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FLORENCE
- Une mode récente consiste à comparer le président américain de 2023 Joe Biden à celui de 1979, Jimmy Carter. De la même manière que
les événements de 1979 condamnèrent les espoirs de réélection de Carter l'année
suivante, certains considèrent que ceux de 2023 ont concrètement anéanti la
candidature de Biden pour un second mandat au mois de
novembre.
Carter et Biden ont effectivement tous deux été confrontés à un problème d'inflation démoralisant. L'inflation était toutefois bien plus problématique à l'époque de Carter : en novembre 1979, un an avant l'élection, l'inflation des prix à la consommation aux États-Unis atteignait 12,6 %. Par opposition, sur la période de 12 mois achevée en novembre 2023, l'inflation de l'IPC s'est élevée à un niveau modéré de 3,1 %. Certes, l'inflation demeure un problème politique pour Biden, même s'il est possible que ce phénomène soit désormais pour l'essentiel derrière nous. Deuxièmement, comme Carter avant lui, Biden a laissé à la Réserve fédérale le champ libre pour résoudre cette difficulté. Carter avait choisi Paul Volcker pour présider le Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine, principalement en raison des antécédents de Volcker dans la lutte contre l'inflation, et sachant pertinemment que celui-ci augmenterait substantiellement les taux d'intérêt. Malgré les avertissements de son conseiller politique Bert Lance, selon lequel la nomination de Volcker condamnerait les perspectives de réélection du président américain, Carter laissa Volcker travailler librement. Cette carte blanche de la part de Carter à l'approche d'une élection présidentielle différa significativement de l'approche adoptée par certains de ses prédécesseurs, notamment de celle de Richard Nixon avant l'élection de 1972. De la même manière, Biden a laissé la Fed de Jerome Powell ajuster les taux d'intérêt comme bon lui semblait, ignorant les protestations des aspirants propriétaires et de bien d'autres. Par ailleurs, l'absence de critique de Biden à l'égard de la Fed s'inscrit en contraste total avec la position de son prédécesseur, Donald Trump. Interviennent également les difficultés des deux présidents sur le front de la politique étrangère de manière générale, et concernant l'Iran en particulier. En novembre 1979, des manifestants étudiants prennent d'assaut l'ambassade américaine à Téhéran, faisant 66 otages américains. Peu de temps après, l'ayatollah Rouhollah Khomeini fera son retour d'exil depuis Paris, et qualifiera les États-Unis de « Grand Satan » - une position n'a cessé depuis de façonner le discours et la politique du gouvernement iranien. Les otages seront libérés quelques minutes seulement après l'investiture de Ronald Reagan en janvier 1981. L'incapacité de Carter à les secourir au mois d'avril précédent est devenu une plaie politique béante à l'approche de l'élection, et le symbole d'une politique étrangère défaillante. Aujourd'hui, l'administration Biden doit elle aussi faire face aux provocations de l'Iran en Syrie et au Liban, où Téhéran soutient les frappes de missiles du Hezbollah sur Israël, ainsi qu'en mer Rouge, où l'Iran appuie les attaques des Houthis contre les navires de marchandises. Les otages détenues par le Hamas à Gaza ont beau être Israéliens pour la plupart, quelques binationaux américains seulement comptant parmi eux, l'incapacité de l'administration Biden à négocier un cessez-le-feu prolongé, ou à contribuer de quelque manière que ce soit à libérer les captifs, crée un sentiment d'impuissance comparable. Dans le même temps, l'échec des forces ukrainiennes, soutenues par les États-Unis, à progresser contre leurs adversaires russes durant leur offensive estivale de 2023, ainsi que l'inefficacité des sanctions américaines dans la dissuasion de l'agression menée par le président russe Vladimir Poutine, renforcent le sentiment d'une politique étrangère américaine en plein désarroi. Tout cela se traduit par des cotes de popularité désastreuses pour Biden, pires encore que celles de Carter en 1979. Ainsi, la comparaison serait évocatrice même s'il ne nous avait pas été rappelé récemment que Biden, lorsqu'il était jeune sénateur, avait exprimé des doutes à l'approche de l'élection de 1980 sur la question de savoir s'il était judicieux, pour le président sortant ou pour le Parti démocrate, que Carter brigue un second mandat. Outre ces parallèles, un aspect majeur vient différencier Biden et Carter, à savoir leur positionnement politique. Les craintes de Carter résidait dans l'état d'esprit anxieux des Américains, et dans les perspectives pour le pays. En juillet 1979, Carter prononça en effet son fameux « discours sur le malaise » des États-Unis, déplorant une crise de confiance parmi les Américains, un « doute croissant quant à la signification de notre propre vie », et la « disparition de l'unité quant aux aspirations de notre nation ». Les Américains, poursuivit Carter, perdent foi « non seulement dans l'État lui-même, mais également dans la capacité des citoyens à faire office de gouvernants ultimes et de façonneurs de notre démocratie ». Cela vous dit quelque chose ? Ce discours n'était en réalité pas totalement négatif. Il fut toutefois présenté comme tel, notamment par Reagan, qui se présentait comme un « guerrier heureux », lui qui dans la conclusion de son discours la veille de l'élection déclara : « Je ne vois aucun malaise national ». Ce fut un pari gagnant, fondé sur un message d'optimisme. Durant la sombre période de 1979-1980, les électeurs américains préférèrent la confiance rayonnante de Reagan aux tristes ruminations de Carter. Aujourd'hui, c'est bien entendu le président sortant Biden qui fait figure d'optimiste, considérant les États-Unis sur la bonne voie, tandis que le probable challenger Trump parle d'une Amérique souffrante, en proie à un malaise profond, l'ancien président évoquant vengeance et voyant des menaces partout. L'histoire nous enseigne que les électeurs américains préfèrent l'optimisme, mais également qu'ils sont capables de bien des surprises. *Professeur d'économie et de sciences politiques à l'Université de Californie de Berkeley. Son ouvrage le plus récent s'intitule In Defense of Public Debt (Oxford University Press, 2021). |