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IRVINE,
CALIFORNIE -La pandémie de la COVID-19 ne cesse de mettre en évidence des
inégalités sous-jacentes troublantes en matière d'infrastructures à travers le
monde. Alors que l'administration des vaccins aux États-Unis se déroule à un
rythme accéléré, même chez les enfants, des pays comme l'Inde connaissent
chaque jour un nombre de décès catastrophique. L'Inde a récemment fait état de
plus de 340 000 cas quotidiens de coronavirus, soit près de la moitié du total
mondial, et le pays ne semble pas près de voir la fin de la crise.
En réaction à l'intensification des pressions politiques exercées pour réduire la détresse des pays à faible revenu, l'administration du président américain Joe Biden préconise désormais une révocation des droits de propriété intellectuelle (PI) pour les vaccins contre la COVID-19, et ce, tant que perdure la pandémie. Ce nouveau développement a suscité deux réactions opposées. Certains observateurs considèrent que la nouvelle position américaine constitue un changement de paradigme qui aura des incidences sur la protection de la PI. Mais d'autres prédisent qu'elle n'aura aucun impact sur l'accès aux vaccins. Ces deux positions ne tiennent pas compte de la situation dans son ensemble. Premièrement, la protection de la PI sera encore en vigueur, y compris pour les vaccins contre la COVID-19 dans les pays riches où les sociétés pharmaceutiques engrangent d'énormes profits. Deuxièmement, devant une telle volonté politique, la menace d'une révocation peut inciter les entreprises détentrices de brevets à stimuler la production de masse de vaccins COVID-19 pour les pays à revenu faible ou moyen. L'argument voulant que la politique de Biden soit destinée à échouer dessert la diplomatie américaine et la coopération mondiale pendant la pandémie. Les efforts pour parvenir à une couverture vaccinale mondiale se heurtent à d'énormes problèmes d'intéressement. Les sociétés pharmaceutiques privées responsables devant leurs actionnaires cherchent à maximiser les bénéfices. Or, plus la pandémie se prolonge, plus il est probable que de nouveaux variants de coronavirus nécessiteront l'adaptation et la distribution de nouveaux vaccins, et par conséquent, plus ces entreprises en profiteront. Pendant ce temps, les gouvernements de pays riches sont confrontés à des mesures d'incitation contradictoires à court et à long terme. La politique intérieure favorise à court terme le nationalisme vaccinal, ce qui conduit les pouvoirs publics à passer des contrats pour un approvisionnement exclusif. Les accords conclus avec des entreprises privées par le gouvernement américain, par exemple, ont imposé une interdiction de facto des exportations de vaccins. Mais comme les virus ignorent les frontières, ces gouvernements sont confrontés au risque de voir apparaître à plus long terme de nouveaux variants contre lesquels les vaccins actuels pourraient être inefficaces. De tels agents pathogènes constitueraient un danger évident pour la vie et la santé des citoyens, ainsi que pour le bien-être économique des pays. Parallèlement, on assiste à une rivalité stratégique grandissante entre les États-Unis et la Chine pour prendre les rênes de la production biotechnologique. L'organisme commercial Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA) attise ces craintes pour réclamer le contrôle de ses secrets commerciaux. De toute évidence, les secrets de fabrication, et non les droits de brevet sur les vaccins contre la COVID-19, constituent le principal obstacle à un accès plus large aux vaccins (en particulier ceux à ARNm). En principe, ces secrets commerciaux ne constituent pas un droit de propriété intellectuelle, mais sont plutôt protégés par le droit de la «concurrence déloyale». La question est de déterminer comment contraindre les sociétés pharmaceutiques à révéler leurs formules et procédés secrets aux autres fabricants afin que ces derniers puissent produire les vaccins, sous réserve d'un accord de confidentialité et d'une indemnisation en fonction des coûts ou des coûts majorés. Autrement dit, il faut rendre plus attrayante la renonciation pour l'entreprise de certains des droits afférents à la propriété intellectuelle. Face à une possible révocation de leurs droits de brevets, il est dans l'intérêt de ces entreprises de signer des contrats avec des fabricants liés à accords de confidentialité, permettant ainsi la production de masse de vaccins pour les pays à revenu faible ou moyen. La menace d'une révocation peut ainsi inciter et contraindre les entreprises pharmaceutiques à conclure de tels accords. Les pays mieux nantis peuvent renforcer ces mesures dissuasives en mettant en commun leurs ressources, notamment par l'entremise du dispositif pour accélérer l'accès aux outils de lutte contre la COVID-19 (COVAX). Ils disposent après tout d'un avantage énorme sur les économies plus pauvres qui sont aux prises avec une pauvreté endémique et un pouvoir de négociation inégal. Pour parvenir à un accord, il faudrait que la majorité des pays riches - ainsi que d'autres producteurs de vaccins, dont la Chine et la Russie - s'engagent à ne pas profiter indûment de la levée des brevets, notamment par des accords d'indemnisation. Les sociétés pharmaceutiques pourraient alors continuer à réaliser des bénéfices comme elles ont pu le faire auparavant. Et tous les pays - du Nord comme du Sud - en profiteraient, notamment grâce à la réduction des dangers posés par les nouveaux variants du virus. Néanmoins, les négociations sur la levée des brevets menées au sein de l'Organisation mondiale du commerce risquent de devenir un geste purement symbolique et de détourner l'attention des actions à entreprendre. La menace d'une révocation des droits de propriété intellectuelle doit être bien réelle afin de persuader les entreprises de s'engager volontairement dans une production mondiale massive de vaccins. Parallèlement, un nombre suffisant de pays en développement pourraient délivrer, ou avertir de ses intentions de le faire, des licences obligatoires - avec l'appui des États-Unis, de l'Union européenne et d'autres pays occidentaux - pour renforcer leur pouvoir de négociation. Il ne s'agit pas d'un changement révolutionnaire, car la protection des droits de propriété intellectuelle a toujours été soumise aux exigences de la santé publique. Mais, comme la problématique centrale réside dans les secrets commerciaux et non dans les brevets, l'accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) n'est pas le véritable problème. Même sans cet accord, les entreprises pharmaceutiques ne seraient toujours pas incitées à divulguer leurs secrets commerciaux. Paradoxalement, l'ADPIC pourrait désormais offrir un avantage éventuel en permettant aux pays de brandir la menace d'une révocation pour inciter les entreprises à conclure les contrats nécessaires. L'administration Biden devrait agir dans ce sens. Plus de 3,4 millions de personnes sont maintenant mortes de la COVID-19, et des millions d'autres vies pourraient être perdues alors que de nouveaux variants du virus menacent de prolonger la pandémie. Une action réfléchie et immédiate en matière de vaccins est nécessaire et constitue une question d'urgence morale et pratique. Pour l'administration Biden, cela implique de prendre des mesures dès maintenant pour réorienter les intérêts de l'industrie pharmaceutique vers les priorités sanitaires mondiales. Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier 1- professeur à l'Université de Californie, Irvine, et directrice du Centre for Biotechnology and Global Health Policy 2- professeur à l'Université de Californie, Irvine, et auteur de Emerging Powers and the World Trading System: The Past and Future of International Economic Law (Cambridge University Press, 2021) |
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