|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Suite et fin
Cette histoire eut des enfants : la grande majorité des chefs d'entreprise français (et certains d'entre eux s'appliquent à saper, méthodiquement, les fondement du système qui les a engendrés) viennent du système public. C'est l'inverse pour les patrons allemands, presque tous issus de l'entreprise et de son système de formation professionnel. A la recherche publique l'essentiel de la prospection fondamentale, aux entreprises les développements en aval. Bridés par des contraintes budgétaires monétaristes, les laboratoires publics ne sont pas compensés ou remplacés par une recherche française à laquelle les sociétés privées ne sont pas, culturellement, préparées. En outre, les prises de risque important avec une rentabilité problématique, à long terme, n'attirent pas le capital privé. Qui le lui en voudrait ? Il ne serait pas équitable, cependant, d'ignorer les grands progrès intervenus dans la professionnalisation des formations, en France. Avec une nuance : l'Enseignement professionnel reste, encore dévolu, aux élèves de classes sociales populaires. Il joue un rôle marginal dans la dynamique sociale : l'ascenseur est, totalement, en panne et le brassage de la société française demeure, résolument, bloqué. La disparition du service militaire acheva d'accoucher d'une nation stratifiée, en castes cloisonnées d'« homo hierarchicus » (L. Dumont). En signant à Maastricht la mort du rôle de l'Etat dans l'Economie, la France a signé la mort de son industrie, de son économie et de son autonomie de décision. Economie-monde virtuelle, la France apparaît tel un moteur de Rolls-Royce dans une deux-chevaux. Ce modèle était, relativement, bien adapté à l'époque où le monde se limitait à l'Europe et gravitait autour de ses métropoles coloniales. De Gaulle avait très bien tiré parti de la situation géostratégique française, au cours de la Seconde Guerre mondiale et de la tension Est-Ouest[4]. Mais elle n'a pas résisté à l'effondrement de l'Union Soviétique et à la fin de la Guerre Froide. Répondant aux sirènes libérales, la France a, unilatéralement, démantelé son principal « avantage comparatif » : l'Etat comme acteur raisonnable (malgré ses excès) de son économie. D'autres, l'Algérie par exemple, en ont fait de même et se retrouvent avec une économie de bazar, une industrie en berne et un informel délinquant qui occupe toute les anfractuosités d'une société en perte de repères. Poutine s'est ressaisi et remis de l'ordre dans une Russie menacée par l'implosion et les redoutables vautours transnationaux qui en avaient après ses richesses naturelles. Depuis, l'OTAN assiège ses limes mais n'a pas réduit le soutien populaire que le nouveau containment crût trop vite avoir entamé. Seuls les Etats-Unis, puissance unique d'une classe unique, peuvent prétendre à ce à quoi le « vieux continent » n'a pas pu tenir. Et cela grâce aux quatre leviers de commande communs aux puissances dominantes : - le dollar, l'euromonnaie de singe accumulée dans les toutes les banques centrales de la planète et dans laquelle les principaux produits échangés dans le monde sont libellés, - Wall Street, où sont cotés, depuis 1931, toutes les valeurs qui comptent et par lequel sont subordonnés tous les pays qui acceptent de se financiariser. On l'a vu avec la crise du subprime, - le Pentagone, l'Empire militaro-industriel qui n'a pas d'alliés mais seulement des vassaux et de ennemis et enfin - Hollywood, machine de guerre culturelle (et aussi économique) qui normalise la pensée via une langue universalisée que toutes les « élites » mondialisées imposent comme horizon insurpassable pour l'ensemble du genre humain.[5] Le tout intégré dans des réseaux numériques contrôlés par des firmes américaines oligopolistiques : Appel, Microsoft, IBM, Facebook, Yahoo, Google? Tout doucement, la France voit poindre le sort qui fut réservé ? dès 1941 - à sa vieille rivale, la « Perfide Albion », aujourd'hui, arrière cour de Washington qui en use comme d'un levier pour empêcher l'Europe de se donner une dimension militaire, politique, diplomatique mondiale. Est-ce à dire que l'Allemagne est épargnée par les difficultés et les problèmes si contraignants que connaissent leurs voisins ? Bien sûr que non. L'Allemagne souffre du même syndrome démographique que le Japon, la Chine ou l'Italie. Un taux de fécondité préoccupant à peine supérieur à 1. L'Allemagne de l'avenir sera moins nombreuse et plus vieille.[6] Certes, elle a modifié son code de la nationalité, accueille un nombre croissant d'étrangers et revoit l'idée même de ce que serait, un jour, un « Allemand ». Mais cela ne suffit pas : la Germanie reste un pays de rentiers fièrement attaché à ses repères, dont les racines profondes plongent dans un passé introjecté et quoi qu'on dise encore non assumé. Berlin-Bruxelles. Ce qui l'ange fait la bête. Enfin, Berlin entretient des relations ambivalentes avec l'Union. Les Allemands n'ont consenti à l'Europe que contraints et forcés, dans un contexte d'après-guerre qui ne leur était pas favorable. Il en sera de même, plus tard, pour la naissance de l'Euroland auquel Berlin n'adhéra qu'avec d'extrêmes précautions. Sans doute, y trouvaient-ils leur compte à se fondre dans un ensemble où ils passeraient inaperçus. L'Economie, l'autre espace de la guerre, allait leur offrir l'occasion de récupérer, sur un terrain, ce qu'ils avaient perdu dans l'autre. Loin en Asie, le Japon, l'ancien compagnon de l'« Axe », opérait, discrètement, la même stratégie. Ici, les descendants de Hohenzollern, là-bas les familles de samouraï continuent de piloter « behind » les leviers de commande de leurs nations respectives, donnant des gages, d'un côté, et distinguant l'essentiel de l'accessoire, de l'autre. Ils savent, cependant, que « tous » savent? Comment peut-il en être autrement ? En attendant, la situation européenne s'est notablement aggravée. Les différences de potentiel atteignent un niveau de rupture. La Grèce n'est pas en soi un problème, mais seulement le révélateur de profondes divergences, en Europe. Les Accords de Maastricht, confirmés et complétés par les Traités suivants, jusqu'au dernier, signé à Lisbonne, avaient pour mission de faire converger les économies dans une UEM intégrée, en sorte que l'institutionnalisation d'une monnaie unique devait en être le couronnement. L'on doit, aujourd'hui, constater la faillite de ce projet. Jamais les écarts ne se sont aussi tendus entre les membres de l'Euroland. L'ex-zone mark prend, de plus en plus, distance avec le reste de la zone Euro, malgré toutes les « bonnes nouvelles médiatiques » à propos des succès enregistrés en Espagne, au Portugal, en Italie ou en Irlande. Le plus grave est, sans conteste, les fissures, de plus en plus béantes, au sein du « couple franco-allemand, clé de voûte de l'Union ». Toutefois, l'Allemagne ne peut ignorer qu'une part de sa prospérité et de ses succès, c'est à l'Europe qu'elle la doit. Sans remonter aux dettes de guerre, la Grèce serait en droit de brandir les commandes (notamment militaires) qui profitèrent aux marchands de canons allemands, et certes aussi aux corrompus de ses propres gouvernements (tous partis confondus). L'Union est à la croisée des chemins. Tous les partenaires savent que cela ne peut plus durer, mais tous savent aussi qu'une rupture au sein de cette belle construction risquerait d'entraîner des enchaînements avec in fine des dommages incalculables et pas seulement en Europe. Entre des Allemands qui prétendent ne plus vouloir solder les inconséquences de leurs partenaires et les risques qu'ils prendraient à déchirer le contrat, les Européens, sommet après sommet, communiquent et rassurent les marchés, sans que personne ne puisse prévoir ce qu'il en sera, demain, d'un pacte, à la fois, si intelligent et si mal gouverné. Construire par contrat un ensemble politique à l'échelle continentale, sans un seul coup de fusil, où chaque membre du plus puissant au plus modeste, dispose d'un droit, à peu près, équivalent, est une utopie constructiviste que Kant avait imaginée et que les guerres, abominablement, meurtrières dont l'Allemagne avait pris peu ou prou l'initiative, avaient rendu possible. L'Union Européenne est un projet qui doit réussir parce que c'est un exemple à suivre pour d'autres régions du monde où les voisins s'étripent et se fabriquent des futurs darwiniens que les tenants de la mondialisation encouragent pour faire triompher une conception naturaliste des relations internationales et, au passage, perpétuer un environnement favorable à leurs intérêts. [4] Si Eurodisney s'est installé à Marne-La-Vallée ce n'est pas pour le plaisir des touristes ou pour occuper les chômeurs franciliens. Si les Américains ont débarqué sur les plages de Normandie ce n'est, sûrement pas, pour libérer la France (de Gaulle n'a été informé de l'« Opération Overlord » qu'après son déclenchement?). C'est pour cela que le Général n'a jamais commémoré le « 06 juin ». Les « élites » françaises, atlantistes béats (qui prolifèrent, aujourd'hui, dans tous les partis) cultivent une reconnaissance de benêts. Les Français - en cela ils forceraient le respect de leurs « alliés » yankees - devraient relativiser et peut-être même reconsidérer, le poids de leur dette. Metternich, Napoléon, Hitler, Staline, Churchill, Roosevelt? en ont, immédiatement, mesuré la valeur stratégique. Il suffit de regarder une carte géopolitique de l'Europe de l'Ouest pour s'apercevoir que si on enlevait la France, il n'y aurait plus d'Europe. [5] Parmi une littérature très riche sur le sujet, nous suggérons deux titres : numéro double 387-388 de la revue Critique, août-septembre 1979 : Le mythe de la langue universelle, pp. 649-838. Claude Hagège (2012) : Contre la pensée unique. Odile Jacob, Paris 245 p. [6] Selon une étude réalisée par le Conseil d'experts des fondations allemandes pour l'intégration et les migrations (SVR), publiée en mars dernier, entre 2009 et 2013, l'Allemagne a perdu, en moyenne, 25.000 de ses ressortissants chaque année. Sur cette période, ce sont au total 710.000 Allemands qui ont quitté leur pays. |
|