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Tous les peuples
s'affranchissent un jour ou l'autre de ceux qui les dominent par l'injustice.
C'est ce qui nous inscrit au domaine général de l'Histoire. Mais chaque peuple
développe des particularités, sa façon de se libérer, les moyens utilisés, les
sacrifices qu'il consent, et c'est là que nous avons nos propres particularités.
Nous sommes porteurs d'une Histoire de peuple souvent dominé, mais toujours
résistant. Nos terres ont toujours été attrayantes pour ce qu'elles renferment
comme richesses et comme culture. Chrétiens avant Rome, tolérants par l'Islam
traditionnel et protecteurs des juifs qui ont trouvé refuge dans nos oasis pour
y cultiver et vivre en paix, nos particularités ne s'arrêtent pas là. Elles
sont tellement nombreuses et tellement ancrées dans notre vision collective,
qu'il suffit d'observer les différentes manifestations de la solidarité dans la
vie sociale.
Si la guerre de libération nous fournit l'exemple unique d'un peuple qui a puisé ses ressources militaires, idéologiques et politiques dans la souffrance, la fin de cette guerre nous enseigne comment nous avons fait fausse route pour la reconstruction du pays. En effet, nous avons considéré l'indépendance comme une fin en soi, au lieu d'en faire le début d'un processus libérateur de notre économie et de notre culture. Sur le plan politique qui aurait eu l'audace de prononcer la fin du FLN au lendemain du 05 juillet 1962, du fait de ce qu'il représentait dans la mémoire collective ? Le pouvoir s'est donc construit autour du FLN, rapidement exclu à partir de 1965. Le vide politique, constitutionnel et la répression des élites qui s'en est suivie n'ont pas réussi à dissuader les militants de la cause nationale toutes tendances confondues. Le modèle économique imposé faisait augmenter la dépendance de l'étranger et se traduisait par plus de dépenses en devises. La « fièvre technologique » mal accompagnée par une recherche scientifique incohérente s'est soldée par l'apparition des premiers signes de la corruption et son corollaire, le clientélisme. Sur le plan alimentaire, les stocks se sont raréfiés faute de priorités accordées au secteur agricole. La main-d'œuvre qualifiée peu motivée s'est convertie dans les métiers des villes. La mécanisation promise s'est soldée par la disponibilité de quelques engins peu rationalisés. Faute de processus aux étapes datées, tenant compte des perceptions des populations, la décolonisation n'a pas eu lieu malgré un Etat souverain. La dépendance s'est renforcée grâce aux plans de développement censés fournir au pays les voies et moyens pour accéder au développement. Les périodes successives n'ont été qu'une suite d'improvisations laissant l'essentiel en marge des politiques menées. Les catégories sociales apparues à l'ombre de ces plans ont écrasé la bourgeoisie traditionnelle, l'Islam traditionnelle, le nationalisme patriotique et tout ce qui, dans nos traditions pouvait nous mener vers des équilibres sociaux et une meilleure appropriation de nos valeurs ancestrales. Ces catégories qui se sont développées en périphérie d'un pouvoir exercé au détriment de la majorité de la population, n'ont pas hésité à s'allier aux intérêts étrangers. Les idéologies combinant un nouvel Islam à une nouvelle pratique commerciale, soutenue par une finance hybride, ont trouvé un canal de pénétration facilité par les institutions étatiques rongées par la corruption. La corruption a gagné tous les espaces et a exclu la population de tous les champs, politiques, économiques, culturels et sociaux. La résistance face à cette situation s'est souvent soldée par des échecs mais a tout de même permis de capitaliser les expériences en matière d'organisation. La peur d'un débordement vers les effets dévastateurs d'un printemps arabe a gagné le peuple algérien soucieux de la préservation de ce qui reste de l'Etat - nation. Le pouvoir face à cette peur a continué à sévir avec la complicité des hauts fonctionnaires au niveau de toutes les institutions, y compris l'institution militaire. L'accumulation du désespoir et de l'incapacité d'agir face à un pouvoir maffieux et de ses soutiens à l'étranger s'est transformée en conscience collective qui a permis d'agir selon un schéma proprement algérien. La révolution du 22 février a constitué le déclenchement d'une forme d'organisation où la réappropriation de l'espace public a pu émerger sans leadership. Spontanée pour les uns, actionnement de réseaux sécuritaires pour les autres, le processus engagé depuis cette date représente le préalable à un changement profond des formes de pouvoir et une exigence sans cesse croissante quant au refus des injustices semées particulièrement depuis le règne des Bouteflika. En bientôt quatre mois de contestation populaire, ce qu'il est convenu d'appeler le « Hirak » reste une force de plus en plus importante face au pouvoir qui est passé à une résistance suicidaire. Nous n'en sommes qu'à la moitié du chemin et beaucoup reste à faire à présent pour réaliser ce nouveau rêve qu'est devenue la deuxième République. Après moult bricolages de la Constitution peut-on parler d'une deuxième République ou d'une première véritable Constitution de l'Algérie post-coloniale ? Depuis le 22 Février on assiste au premier débat sérieux autour d'un projet de société à part celui avorté sur la charte nationale sous l'ère Boumediene il y a 46 ans et qui avait duré six mois. Six mois d'échanges pour définir une stratégie à long terme. Les conditions étaient certes différentes mais le principe d'ouverture démocratique sous la conduite du FLN posait quelques préalables acceptables par tous les courants idéologiques y compris ceux de gauche. En 43 ans les options politiques ont changé sous les pressions internationales et les transformations sociales intervenues notamment dans les pays de l'Est. L'hégémonie libérale a pris le dessus car porteuses de liberté individuelle et collective diversement appréciées. La fin des partis uniques était annoncée et le régime algérien à l'instar d'autres régimes commençait à s'essouffler n'était-ce la disponibilité des ressources en hydrocarbures permettant une redistribution de la rente sous diverses formes. Mais en 43 ans les revendications populaires échappent quelque peu à la rente. Il ne s'agit plus seulement, de logements, de routes ou de travail mais de nature de pouvoir, de corruption, de clientélisme, du rôle des institutions, de leur mode de fonctionnement, de la redéfinition du fonctionnaire, de l'homme d'affaire, de la justice et aussi de la liberté individuelle et collective. Pour être écrite sans tricherie, cette Histoire a besoin de temps, de sérénité et d'indépendance. Elle a besoin de se libérer de tous les indigénats. La rue est l'espace d'expression privilégié, on peut y mettre toutes les couleurs, tous les âges, tous les chants. La rue a répondu au mépris des gouvernants longtemps blottis dans leurs certitudes que l'Algérien est définitivement anesthésié. La marche ou le rassemblement pacifique au lieu de constituer une simple arme contre le pouvoir, a révélé au monde la profondeur des valeurs algériennes et les Algériens ont été les premiers surpris. Un gisement d'émotions manifesté par des larmes de joie enfin retrouvées. Des Algériens qui ont appris à crier ensemble, à tourner les gouvernants en dérision, à les chasser par des applaudissements comme on chasse des chauves-souris. En face le pouvoir s'est vidé, les institutions, les organisations syndicales, les partis politiques n'étaient en fait que des tigres en carton en dehors de l'armée et de la justice. L'armée est devenue une muette parlante et la justice a retrouvé ses jambes pour se mettre debout. Le peuple déclare sa fraternité à l'armée qui décode les messages et se saisit rapidement d'une place pour laquelle elle n'est pas destinée : être l'interlocuteur privilégié du pouvoir. Mais que faire de ce privilège parfois entaché par le rejet populaire du chef d'état-major ? L'analyse des interventions de ce dernier depuis le début de ce qui est définitivement acquis comme « Hirak », montre bien les hésitations à admettre la légitimité du mouvement du 22 février, mu par un grand degré d'organisation et de civisme. Rendons-nous bien compte qu'il s'agit là d'un militaire plus habitué à donner des ordres et à en recevoir qu'à négocier. Le chef d'état-major, occupant une position ambiguë de vice-ministre de la Défense nationale s'est retrouvé face à un destin inattendu à gérer les grandes décisions du pays. Les fonctions de chef de l'Etat intérimaire assurée par monsieur Bensalah ne servent en fait que de justification à une Constitution volée au référendum pour assurer les mandats successifs de Bouteflika. Bouteflika à ce niveau a fait preuve d'un diabolisme sans pareil. D'aucuns pensent qu'en vingt années de Bouteflika, le pays a perdu son âme. Bouteflika n'a pas eu quatre mandats présidentiels mais un seul mandat de vingt ans saupoudré de révisions constitutionnelles à huis clos. En fait, ces vingt années n'ont fait qu'accélérer la destruction de l'Etat national et rendu vains les sacrifices consentis par tout le peuple durant une guerre des plus destructrices, mais des plus glorieuses, en plus d'une décennie de crimes organisés. Le mouvement du 22 Février trouve son sens dans le rejet définitif des hommes, de tous les hommes qui ont échoué dans la construction d'une société démocratique et sociale, telle que prévue par la proclamation du Premier Novembre 1954. Du temps perdu certes mais une richesse en enseignements qui peut permettre de prendre des raccourcis pour aller vers ce rêve. Il ne s'agit en fait ni d'une deuxième ni d'une énième République mais d'une République post-indépendance, la première peut-être qui permettra aux Algériens de sortir de la torpeur. De renaître. Au bout de près de trois mois de contestations nous nous retrouvons dans une situation complexe : le Hirak devenu une véritable force nationale d'une part, légitime de plus en plus son existence et l'armée qui se retrouve devant une mission pour laquelle elle n'est pas destinée. A l'horizon un 4 juillet hypothéqué à la naissance et un gouvernement qui navigue à vue en attendant sa démission. Au-delà, le vide constitutionnel brandi plus comme une menace que comme objet d'efforts et de réflexions. Les interrogations sont nombreuses quant à l'issue de cette situation considérée comme une crise politique aux aspects multi dimensionnels. Une fois de plus l'armée tranchera sur cette question, le peuple quant à lui a déjà tranché. Peuple et armée se retrouvent face à face et pas toujours «Khawa-Khawa». Qui va rapprocher les points de vue et considérer définitivement que la solution ne viendra pas de la Constitution mais des efforts politiques ? Difficile de faire avaler la pilule aux militaires et à ce qui reste du pouvoir comme institutions du reste « illégitimées » par le Hirak. L'opposition, longtemps mise sous scellés, interdite de parole et incapable de s'entendre sur un minimum, s'attarde sur le choix de leaders représentatifs, face au pouvoir, au lieu d'aller à l'essentiel. L'essentiel c'est de constituer un bloc homogène mettant de côté ses divergences idéologiques et tracer une feuille de route en accord avec les idées développées par le Hirak. L'opposition est composée de cadres politiques expérimentés pouvant jouer un rôle important dans l'amorce d'une transition vers une Constitution transparente validée par un référendum. Le Hirak pour sa part adopte pour le moment une position de rejet de tout le pouvoir sans exclusive ; mais l'opposition, elle-même rejetée, reste la classe la moins éloignée des idées du Hirak. Il s'agit de le prouver et de faire admettre cette idée non pas en se pavanant dans les hôtels algérois, mais d'aller vers la rue. Il faut admettre que le Hirak n'accepte pour le moment aucune forme d'organisation se suffisant de ses marches qui, pour le moment ont donné quelques fruits ! |
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