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1ère partie
«?et la langue arabe dont la qualité poétique ne pouvait alors, pour moi, être perçue que dans les versets coraniques qui me restent chers» * Au sortir d'un long calvaire, et après les vives/intenses clameurs célébrant le recouvrement des indépendances, l'on assista presque immanquablement, dans nombre de pays nouvellement affranchis du joug colonial, à un certain remue-ménage. Ce qui eut pour effet immédiat de pousser les chantres de la francophonie à lui faire changer conjointement de ton, de tactique et de stratégie. Ainsi, tout en ne niant point avoir fait le dos rond et connu un zeste de «penaudité» durant cet intermède, voici voilà que la francophonie se veut (au détour de quelques conclaves agencés) redorer le blason en allant même jusqu'à inviter des pays jusque-là plus ou moins réfractaires à rejoindre le box (au panonceau expressément cocardier), pour l'incontournable et immanquable photo/album de famille. Ladite francophonie évolua donc conséquemment et se permit même de prendre - complaisamment- des airs plus ou moins «blédards» pour toucher, directement ou indirectement, la corde sensible de quelques derniers mohicans, jusque-là encore rétifs à rallier benoîtement son chapiteau-sanctuaire. En sachant par ailleurs, comme cela a souvent été mis en évidence, que le champ culturel au sens large (scientifique, littéraire?), loin d'être neutre, a pour particularité de faire concentrer, polariser et continuellement converger vers/sur lui des pressions ou convoitises plurielles (et d'abord celles de nature fondamentalement politiques/idéologiques), il est permis de dire à cet égard que tout le débat orbitant actuellement en Algérie autour de l'arabisation - notamment celle des sciences sociales dont nul n'ignore par ailleurs que, un peu partout, elles sont habituellement étiquetées comme des sciences «énervantes» et/ou «dérangeantes»- , est comme pris constamment dans un impressionnant et inextricable engrenage où, bien que conséquente, la part du scientifique est pour ainsi dire souvent menue. Cet arrière-fond, dont il est aisément loisible du reste de deviner la présence (comme sur une authentique scène de théâtre), ne saurait être perdu de vue et doit par conséquent être pris en compte pour comprendre la portée des enjeux indubitablement collatéraux, y compris donc ceux référés à la donne de la francophonie, à ce thème des plus sensibles et qui, probablement, demeurera tel pendant encore des décades ou des décennies. LA FRANCOPHONIE?COMME UN PHENIX BLASE SE RELEVANT A DEMI-MOT DE SES CENDRES? Or donc, après un bémol remarqué et constaté en droite ligne du mouvement de décolonisation, voici-voilà que la francophonie se réinstalle à son aise pour s'adonner à des parades jubilatoires, séances de mondanités colorées et autres exercices de styles dans des espaces autrefois considérés - à tort- comme définitivement siens. D'une certaine manière, ladite francophonie garde un arrière goût de qualificatif enrobé et praliné comme un pain de sucre qui, à première vue et au tout premier abord, excite encore, semble-t-il, bien des aspirations, des tentations même. Des vocations nouvelles, subites, -instantanément- «réchauffées», «relancées», voire réactivées, chez nombre de chambellans métissés ou «créolés», dont certains ne se privent même plus de se laisser aller à rêver de porter un jour l'habit vert damasquiné et l'épée ciselée qui sied avec. C'est prouvé, il a suffi d'une telle récompense permettant de pénétrer dans l'intimité du cercle «coupolé» pour que l'hymne emblématique et rutilant de la négritude (si puissamment déclamé et entonné naguère au large de l'île de Gorée, de Pointe-à-Pitre ou Port-au-Prince) soit prestement rangé, remisé en sourdine, pour ne pas dire délibérément «encadré» par les nouveaux refrains prescrits, aujourd'hui en vogue. C'est que les conventions et abécédaires protocolaires en vogue sous la coupole en question ont, c'est connu, un cérémonial convenu, du reste si précieusement et pompeusement entretenu que seules les joutes distinctement légitimistes s'en trouvent, en définitive, ostensiblement encensées ou à dessein consacrées. Sans oublier le travail de blocage entretenu à travers les méandres de circuits médiatiques prestement mobilisés pour servir, en sous main, de tels desseins. Ceci dit, il est non moins connu que les porte-voix sont aujourd'hui concentrés en des lieux et entre des mains plus proches, géographiquement parlant, de la Tour Eiffel que des sites sus évoqués et que l'accès s'y trouve de plus en plus contingenté et «cerbérisé». Par maints égards, la francophonie a un goût de déjà vu, déjà entendu et déjà connu. En effet, la photo de famille actuelle rappelle curieusement d'anciennes et un peu vieillies cartes postales où les porteurs tantôt de burnous rouges, tantôt de chapeaux/chéchias des tropiques prenaient tous leurs aises en ayant souvent passé des jours et des jours à lisser leurs moustaches finement étirées, afin de leur donner le profil seyant en pareille circonstance. Aujourd'hui donc, le chapiteau de la francophonie rouvre toutes grandes ses lourdes et larges portes tantôt coulissantes, tantôt à double battant. Et c'est tout juste si n'y sont pas conviés, comme dans les lancinantes et pesantes processions antiques, les sonneurs de trompe et de gong, coiffés/pavoisés de crinières amovibles aux couleurs déclarées de l'empire, aujourd'hui déchu et désaffecté. C'est qu'il a, en plus, pour caractéristique d'être extensible et modulable à merci / à satiété pour accueillir le moment jugé opportun, tel un immense et bedonnant vaisseau mythique, de nouveaux passagers pour une croisière souvent nommément désignée par l'épithétique appendice: «immortelle». On croit cependant percevoir chez quelques uns des récents candidats potentiels au galon de futur récipiendaire un air plus que fébrile de vouloir s'y engouffrer à leur tour, emmitouflé le cas échéant, de la «verdâtre» cape, en se croyant dès lors et par la même occasion assuré de voir leur émargement définitivement consigné au temple de la francophonie. Pour certains, l'histoire se résume à se voir encadré et entrelacé dans un tableau, tel que méticuleusement configuré et agencé aujourd'hui par une certaine république, la cinquième dans son ordre et son genre, si le compte est le bon? De toute évidence, beaucoup parmi les divers prétendants à une telle ballade/gambade accompagnée dans l'Arche académique (comme définitivement emportés par un léger et prégnant vague-à-l'âme, un tantinet mystique presque), n'y vont pas par le dos de la cuillère et s'épanchent, sans retenue convenue, en descriptions abusivement «tralalalesques». Mais quand prospère le «franco dandysme», au point de finir par prendre même le pli d'une quasi- seconde nature, que n'oseraient-ils donc ne pas faire certains en vue de s'assurer ses bonnes grâces et pouvoir se procurer un jour le fameux ticket, sonnant et trébuchant, donnant justement lieu à son emblématique cérémonial et solennel accès ? La toute récente, remarquée et fort méritée admission de l'écrivaine algérienne Assia Djebbar, connue pour ses œuvres prolifiques (littérature, cinéma), a été accueillie comme il se doit par des commentaires élogieux, chaleureux, exubérants et même, pour certains du moins, éminemment volubiles comme cela a pu être relevé dans quelques titres de la presse de notre «iqlimterritoire» national. Les différents spécimens concoctés en la circonstance portent témoignage de la portée de l'événement et sa perception incontestablement orientée, «marquée» pourrait-on dire aussi, dans le contexte duel qui est décidément le nôtre, où voisinent comme chacun le sait des chantres attitrés de deux langues désormais contiguës dans l'espace en question. Pour autant, il est bien difficile de ne pas préjuger en l'espèce, du moins pour certains d'entre eux, d'une patine distinctement et distinctivement beni-oui-ouiste ainsi que d'adjacents calculs, du reste facilement identifiables, pour ne pas avoir à courir le risque insensé d'éventuels étiquetages désavantageux dans une nomenclature tenue en arrière-fond d'une quelconque chancellerie fort ombrageuse et tatillonne par ailleurs dans ses standards inclusifs. L'on peut deviner, du reste, à quel point les sensibilités restent étonnamment vives, frileuses même, et les susceptibilités continuellement à fleur de peau. Ce qui, soit-dit en passant, n'empêche cependant pas de constater de fréquents et redondants impairs dans bien des gazettes locales, comme d'ailleurs nombre de leurs consœurs hexagonales, et autres coquilles/bourdes d'une flagrante évidence, voire impardonnable inconvenance, quant à l'usage même de la langue de Molière, Racine et Voltaire réunis. Télévision et radio ne sont pas en reste puisque le simple bulletin météo est à lui seul significatif des fréquentes fausses notes - stylistiquement parlant- souvent tirées par les cheveux. Pour autant, il n'empêche de constater combien il est loisible de faire le décompte impressionnant de formules de bienséance et de politesse hautement encensée pour séduire et agréer à la fois les cénacles patentés dits du cercle francophoniste. A voir aujourd'hui les candidats se bousculer, nombreux et un peu excités, pour taquiner la rime ou la prose dans le lien vernaculaire molièrien/moliéresque, l'on comprend en même temps pourquoi se trouvent boudées, confinées, les féeriques arabesques qui ont, en leur temps, tant fasciné, subjugué, charmé et envoûté le mirifique et fulgurant esthète du nom de Sibawayh ou d'autres encore, tels Al Djordjourani, Al Farahidi. Encore une fois, est-il besoin de l'affirmer, les choix semblent apparemment tranchés dans bien des états d'esprits et moules cognitifs. Aussi, s»il est des calculs d'épicier à faire valoir, c'est bien en ce domaine précis, c'est-à-dire celui de la langue, qu'il convient de s'en tenir à un inventaire détaillé, pointilleux, méticuleux et minutieux puisque de toute évidence nos proches vis-à-vis se montrent fort précautionneux et besogneux, en la matière, notamment avec la syntaxe nordique voisine connue, souvent froidement désignée (par le truchement d'une ironie mordante) sous le sobriquet de la perfide Albion. Point n'est besoin de souligner du reste combien la langue est considérée comme un puissant et déterminant facteur d'identité. En outre, s'il fallait aussi parler de «butin de guerre», cela équivaudrait-il pour autant à se défaire, sans ménagements et sans conditions, d'une corne d'abondance et d'un carquois, hautement stylisé/perfectionné, que l'on porte déjà sur soi et même en soi ? Peut-on alors raisonnablement nier qu'il existe encore aujourd'hui des partis-pris, œuvrant le plus souvent en sourdine, pour entraver le légitime et nécessaire redéploiement de la langue arabe et, en conséquence, la maintenir en situation de déclassement et de déshérence, pour ne pas dire d'abandon pur et simple? Presque en jachère en quelque sorte, c'est-à-dire non «travaillée», « enrichie» et régulièrement revitalisée, renouvelée, par des apports continus résolument fécondants, revigorants et énergiquement stimulants qui, seuls, sont à même d'assurer la pleine croissance des éléments «collectés» «implantés», «adjoints», «greffés» ou tout simplement «disséminés» ainsi que les non moins providentiels et inestimables rendements collatéralement espérés. En outre, aurait-on oublié si vite que cette langue arabe si décriée aujourd'hui se prévalait au quatorzième siècle d'un statut véhiculaire en tous points identique, sinon mieux, à celui prôné par l'anglais actuellement et qui lui permit alors d'atteindre «le stade le plus élevé de la maturité intellectuelle et du culturel» ? Ce dernier qui, au demeurant, ne dissimule point les innombrables et diversifiés emprunts de la souche considérée. C'est pourquoi, il est permis de dire que la langue arabe reste et restera, envers et contre tous, une langue majeure, insigne et singulièrement prééminente. Ceux qui, promptement et presque invariablement, ont pris coutume de lever un doigt accusateur à l'endroit de cette langue pourtant si riche, si élégante et raffinée (la langue du Saint Coran, de surcroît), et dont même le français se trouve redevable sur plus d'un plan comme le reconnaissent explicitement tous les linguistes racés, ont-ils réellement développé et activé comme il se doit les procédures instrumentales, opératoires, afférentes en vue de son acquisition et assimilation ; ou bien souhaiteraient-ils rester ainsi, invariablement, confinés et figés dans un face-à-face monolinguistique, qui signifierait de fait la valorisation d'un monde culturel et l'évacuation/exclusion in fine d'un autre ? Et, en définitive, n'y aurait-il pas lieu ici de présupposer aussi comme une sournoise et fureteuse volonté visant carrément à «satelliser» la langue arabe par rapport à une langue française formellement plébiscitée par de poussifs «contorsionnistes» au rang surfait, gonflé, et «gavé» même, de langue centrale ? En ne se privant point de lui trouver, pour la circonstance et dans la foulée de leur rhétorique strictement agencée, même un côté «croustillant», disent-ils? Questionnements apparaissant comme d'autant plus légitimes que, compte tenu de pratiques courante référées à la vie quotidienne, l'impression dominante donne à penser que certains semblent à ce point allergiques quant à l'usage même de la langue arabe (comme langue tout court), allant jusqu'à ressentir quelque part comme un coupable sentiment de pudibonde honte ou gêne confuse simplement en la côtoyant de près ou en s'affichant nommément dans son registre déclaratif tout en se montrant éminemment volubiles en coltinant la syntaxe française? C'est dire, en pareil cas, à quel point nombreux sont encore ceux à rencontrer les plus grandes difficultés quant à entretenir un rapport serein, apaisé et surtout décomplexé avec cette langue, parce que tout bonnement ce rapport en soi est loin d'être établi, laissant ainsi supposer à quel point bien des relais s'activent à poursuivre à son endroit une insidieuse politique de cantonnement et à en maintenir la nature doublement ambivalente et ambigüe. C'est pourquoi l'on ne peut s'empêcher, dès lors, de conclure que faisant suite aux implacables et inexorables «affrontements culturels dans l'Algérie coloniale», tels que minutieusement décrits et analysés par Yvonne Turin, ont donc fini par succéder d'autres modalités, probablement plus subtiles mais n'en impliquant pas moins quasiment la même gamme d'enjeux collatéraux ou superposés entre les deux idiomes précités. En clair: le crédo «francophoniste», loin d'être une simple vue de l'esprit, renvoie en réalité à une âpre, inlassable et inavouable guerre de position aux fins substituées de s'assurer - sur le terrain- de nouveaux «pré-carrés» prêts à l'emploi au détriment d'une langue arabe visiblement toujours redoutée et, en conséquence, implacablement traquée, terrassée et combattue, en raison sans doute de l'ineffable charge/puissance symbolique qui lui reste indéfectiblement jamais rattachée et connotée à jamais. Il faut lire dans ce sens certains sites/blogs officiant outre-méditerranée pour comprendre à quel point tout est instrumentalisé pour parvenir aux résultats escomptés s'agissant d'une mise hors-jeu de la langue arabe tout en s'arrangeant, dans le même temps, à jouer une sérénade appuyée à l'adresse de la dulcinée saupoudrée d'éclectisme et élevée sous l'ombrelle latine de dame Marianne. Rappelons ici, pour ceux qui l'auraient probablement oublié, que la même politique de cantonnement fut appliquée à l'endroit de la langue arabe en Afrique de l'Ouest. Ainsi, en 1856 dans un rapport destiné au ministre des colonies dites alors françaises, le gouverneur désigné du Sénégal écrivit: «la volonté inébranlable des Noirs d'apprendre l'arabe est, pour nous, une catastrophe. Nous devons être très vigilants. Nous sommes tenus de combattre cette volonté et il est dans notre intérêt de leur faire apprendre la langue française». Faudrait-il rappeler en ce sens que la langue arabe, avant l'advenue de l'ouragan colonial, était largement répandue dans les domaines administratifs, politiques, judiciaires, économiques et culturels ? C'est d'ailleurs pourquoi, une fois l'administration coloniale installée dans des pays comme le Sénégal, la Guinée, le Mali, le Niger ou le Dahomey (actuel Bénin) , fut systématiquement pratiquée une politique de surveillance étroite des enseignants de la langue arabe pour préparer comme il se doit le lit de l'enracinement de la langue française dans les espaces considérés. Cependant, si ledit enracinement de la langue française a pu s'opérer en Afrique sur les décombres de nombre de langues locales, la langue arabe, dont les jours semblaient comptés, résista haut et fort en parvenant à sauvegarder son éclat et son maintien dans ces mêmes contrées et en symbolisant la résistance à outrance à l'indu occupant venu de l'hémisphère nord. Il convient de souligner que toute autre langue que l'arabe, confrontée au même blocus que celle-ci dut subir pendant la longue et oppressive nuit coloniale, aurait probablement finie par s'éteindre ou se diluer. Mais ce ne fut pas le cas pour la langue arabe qui saura puiser utilement dans ses inestimables ressources les voies et moyens pour se reconstruire, se pérenniser et se perpétuer. Hier, dans le tumulte de la guerre et les cliquetis des armes, la langue arabe se battait contre la terrible machine/machinerie coloniale; aujourd'hui, dans le vacarme des modes superfétatoires, elle mène un autre combat contre d'autres mouvances coalitisées menées contre elle sur plusieurs fronts à la fois pour tenter de la contenir et juguler. Pour tout dire, on en est encore dans la froide et insidieuse manipulation de ficelles par le truchement de relais multiples et polyvalents, qui, manifestement, veulent dicter le tempo et déterminer à leur guise non seulement les axes d'action sur le plan linguistique tout particulièrement mais aussi les lignes culturelles de notre devenir. En un certain sens, il est alors permis de déduire que l'atmosphère oppressante, perturbante et stressante (perpétuellement et délibérément) maintenues autour de cette langue, s'inscrit bel et bien dans une volonté de harcèlement à visée foncièrement déstabilisatrice. Ainsi, après avoir miraculeusement survécu aux aléas imposés par la sinistre colonisation, la langue arabe doit-elle aujourd'hui surmonter les humeurs de ceux qui rechignent encore à en faire une langue d'enseignement et de transmission de savoirs. En l'occurrence, et eu égard à tout ce qu'elle a subi et enduré suite au blocus colonial, n'est-elle pas redevable d'une légitime réparation et juste restauration pour la repositionner dans son contexte initial ? D'autre part, est-il besoin de rappeler ici, au passage, que nombre de colloques, séminaires ou journées d'études, organisés dans des champs disciplinaires pourtant enseignés en arabe, d'achèvent sans qu'il y soit fait aucunement mention de bout en bout? Et quand cela arrive, sauf rares exceptions, c'est dans une langue paradoxalement truffée de parasitages inouïs qui, notons-le, ne peuvent ne pas avoir d'influence (d'une manière ou d'une autre), sur les jugements ultérieurs portés envers elle tout particulièrement, et, pourquoi pas, même «refroidir» (avec l'effet d'une douche givrée) l'envie même chez d'autres d'avoir à s'en servir ultérieurement dans ces mêmes cénacles porteurs. Et puisque d'inventaire en règle il est question en l'espèce, est-il permis d'oublier à ce point que la fonctionnalité et la dynamique d'une langue quelle qu'elle soit (pas uniquement l'arabe) sont d'abord conditionnées par un usage régulier et non pas intermittent, saccadé, encore moins en dents de scie? Car il est clair que tout «retard», «décalage» ou «désertion» observés tant dans son emploi que dans son plein exercice se traduiraient ipso facto par un recul conséquent palpable, et mesurable, dans la proportion des transactions langagières devant l'engager au premier degré ainsi que celle des pluriels et quotidiens échanges comptabilisés par ses usagers directs ou indéfectibles «servants/locuteurs»? En outre, n'a-t-il pas souvent été mis en exergue que l'envie de la langue (au sens de désir de l'assimiler et se l'approprier), est à considérer aussi comme un élément conséquent de son apprentissage proprement dit. Sur ce plan précis, il n'est qu'à voir simplement la différence de traitement consacré aux deux langues considérées, au vu entre autres de quelques émissions télévisées chichement enjolivées pour l'une (à l'exemple de «je dis culture», «culture club», «expression livre»?) pour l'une ; et d'autres austèrement, sobrement, formatées pour l'autre parce que sans tonalité particulière, ni style enthousiasmant pour comprendre que, loin d'être sommaire ou banal, ce décalage entre les deux vecteurs concernés n'en participe pas moins - directement ou indirectement- , à maintenir encore prégnant l'irréductible écart/statuquo les distinguant autant que les séparant. N'allons pas jusqu'à évoquer une autre émission se déroulant dans l'Hexagone, connue sous le label «questions pour un champion» qui, à chaque occasion, ne se prive guère de ratisser large pour «pêcher» à la ligne, c'est le cas de le dire, des candidats en provenance des cinq continents et qui, invariablement, s'arrange pour leur demander de dire ce qu'ils apprécient le plus dans la langue (ou la culture) française. Le «pas de danse» linguistique consistant à privilégier l'emploi du français par des invités étrangers est courant et confirme que l'exercice va bien au-delà d'une simple génuflexion rhétorique de circonstance. Sans doute un peu étourdis par une proximité prolongée ou même une simple contact avec la langue de Molière, certains se prennent pour ses Héraults (ou porte-drapeaux) et s'en vont - au détour d'un Goncourt ou même un simple séjour gracieusement concédé pour services rendus- prêcher sa bonne parole, occultant dans le même temps leurs obligations intrinsèques avec la langue mère d'origine, des origines. Dans le même temps, il est facile de constater que, hormis les séquences réservées aux informations, la plupart des émissions via les chaines satellitaires arabes font la part belle aux chansonnettes subalternes ou à d'insipides feuilletons (bourrés de tonitruants salamalecs et où l'on s'égosille à perte de vue, avec les mêmes poncifs éculés et mêmes rodomontades désabusées), fort loin des canons intrinsèques de la langue considérée et ses mirifiques tournures. Et, par conséquent, fort loin des indices de créativité, de formules novatrices ou de féconde ingéniosité, tels qu'escomptés sur un plan purement verbal comme le constat est régulièrement relevé, du reste, à propos d'autres émissions du genre de celles formalisées en français notamment, et d'ailleurs sus-évoquées plus haut ; mais aussi dans d'autres langues, telles que l'anglais ou l'allemand, entre autres, si l'on devait élargir le spectre du tableau comparatif. Posons-nous ici la question de savoir en quoi ces émissions sont censées apportées ou non une valeur ajoutée pour le paisible citoyen lambda? Leurs concepteurs travaillent-ils réellement à enrichir le champ de la langue arabe ou bien ne sont-ils motivés que par le «sensationnel», le postiche, l'évènementiel ou le simple effet d'affichage ? Ces mêmes concepteurs prennent-ils en compte les besoins de divertissements et d'éducation décontractée, enjouée même, dans ce qu'ils nous fourguent et nous comptabilisent souvent, rubis sur l'ongle, sous le label intempestif et fantaisiste d' «offre culturelle» ? S'agissant à nouveau du français, l'on ne saurait oublier l'apport non négligeable d'autres émissions (Belgique, Suisse, Canada?) et ce, parallèlement au le rôle dévolu aux stages linguistiques, aux universités d'été qui participent, d'une manière ou d'une autre, à vouloir garder pour la langue française le vent perpétuellement en poupe. S'ajoutent enfin les différences encore notables en matière d'édition de livres qui, pour ceux paraissant en langue arabe, ne semblent pas significativement au top, en termes d'attractivité ou d'esthétique typographiques, de photogravure, comparativement redisons-le, à ce qui se fait habituellement dans l'autre langue richement achalandée et chichement pourvue en la matière à tous points de vue (dictionnaires, encyclopédies, traités, précis, recueils?). Même la bande dessinée (en sus des dessins animés) est, elle aussi, dument mobilisée et réquisitionnée comme il se doit dans ce pharaonique projet comme pour redonner une seconde vie à une langue donnée et faire entrave à la même éventualité pour l'autre pour mieux la clouer au pilori. S'agissant de la bande dessinée, bien qu'ayant été gratifiée par deux festivals (le troisième étant en cours de préparation) dans notre pays, il n'empêche que dans les librairies (ou ce qu'il en reste) on n'en voit pas encore à profusion comme c'était le cas dans les années soixante ou soixante-dix. Beaucoup de notre génération avaient «rôdé» leur français par ce biais, concomitamment aux fameux livres de poche ou encore ceux de la bibliothèque verte et qui, c'est connu, nous ont allègrement accompagné dans nos tumultueuses pérégrinations, avec bonheur. La langue arabe disposerait-t-elle aujourd'hui d'une logistique comparable à celle activée et mobilisée en permanence pour le français, l'anglais, l'allemand, le japonais ou le chinois? S'est-on jamais soucié de prendre en compte ces paramètres relatifs aux ressources documentaires (notamment les dictionnaires, encyclopédies et autres précis synthétiques) avant de pointer contre elle des sarbacanes, de tous côtés ? Ce faisant, il ressort également que même la qualité du papier employé pour donner corps et vie au livre dans sa polyvalence signifiante n'est pas en reste non plus puisque participant et contribuant, de bien des façons, à déterminer l'issue du premier contact charnel intervenant entre tel ou tel livre et ses lecteurs potentiels, tous âges confondus. Sur ce plan précis, la langue arabe se doit donc de rattraper au plus vite les immenses retards enregistrés en la matière même si, s'agissant du travail de reliure à titre d'exemple, il est constaté présentement un affinement assez conséquent pour certains types d'ouvrages en particulier, vraiment au top selon une expression convenue. Mais c'est loin d'être suffisant et, par conséquent, il lui faudra surtout sans plus tarder intégrer efficacement toutes les facettes liées à un travail d'édition moderne, notamment pour tout ce qui a trait à la production d'ouvrages didactiques aérés, fluides et prenants grâce notamment à des jeux de caractères amplifiés, rationnellement et esthétiquement mobilisés dans la confection et la structuration d'ensemble desdits matériaux pour en faciliter autant la lisibilité que l'attrait primordial. Sans perdre de vue un nécessaire et indispensable travail de traduction systématique pour faire «passer» en langue arabe, en continu et non stop, des œuvres scientifiques, littéraires, artistiques? ayant vu le jour dans d'autres langues limitrophes : français, anglais, espagnol, allemand, russe, chinois, japonais, coréen ou hindou- Car le retard actuellement enregistré en matière de traduction vers la langue arabe en constitue bel et bien le véritable talon d'Achille. En ce sens, Il y a à n'en pas douter un nécessaire et urgent apprentissage à faire sur le plan du marketing et de la communication afin d'imbiber et imprégner ce genre d'émissions des règles attenantes à un profitable débat de qualité, c'est-à-dire apaisé et rasséréné, à tous points de vue. UN ENFERMEMENT DES PLUS STERILES: SOMMAIRE, DEBONNAIRE ET INEVITABLEMENT REDUCTEUR. Ce faisant, n'apparaît-il pas aussi évident que le corps enseignant (du moins une certaine proportion de celui-ci) en Algérie s'est laissé très vite enfermer - coincer, acculer?- dans un face à face «bi-linguiste» extrêmement réducteur se traduisant notamment par une précipitation enregistrée à prélever et valoriser des concepts prêts à l'emploi dans une langue (en l'occurrence le français) au détriment de l'autre et sans se donner souvent la peine de forger, activer ou formaliser en conséquence un outillage conceptuel adapté et explicitement identifié dans le registre déserté (en l'occurrence, ici, l'arabe). Mises continuellement en concurrence, les deux langues n'ont pour ainsi dire jamais réussi à entretenir un rapport pacifié et serein mais ont toujours été instrumentalisées et manipulées à des fins de toute évidence autres que pédagogiques et/ou didactiques. Elles sont encore une fois de plus, dans un contexte se relevant à peine des terribles et abjectes morsures coloniales, l'enjeu d'intérêts féroces, voraces mêmes, qui dépassent/outrepassent de loin leurs statuts respectifs et spécifications strictement référentiels. Dans une certaine mesure, on peut aussi se demander à la limite si, dans de telles conditions un peu particulières, la langue arabe n'aurait pas fait un peu les frais, à son insu ou à son corps défendant, d'un «effet Pygmalion» qui lui a été des plus préjudiciables par le biais de cette mauvaise publicité (ou mauvaise presse) qui a été faite tout autour et dont on est en doit de penser qu'elle a sûrement été exagérée au-delà du tolérable - et comme à dessein- très certainement aux fins de restreindre son mouvement et son champ d'action. Ceci étant dit, il est plus que certain que, dès le départ, le rapport de force n'était nullement à son avantage mais bel et bien en faveur du français, connu pour être relativement bien installé, puisque largement «infiltré» et «lové» tant dans l'environnement physique que celui directement référé aux mentalités et qui, plus est, est connu pour travailler à flux tendu dans les domaines scientifiques porteurs. Et c'est là sans doute où l'on peut mesurer à quel point le travail de la colonisation a été puissamment pervers, sournois et pernicieux en prenant le temps de disséminer, «dispatcher» et répandre à sa convenance de véritables «mines cognitives» (à l'instar de celles, dites anti-personnels, «gracieusement» léguées aux quatre coins de notre territoire et lesquelles, d'ailleurs, continuent de semer la mort jusqu'à ce jour en frappant d'innocentes victimes et ce, nonobstant l'impressionnante quantité déjà neutralisée par les éléments du génie de l'armée nationale), qui agissent aujourd'hui comme de redoutables «bombes à retardement» à l'échelle mentale et dont les effets pervers sont perceptibles et visibles au quotidien, et quasiment en non stop. La langue donc perçue et revendiquée encore une fois comme emblème, instrument et moyen de pouvoir au détriment des autres intrants potentiels qui la fondent et spécifient d'abord en qualité d'instrument de dialogue ouvert, échange finement élaboré et communication pleinement partagée. Sans vouloir être ni excessif ni, encore moins chauvin, il nous paraît utile de dire qu'il y a comme une espèce d'opacité - maintenue ou entretenue - qui nous empêcherait de voir par nous-mêmes la réalité des choses et déceler la tendance de leur évolution. Pourquoi ? Parce que, au fil du temps, nous sommes devenus justement par trop dépendants de ce lourd, imposant et envahissant appareillage occidental, y compris pour approcher les éléments de nos propres pratiques culturelles! Et c'est là justement où l'on peut mesurer à quel point le régime de la colonisation a brouillé, bouleversé, détraqué et bousillé nos repères au point d'arriver à disqualifier d'emblée les nôtres propres au profit de ceux minutieusement inoculés et injectés par les soins d'un système colonial connu, par ailleurs, pour être passé maître dans la manipulation et l'endoctrinement extrêmes. Aussi est-il permis de dire que dans de telles conditions, nous avons sans doute parfois du mal à saisir, par nous-mêmes, le sens exact de phénomènes pourtant fondamentalement et typiquement familiers de notre habitus ou, si l'on veut, notre éthos. Aussi, paraît-il urgent, vital et stratégique même pour notre devenir, de stimuler au niveau de la recherche universitaire l'émergence d'une lexicographie dûment adaptée qui, même si dans bien des cas ne saurait éviter le passage obligé par ce «carrefour» occidental, se doit malgré tout de faire l'effort de distanciation et de recul nécessaires par rapport à son influence et son encombrant hégémonisme. Ce retour espéré, une fois opéré, lèverait certainement bien des hésitations et autres indues appréhensions. Tout comme il ouvrirait indiscutablement le champ à l'émergence d'options épistémologiques en sciences sociales de création, fondamentalement et contextuellement adaptées, pour tour à tour: lire, décrire, analyser et conceptualiser, avec la même aisance et la même pertinence, des faits ou phénomènes issus directement de nos pratiques et productions multiformes, quels qu'en puissent être par ailleurs les niveaux de référence ou de qualité propres si l'on devait nécessairement prendre en compte un examen comparatif avec d'autres contextes. A suivre * Faculté des Sciences Sociales Université d'Oran **Assia Djebbar in discours du récipiendaire, 2006. |