui tiennent un discours de vérité grâce à une nouvelle communication et une gouvernance rénovée. Car, en raison de la défiance nourrie à l’endroit du militantisme partisan et ses satellites, et cela n’est pas propre à l’Algérie, comme le montre le fort taux d’abstention aux élections européennes ce mois de juin 2009, les formations politiques actuelles ont de plus en plus de difficultés aujourd’hui à faire un travail de mobilisation et d’encadrement efficient, de contribuer significativement à la socialisation politique, et la solution de facilité est de bureaucratiser la société qui constitue un facteur paralysant. Ce sont là des raisons suffisamment importantes pour envisager sérieusement de réorganiser le système partisan et la société civile en vue de leur donner les moyens dont ils ont besoin pour remplir la fonction qui est la leur dans tout système politique démocratique. Car, notre analyse montre clairement que le fondement du système entre 1962 et 2009, reposant sur la rente, reste le même, impliquant donc une profonde mutation systémique si l’on veut lever les contradictions et être au diapason du monde moderne. La composante des partis au pouvoir est sensiblement la même, du fait de l’éclatement du parti unique le FLN depuis 1990, entre trois tendances, la tendance nationaliste conservatrice, la tendance nationaliste dite moderniste et la tendance nationaliste dite islamique, l’opposition véritable étant marginalisée et les nombreux micro-partis insignifiants, souvent instrumentalisés par l’administration, ne se manifestant qu’au moment des échéances électorales, en contrepartie d’une fraction de la rente. C’est que face aux mutations mondiales et internes à la société algérienne, cette jeunesse «parabolée» a une autre notion des valeurs de la société. Cela se constate à travers l’éclatement de la cellule familiale, la baisse progressive du poids des tribus, de certaines confréries religieuses et de certaines organisations syndicales (ces dernières mobilisant uniquement pour des revendications sociales et non pour des actions politiques), du fait de discours en déphasage par rapport aux nouvelles réalités mondiales et locales. En fait, cela renvoie à la refonte de l’Etat, conciliant la modernité et la préservation de notre authenticité, dont l’objectif stratégique serait plus de liberté, d’efficacité économique, de justice sociale et de moralité des institutions. Le passage de l’Etat de « soutien contre la rente » à l’Etat de droit « basé sur le travail et l’intelligence » est un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la Nation et l’Etat. Car, sans la prise en compte de ces éléments stratégiques et les moyens d’y faire face concrètement, loin des discours démagogiques, il y a un fort risque d’un discrédit des discours qui accélérerait le divorce Etat/citoyens qui aura un impact évident sur le développement futur du pays. Mais il ne faut pas avoir une vision essentiellement négative. N’oublions jamais ce qu’était l’Algérie en 1962 : totalement dévastée, avec combien de médecins, d’avocats, d’ingénieurs. Où habitaient la majorité des Algériens ? Tout ce qui a été fait depuis l’indépendance politique à nos jours, tant durant les périodes de présidence de Boumediène, Chadli, Bouteflika, car la période 1963/1965 (juste à la sortie d’une guerre contre la colonisation) et la période tragique 1990/1999 a été une période de survie pour la nation algérienne, où il est utopique de parler de développement, n’est pas totalement négative: beaucoup d’aspects positifs mais également beaucoup d’aspects négatifs qu’il convient maintenant de corriger pour les générations futures. CONCLUSION : L’ALGERIE A TOUTES LES POTENTIALITES POUR DEVENIR UN PAYS PIVOT AU SEIN DE L’ESPACE EURO-MEDITERRANEEN C’est donc le destin de l’Algérie qui se joue actuellement. Car par ses luttes quotidiennes, l’ensemble de la population algérienne est consciente des stratégies sociales des différents acteurs de ceux qui veulent préserver l’ordre établi de la rente et des autres acteurs qui veulent un changement profitable à l’immense majorité pour lui redonner un début de lueur d’espoir afin de briser ce pessimisme généralisé et permettre ainsi une dynamique durant ce cycle descendant visionné par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, cycle qui répond à l’implacable logique historique du dépassement nécessaire de toute société anomique. Car, le cours de l’Histoire, que certains tenteront de freiner mais en vain, voulant préserver les intérêts de la rente, est irréversible pour une société basée sur plus de justice sociale, plus de liberté, une participation plus active de la femme à la gestion de la Cité, un Etat de droit et de démocratie tenant compte des nouvelles mutations mondiales. D’où l’importance à mes yeux de l’intégration maghrébine au sein de l’espace euro-méditerranéen, tout en n’oubliant pas le continent Afrique, tenant compte du nouveau défi écologique et des énergies alternatives en ce monde impitoyable où toute Nation qui n’avance pas recule. C’est dans ce cadre qu’entre le fondement de cette analyse qui rejoint celle des grands philosophes, notamment Friedrich Von Schiller, pour qui «on ne trouvera la totalité de caractère que chez le peuple qui sera capable et digne de transformer l’Etat de nécessité en Etat de liberté», et d’Aristote pour qui « toute personnalité immorale ne peut prétendre parler ou agir au nom de la Cité». En bref, pour ma part, je considère que le rôle de l’intellectuel ou du journaliste n’est pas de produire des louanges par la soumission contre-productive pour le pouvoir lui-même en contrepartie d’une distribution de la rente, mais d’émettre des idées constructives, par un discours de vérité pour faire avancer la société selon sa propre vision du monde. * Professeur d’université en management stratégique (Economiste - Algérie) |